5G

Alors qu’Orange a déjà lancé la 5G dans quinze villes françaises le 3 décembre dernier, la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile est plus que jamais au cœur de l’actualité. Suscitant beaucoup d’espoirs et pas moins d’inquiétudes, le pionnier chinois Huawei est le plus avancé en la matière mais ses liens étroits avec le gouvernement de la République Populaire de Chine sont sources de beaucoup de questionnements.

La 5G : pour quoi faire ?

D’abord, la 5G doit permettre d’échanger sans temps de latence 14 à 20 fois plus de données que la 4G. La 5G promet donc d’être beaucoup plus puissante. Mais elle promet surtout d’accélérer la voie vers la télémédecine, les robots industriels en réseau, les villes intelligentes, les voitures sans conducteurs, l’internet des objets, et encore beaucoup d’autres innovations qui paraissent un peu futuristes.

La 5G a d’abord été développée par le groupe chinois Huawei. Ce groupe entretient des liens étroits avec les instances dirigeantes de la RPC. La RPC a subventionné sa croissance depuis la création de l’entreprise. Elle naît à Shenzhen, la « Silicon Valley chinoise » et devient en 2019 le 1er groupe mondial électronique en chiffre d’affaires avec 122 milliards. Elle se place à cette occasion devant Facebook et Apple. La 5G s’inscrit aussi dans le plan Made In China 2025 de la RPC, dont l’objectif final est de dépasser l’Occident clairement dans tous les domaines stratégiques.

En Europe, deux entreprises sont en tête sur le développement de la 5G, la suédoise Ericsson et la finlandaise Nokia. Elles sont cependant en retard par rapport à Huawei et n’ont pas un gouvernement aussi influent en soutien. L’Union Européenne hésite encore à s’investir pleinement auprès de ces entreprises.

La 5G au cœur de tensions sino-américaines

Cette technologie se trouve au cœur des tensions sino-américaines, et cette rivalité géopolitique se retrouve notamment eu Europe. Dès 2017, les Etats-Unis inscrivaient la Chine comme son « concurrent stratégique » dans sa stratégie de sécurité nationale. Les Etats-Unis accusaient les techniques commerciales très agressives de Pékin, en particulier l’espionnage industriel. C’est l’origine de la guerre commerciale en juin 2018, avec l’augmentation des droits de douane actée par Donald Trump. S’ensuivirent des menaces de la part de la Chine puis une longue escalade. Les Américains signeront notamment un contrat de vente d’avions avec Taïwan, ennemi de toujours de la RPC, suscitant l’irritation chinoise. Mais surtout, ce qui fût peut-être le plus gros facteur de tensions, c’est l’adoption par la RPC de la loi sur le renseignement en 2017. Elle affirme « L’obligation aux citoyens chinois de soutenir le travail de renseignement national ». Ce qui a été perçu (à tort ou à raison) comme une obligation implicite d’espionner pour les entreprises chinoises.

Ces évènements ont attisé les craintes face à Huawei et sa 5G qui contribue à l’échange massif de données sensibles. La Chine, pâtissant d’une mauvaise réputation, se défend de son intention de détourner ses données sans convaincre personne. C’est pour cette raison que les Etats-Unis demandèrent l’extradition de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei en 2018. Pour la même raison, ils encouragent encore leurs alliés à se montrer intransigeants avec la firme chinoise. A noter que la Chine avait répondu par l’emprisonnement de deux ressortissants canadiens en Chine. L’UE s’inquiète aussi. Selon le vice-président de la Commission européenne en charge du numérique : « Il est possible que les composants Huawei comportent des portes dérobées, des programmes malveillants et des micropuces permettant un accès à distance aux dispositifs d’information ». Cette défiance à l’égard de la Chine a été assez largement aggravée par une communication hyper agressive des ambassadeurs chinois.

L’Europe comme théâtre de cette rivalité

Les Etats-Unis ont été bien sûr les premiers à appliquer un protectionnisme technologique pour prévenir l’extension de l’influence chinoise. Mais tous les pays n’ont pas une position aussi tranchée. L’Europe en particulier se trouve être un point stratégique pour l’expansion de la 5G. Si la Chine y voit une occasion d’affaiblir le rival américain en Europe, les Etats-Unis ne veulent pas perdre leurs liens privilégiés avec les pays européens. A cet égard, l’Europe peine à parler d’une seule voix. Au Royaume-Uni par exemple, alors que la 5G de Huawei avait obtenu un accès limité dans un premier temps, Londres a banni finalement tout équipement Huawei sur son territoire. Le Royaume-Uni s’accorde jusqu’à 2027 pour que cette mesure soit effective. L’Allemagne, qui ne souhaite pas froisser Pékin, son 1er partenaire commercial, reste divisée sur la question. La France a elle autorisé la 5G de l’opérateur Huawei de manière limitée sur son territoire et encourage ses opérateurs à éviter de passer par l’entreprise chinoise. D’autres pays européens comme la Pologne attendent que l’UE décide d’une position commune.

Les autres aires d’influence

Le Japon, l’Australie, et Taïwan, ont suivi les Etats-Unis dans leur protectionnisme technologique. La Corée du Sud, pourtant alliée traditionnelle des Etats-Unis, ne souhaite pas se brouiller avec son voisin Chinois et s’y est donc refusée. Elle est aujourd’hui le pays où la 5G est la plus avancée. Le développement de la 5G s’appuie aussi beaucoup sur la « Chinafrique », soit l’extension de l’influence chinoise en Afrique. Huawei avait déjà signé en 2017 47 projets liés à la 5G en Afrique, très souvent avec une contrepartie d’aide financière assurée par la Banque Asiatique d’Investissements dans les Infrastructures (AIIB en anglais), dirigée par la RPC. Huawei s’est implantée également en Turquie et en Indonésie. La Chine profite aussi de son influence sur l’Union Internationale des Télécommunications, organe de l’ONU chargé d’imposer les standards de demain en télécommunications, dont le Chinois Houlin Zhao est dirigeant actuellement.

Evidemment, il est difficile pour la plupart des pays de refuser cette révolution technologique pour ne pas prendre de retard. Mais quoiqu’il advienne, il faut noter ici un tournant. La Chine a été le précurseur de cette révolution alors que les Etats-Unis n’ont même pas encore d’entreprises capables d’équiper les territoires en 5G. Les options pour ceux qui refusent Huawei sans vouloir refuser la 5G sont alors Ericsson et Nokia.

D’autres entraves non négligeables au développement de la 5G

D’abord, l’opinion publique tend à voir cette nouvelle technologie d’un très mauvais œil. Il y a une question presque philosophique en jeu : souhaitons-nous vraiment continuer à accélérer sans fin ? D’autre part, il faut encore évaluer les impacts sur la santé des antennes 5G. Une coalition internationale de médecins a déjà mis en garde contre ces antennes. Elles génèrent une exposition aux ondes sans-fil à laquelle il sera bientôt impossible de se soustraire, avec des risques non négligeables pour la santé. Il faudra écarter ces craintes, ou au moins rassurer l’opinion publique à ce sujet.

La question environnementale est aussi problématique. La consommation d’énergie générée par la 5G est énorme. A tel point que les journaux français pointaient en septembre dernier l’extinction des antennes 5G entre 21h et 9h dans certaines villes chinoises pour réduire la consommation énergétique ! La 5G est donc très énergivore.

Ainsi, la 5G est encore liée à énormément d’incertitudes auxquelles il faudra répondre pour apaiser la défiance de l’opinion publique, notamment sur les risques pour la santé et l’environnement. Outre ces enjeux, la 5G est au cœur d’une guerre d’influence où la Chine entend bien utiliser Huawei comme atout. Les Etats-Unis paraissent en retard par rapport à la Chine, et l’Europe encore indécise. Beaucoup de choix décisifs doivent donc être faits dans les prochains mois et prochaines années concernant la 5G.