Cuba, la “dictature de velours” pour les uns ou “l’Eldorado socialiste” pour les autres, a connu depuis les années 50 de multiples bouleversements internes sur le plan politique, économique et social : entre particularités politiques et ambiance orwellienne quant au contrôle de l’information, services publics performants et paradoxes économiques.

Le point de départ : la société cubaine dans les années 50 

Sous la dictature de Batista (1952-1959), la dépendance économique à l’égard des Etats-Unis est très importante : ils concentrent 75% des importations et 66% des exportations de Cuba, qui est faiblement industrialisée et produit surtout des matières premières. La production agricole exportatrice (sucre et tabac) de l’île est dominée par une structure capitaliste : les compagnies américaines contrôlent une bonne partie des propriétés et raffineries.

Le niveau de vie est relativement élevé : le taux de mortalité est faible et le niveau d’éducation bon avec un taux d’analphabétisme de 22% contre 44% au niveau mondial. Le revenu annuel par tête oscille entre 350 et 550 dollars, un chiffre que seuls l’Argentine et l’Uruguay dépassent en Amérique latine.

Toutefois, la société reste inégalitaire et touchée par la corruption. Le chômage élevé concerne 1/3 de la force de travail et près de 200 000 paysans ne possèdent pas de terre. Le système de santé est efficace uniquement dans les grandes villes et la capitale. La corruption, liée aux maisons de loterie et de prostitutions, night-clubs et casinos est très présente.

La révolution cubaine et les bouleversements qui l’ont suivie

Des réformes politiques

Suite à la révolution de 1959, de nouvelles structures sont établies : les organisations, partis et organes de presse précédents sont dissous, et la Constitution n’est pas rétablie. Des organisations politiques de masse se forment – la Fédération des femmes cubaines ou l’Union des jeunes communistes – dans le but, selon les partisans, d’encourager la démocratie participative.

Dès 1960, les Comités de défense de la révolution sont chargés de repérer les contre-révolutionnaires. La peine de mort, abolie en 1940, est rétablie par décret. La machine répressive s’enclenche et mène à l’exécution de 600 partisans de Batista après la révolution, puis à la mort de 8 000 à 10 000 personnes dans les années 60 selon le Livre noir du communisme. En 1960, plus de 50 000 personnes des classes moyennes ayant soutenu la révolution s’enfuient de l’île.

Des réformes sociales

La période a été marquée par des avancées sociales indiscutables, dont l’accès gratuit et universel à des services publics de santé et d’éducation. En 1961, “année de l’éducation”, elle devient gratuite et des instituteurs sont envoyés dans les campagnes pour éradiquer l’analphabétisme. De plus, Cuba réussit à universaliser l’accès aux soins à toutes les catégories de la population et à obtenir des résultats similaires à ceux des nations les plus développées, constituant a posteriori un modèle selon l’OMS.

D’autres progrès sont également notables concernant la répartition des logements, l’éradication des bidonvilles, la baisse des discriminations raciales ou encore l’accroissement global de la mobilité sociale pour les Cubains issus des couches les plus pauvres.

Des réformes économiques

Le bilan économique de Castro est moins enviable. Au lendemain de la révolution, le gouvernement nationalise 90% du secteur industriel et 70% des terres agricoles. Les latifundia sont démantelées et la moitié des terres sont redistribuées à 100 000 paysans. En 1968, ce sont les petits commerces qui sont nationalisés : les agriculteurs ne peuvent plus vendre directement auprès des particuliers et l’Etat a le monopole sur la distribution alimentaire. La libreta, carnet d’approvisionnement distribué dans les foyers cubains, permet d’obtenir des produits de première nécessité dans ces magasins d’Etat.

Le gouvernement cubain met en place une économie centralement planifiée où il fixe les prix. La majorité des moyens de production sont contrôlés par l’Etat et la plupart de la main d’oeuvre est employée dans le secteur public. Che Guevara, alors ministre de l’Industrie, conseille à Castro de diversifier l’économie pour assurer l’autosuffisance alimentaire de l’île et réduire la dépendance extérieure. Mais Castro fait le choix de la monoculture exportatrice de sucre et entre dans la division du travail soviétique en concluant des accords commerciaux avec l’URSS – sucre contre pétrole.

La “période spéciale” : Cuba et le monde post-URSS

La “période spéciale” désigne la réponse gouvernementale à l’instabilité et aux bouleversements économiques consécutifs à la chute de l’URSS en 1991 : une baisse de 35% du PIB, diverses pénuries (en carburant, médicaments, gaz…) ou encore une chute de 75% du commerce extérieur. La dissolution du COMECON prive Cuba de relations économiques précieuses sur la base de prix préférentiels et d’aide au développement. Sans pétrole et par manque de matériel, l’agriculture est décimée. De plus, le pays subit une désindustrialisation qui affecte la production de sucre. A l’interne, le niveau de vie cubain pâtit de cet isolement commercial.

En réaction à la crise, le solde migratoire vers les Etats-Unis augmente brusquement. Entre 1990 et 1995, près de 142 000 personnes ont émigré de Cuba, dont 75% aux Etats-Unis.

L’Etat, toujours mené par Castro, adopte dès lors quelques mesures libérales sans remettre en question son orientation socialiste afin d’atténuer les effets sociaux de la crise, de maintenir la croissance et de conserver la force du système politique.

  • La fondation d’entreprises privées de commerce et manufacture est permise sous certaines conditions. Les formes de propriété et de management, plus diversifiées, ouvrent des espaces aux IDE et aux opérations de marché dans l’économie domestique.
  • En 1993, les devises étrangères (dont le dollar) sont légalisées en parallèle de l’ouverture au tourisme, qui est vivement encouragé.
  • En 1994, les « marchés libres paysans » sont rouverts.

Malgré ces réformes, la période spéciale a peiné à créer une perspective stratégique sur le long terme. De plus, la centralisation du régime reste importante et bloque certaines actions comme la possibilité d’ouvrir des PME, la convertibilité de la monnaie ou la circulation libre du dollar.

La situation actuelle : des réformes à pas de loup  

Les réformes mises en oeuvre ont globalement permis un rééquilibrage du budget, voire une “récupération économique” selon certains experts. Cuba est en pleine évolution depuis que le général Raul Castro a succédé à son aîné, qui a quitté le pouvoir en 2006 pour de graves problèmes de santé avant de décéder en novembre 2016.

La libre circulation du dollar n’est pas permise mais un système de double-monnaie existe : le peso national (CUP) est  utilisé par les Cubains, tandis que le peso convertible (CUC) est réservé aux transactions avec les touristes. Le dollar a progressé dans des secteurs divers, créant une pyramide sociale inversée : les inégalités se creusent entre ceux qui y ont accès – notamment les travailleurs du tourisme – et ceux qui n’y ont pas accès. En bas de la hiérarchie se trouvent alors les anciens cadres privilégiés du régime, médecins, ingénieurs, professeurs (rémunérés en peso et dépendant de la sécurité sociale) mais aussi ceux qui vivent dans les campagnes, qui gagnent moins que des travailleurs non qualifiés indépendants (disposant de pesos convertibles, garants d’un meilleur niveau de vie).

Le secteur privé reste embryonnaire à Cuba malgré son extension prévue dans le cadre de “l’actualisation économique”, visant à améliorer la croissance et l’attractivité de l’île. Le statut de travailleurs à fonds propres est légalisé pour près de 200 professions : ils sont environ 500 000 contre cinq millions de fonctionnaires, pour une population de 11,1 millions d’habitants. Mais ces chiffres sont en progression.

Les coopératives non-agricoles (commerciales ou industrielles) sont autorisées, bien qu’elles se déploient lentement. L’entrée d’IDE est facilitée et de nouveaux marchés s’ouvrent (voitures, ordinateurs, lecteurs DVD) même si les biens proposés restent onéreux. De plus, l’embargo levé en 2016 sur les télécommunications a donné lieu à des accords pour améliorer les infrastructures obsolètes, par exemple avec Google pour l’installation de serveurs.

Pour les citoyens, l’ouverture de Cuba est à nuancer. Les citoyens connaissent des atteintes aux libertés d’expression, de réunion et d’association. Les opposants peuvent être condamnés pour troubles à l’ordre public, atteinte à l’intégration nationale ou état dangereux : les instigateurs du projet Varela en 2003 ont par exemple écopé de 15 ans de prison. Désormais, les opposants ne sont plus condamnés à de telles peines d’emprisonnement, mais la pression qu’exerce le gouvernement sur eux s’accentue.

La situation de la liberté de l’information demeure extrêmement problématique à Cuba, où seuls les médias officiels sont autorisés”, déplore Reporters sans frontières. Depuis 2013, le gouvernement a ouvert, sous restriction, l’accès à Internet. Pourtant, les journalistes et blogueurs cherchant à informer de façon indépendante doivent diffuser leur production d’informations à partir de points d’accès non étatiques (des ambassades, hôtels etc.).

Pour autant, la population cubaine bénéficie toujours de hauts niveaux de santé et d’éducation, ainsi que d’une formation technique et culturelle de qualité. Elle dispose de quelques libertés nouvelles. En 2013, Raul Castro a par exemple mis fin aux restrictions draconiennes empêchant les Cubains de voyager à l’étranger : ils sont désormais autorisés à passer jusqu’à 2 ans à l’étranger. Les Cubains ont également la possibilité depuis 2014 de vendre leurs voitures et logements de particulier à particulier, ce qui n’était pas le cas auparavant.