Russie-Afrique

Alors que la guerre fait toujours rage en Ukraine et que la majorité des pays occidentaux considèrent la Russie comme infréquentable, cette dernière continue d’étendre son influence, en dehors de sa sphère habituelle. S’il n’est pas étonnant que la Biélorussie ou encore le Kazakhstan conservent des relations diplomatiques avec la Russie, le continent africain, au travers de Wagner, est lui aussi désormais un allié. Cet article te permettra de comprendre les relations Russie-Afrique, leur histoire et leurs implications.

 

Russie-Afrique : contexte historique

Lorsque l’on pense à l’influence étrangère en Afrique, on pense surtout aux pays européens tels que la France, l’Allemagne ou l’Angleterre, qui se sont prêtés à la colonisation dès le XIXe siècle. Mais la Russie a de même une présence historique sur ce continent. Contrairement à ses voisins, l’URSS se positionne comme un défenseur des pays africains colonisés et apporte son soutien dans le jeu de la décolonisation du XXe siècle. Comme exemple, on peut citer le Mozambique ou encore le Zimbabwe qui abordent désormais sur leurs drapeaux un AK-47, en honneur du soutien matériel offert par l’URSS dans la lutte pour la décolonisation.

Autre que cette dimension politique, la Russie et l’Afrique abordent des liens culturels. Historiquement, les relations culturelles se sont développées dès la période soviétique, avec des accords de coopération culturelle en échange de soutien financier aux forces locales par l’URSS. Concrètement, cette coopération passait par la construction de centres russes pour la science et la culture en Afrique, avec cinq d’entre eux toujours en activité à Lusaka, Addis-Abeba, Pretoria, Dar es Salam et Brazzaville.

La formation des élites africaines en URSS était aussi assurée. C’est sur ces deux héritages que se base la stratégie russe aujourd’hui. Elle joue sur le mythe soviétique en prônant par exemple l’amitié entre Mandela et URSS pour la lutte contre l’Apartheid et use de l’Institut des études africaines de l’Académie des sciences pour valoriser le rôle de l’URSS dans le développement économique des pays africains.

 

Quels sont les enjeux de la relation Russie-Afrique pour la puissance russe ?

Enjeux militaires

Augmenter les capacités de projection des forces armées, avec Wagner, mais aussi des accords passés pour installer des bases militaires. Avec, par exemple, le projet d’une première base militaire en Afrique à Port-Soudan (Soudan) annoncé en 2020.

Il s’agit d’une position stratégique, donnant notamment un accès à la mer Rouge et par extension à l’océan Indien. Possiblement aussi en Érythrée avec des discussions sur un « hub logistique » sur la côte, autant pour le commerce que pour une coopération militaire.

 

Enjeux économiques

Exploitation des matières premières, avec projet au Mali pour prospection et exploitation des ressources pétrolières en échange d’un approvisionnement énergétique. Des projets similaires ont été annoncés pour la Centrafrique.

Partenariats, avec le Forum économique de Saint-Pétersbourg, qui a mis en avant un renforcement des relations russo-africaines face à la désertion des Occidentaux. Notamment avec la présence de l’Égypte comme invitée d’honneur. Néanmoins, aucun chef d’État africain n’était présent à l’événement. De même, des tables rondes sur la relation Russe-Afrique et sur la relation Égypte-Russie ont été organisées.

Zones industrielles et investissements. En Égypte, près du canal de Suez, on observe un renforcement des relations avec la Russie, avec par exemple la construction de wagons pour le réseau ferroviaire.

 

Guerre en Ukraine

Quel soutien de l’Afrique face à la situation ? Aucune position réellement claire et tranchée sur le sujet, bien que la moitié des pays africains se soient abstenus lors du vote de l’ONU pour condamner l’invasion russe en Ukraine. Bilan ? On observe plutôt une ouverture au dialogue et une attitude de realpolitik face aux actions russes (comme le Sénégal) et un non-alignement général.

Une possible famine ? Le blocage des exportations de blé et d’engrais fait craindre une vague de famines sur le continent africain, où la sécurité alimentaire est encore fragile (importations de près de la moitié du blé pour certains pays). D’autant plus que l’accord céréalier entre l’Ukraine et la Russie a été rompu en juillet. Néanmoins, Vladimir Poutine, au dernier sommet Russie-Afrique, a promis des exportations russes pour couvrir les besoins alimentaires.

Conséquences sur les projets russo-africains : la guerre a eu pour impact la suspension du projet d’aciérie au Nigeria, l’arrêt d’usine d’engrais en Angola et le retardement du projet de base militaire à Port-Soudan.

 

Relations diplomatiques

Des liens historiques : lors de la guerre froide, l’URSS s’est montrée anticolonialiste, permettant l’expansion du système communiste après les indépendances, notamment en Tanzanie, en Namibie et au Zimbabwe.

Maintenant, beaucoup de pays africains se trouvent dans une position délicate, puisqu’ils ne peuvent se mettre à dos ni les Occidentaux ni les Russes. C’est par exemple le cas de l’Égypte qui, malgré son vote pour condamner l’invasion russe à l’ONU, a toujours besoin de la Russie pour les denrées alimentaires.

 

Une réimplantation de la puissance russe

Au niveau géopolitique

La relance de la stratégie russe en Afrique est passée tout d’abord par un changement radical de discours sur le continent. On observe dès lors, en 2014, une rupture dans la représentation négative de l’Afrique avec Mikhaïl Margelov, représentant spécial du Kremlin pour l’Afrique. Cette vision est ainsi transférée et reprise dans les médias russes, qui soulignent désormais l’importance des relations et du lien bilatéral entre Afrique et Russie. La société académique est aussi mobilisée avec l’Institut des études africaines de l’Académie des sciences, dirigée par Irina Abramova, qui complète cette prise de position au travers d’écrits scientifiques.

L’Afrique, dont seule la partie nord était considérée comme « utile », est désormais vue comme un ensemble où Vladimir Poutine entend bien installer son influence, malgré la présence traditionnelle des acteurs occidentaux. Dans cette optique a eu lieu un renouvellement de nombreux ambassadeurs en 2017, à l’exception de celui de Centrafrique, Lobanov, qui a facilité l’implantation militaire du groupe Wagner dès 2018. Ainsi, la Russie concentre son expansion en Afrique subsaharienne (Angola, Namibie, Mozambique, Zimbabwe, Éthiopie) sur trois piliers : la coopération militaire et sécuritaire, l’ouverture des économies nationales aux investissements russes et la relance des échanges culturels et universitaires.

Elle met en avant son siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU, entendant défendre les intérêts africains. En parallèle, les services secrets utilisent leurs ressources pour instaurer, dans les affaires étatiques africaines, une reprise des activités au temps de l’URSS avec le PGU et ses « mesures actives ». C’est aujourd’hui le SVR (service de renseignements extérieurs) qui a repris la main, sponsorisé par des hommes d’affaires comme Konstantin Malofeïev. Evgueni Prigojine est le principal financeur de l’IRA (usine à trolls), Wagner et Ria Fan, qui avait été le relais de l’ingérence russe dans les élections de Madagascar en 2018.

 

Au niveau économique

La relance de la stratégie russe en Afrique est tout d’abord portée par les activités économiques qu’elle tente de raviver, et dont le but est de s’épanouir dans un espace dans lequel elle ne rencontre pas de sanctions. En effet, le volume d’échanges est encore moindre par rapport à d’autres partenaires (cinq milliards en 2018, contre 200 milliards pour la Chine, par exemple). Cet effort repose sur deux pôles importants pour la diffusion de cette influence : le ministère des Affaires étrangères (MID) et celui de la Défense.

L’Afrique demeure aujourd’hui un marché à conquérir pour l’exportation d’armes, un secteur prolifique de l’économie russe. 13 % des exportations militaires russes sont réalisées en Afrique, avec l’Algérie comme 1er partenaire (78 %). Se développe aussi un marché de remise en état des armes soviétiques, dont près de trois quarts des pays africains ont en leur possession. Les principaux partenaires de la Russie en 2017 étaient ainsi l’Algérie, l’Égypte, ou encore le Nigeria via l’organisme FSVTS.

 

La stratégie russe

La stratégie russe est donc de gagner des parts de marché en proposant des services de sécurité contre des avantages économiques reposant sur trois aspects : des gouvernements défaillants du point de vue sécuritaire malgré l’appui de l’Occident, le détournement de ces derniers vis-à-vis de la Chine dont les prestations ne sont pas à la hauteur des engagements, ainsi que la crainte des dirigeants de révolutions que les apports sécuritaires de la Russie permettraient de prévenir, sinon de réprimer, comme son intervention en Syrie l’a démontré.

Il demeure néanmoins encore beaucoup d’échanges dans la zone grise, d’où la volonté, pour la Russie, de régulariser ses échanges pour promouvoir un succès russe et être reconnue par des institutions internationales comme la Banque mondiale. Parmi ces échanges « gris » se trouve l’organisation de montages financiers pour dissimuler la corruption, dont le processus marche avec une négociation de contre-lettres où le client s’engage à garantir à l’entreprise des positions privilégiées. C’est le cas, par exemple, de Rosatom en Centrafrique avec les explorations de gisements d’uranium vers Bakouma.

 

Parmi les grands partenaires africains, la Russie peut compter sur :

  • la Namibie : relance la coopération économique avec les contrats Rosatom pour une construction centrale.
  • le Mozambique : augmentation de la coopération militaire, soutien des forces locales contre Al-Shabab, invitation à intégrer le référentiel, données du FSB.
  • le Zimbabwe : exploitation de diamants et de métaux rares et vente d’armes.
  • l’Éthiopie : les États-Unis et la Chine en demeurent les principaux partenaires, rendant difficile l’implantation de la Russie, notamment pour les ventes d’armes confiées aux États-Unis. L’Éthiopie demeure plus un enjeu stratégique pour le contrôle de la Corne de l’Afrique.

 

Aujourd’hui, Moscou semble partant pour la construction d’une alliance économique avec les pays africains, à l’image de l’Union européenne ou de la zone de libre-échange continentale africaine. Il existe déjà ainsi Afrocom, qui se concentre sur des missions commerciales entreprises par des Russes.

 

Le secteur énergie et nucléaire

Les entreprises russes opèrent comme des exportateurs de technologies principalement. C’est le cas de Rosatom qui exploite la production énergétique nucléaire comme vecteur de modernisation des économies nationales. La Russie développe son offre avec un potentiel accord d’implantations de mini-centrales nucléaires civiles en Zambie.

Pour ce qui est du pétrole, un accord a été passé avec la société nigériane Oranto Petroleum, qui pourrait être un relais pour l’implantation dans d’autres pays comme le Soudan et le Sénégal. Le gaz est lui vu dans une perspective d’exploitation des gisements : un accord important a été ainsi conclu avec l’Algérie via Sonatrach.

 

Point sur Wagner en Afrique

  • Au Mali : Wagner a profité du départ de la mission Barkhane, qui se réarticule hors du Mali, et est présent dans la partie Nord-Est du pays, notamment à Tombouctou, Gossi et Ménaka, pour contrer la présence de l’État islamique. Le déploiement de Wagner a aussi été facilité par la défaillance de l’État malien, puisqu’ils combattent principalement des groupes armés (ex MSA-Gatia) pour pallier l’inaction de l’armée malienne. On peut observer un certain rapprochement entre le Mali et la Russie, de par le départ de la France et les liens entre le gouvernement malien et le groupe Wagner, qualifiés d’« instructeurs ».
  • Au Soudan : présence à la frontière avec la République centrafricaine, dans la région du Darfour et autour de la capitale Khartoum depuis 2017. Wagner soutient également les Forces de soutien rapide, appuyé par l’État soudanais, pour lutter contre des groupes rebelles dans le Darfour. De nombreuses exactions ont été réalisées près de la frontière centrafricaine.
  • En Centrafrique : Wagner a été accusé d’exactions en Centrafrique.
  • En Libye : emploi de mercenaires syriens pro-régime par Wagner pour garder des installations pétrolières sensibles aux intérêts russes.

 

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