Cet ouvrage de Dubet est un point important dans le cadre du programme d’ESH. Je pense notamment aux chapitres sur la justice sociale (sujet Ecricome 2017 : Faut-il lutter contre les inégalités économiques ?). C’est face à ce genre de questions que le constat que dresse Dubet est particulièrement puissant, car il permet d’expliquer pourquoi on se pose ce genre de questions, caractéristiques de notre époque. Cette fiche peut également compléter les chapitres de sociologie.

L’ouvrage est découpé en quatre parties :

I. Le choix de l’inégalité

II. La solidarité comme condition de l’égalité

III. De l’intégration à la cohésion

IV. Produire la solidarité

Introduction

Dubet commence par faire le constat de cette préférence pour l’inégalité. Cela veut dire que les individus ne sont pas si profondément attachés à la lutte contre les inégalités : ils pensent même que les inégalités ont quelque chose de sain ou d’utile. Dubet attribue cela à une crise de la solidarité, c’est-à-dire une crise de « l’attachement aux liens sociaux qui nous font désirer l’égalité de tous, y compris et surtout l’égalité de ceux que nous ne connaissons pas ». Or, nous devrions éprouver le sentiment contraire au vu de la progression des inégalités depuis les années 1980.

Cette perte de solidarité explique la crise des institutions sociales, en lesquelles les individus n’ont plus confiance : les plus aisés disent qu’ils ne veulent plus payer pour ceux qui ne le mériteraient pas : on observe un ras-le-bol fiscal, les chômeurs sont vus comme des profiteurs, les partis politiques de gauche sont en crise et la droite devient toujours plus conservatrice. En somme, il y a une crise des solidarités.

Or, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que pour Dubet, la montée des inégalités et la crise des solidarités sont profondément liées. Plus encore, la crise des solidarités n’est pas une réaction à un phénomène économique incontrôlable contre lequel les individus n’auraient plus la force de lutter : c’est la crise des solidarités qui est la responsable de la montée des inégalités ! C’est parce que nous nous soucions moins des autres que l’on ignore, voire que l’on veut les inégalités, perçues comme un moyen de les tenir à distance.

I. Le choix de l’inégalité

II. La solidarité comme condition de l’égalité

III. De l’intégration à la cohésion

IV. Produire la solidarité

Chapitre 1 : le choix de l’inégalité

Je ne vais pas développer le constat des inégalités que fait Dubet (vous aurez bien assez de chiffres dans vos cours), pour me concentrer sur le point le plus intéressant de son analyse : rechercher l’origine de ce choix de l’inégalité.

Selon Dubet, les inégalités ne correspondent pas à des blocs, à une polarisation comme analysait Marx, mais plutôt à une chaîne continue, une sorte de « classement » des individus. Les mieux placés dans ce classement, évidemment, y tiennent car cela leur confère un sentiment de domination et une dignité sociale. Dubet conçoit aussi l’existence d’inégalités de nature différentes, c’est-à-dire que l’on peut être égal à quelqu’un sur un point et inégal sur un autre. Or, selon Dubet et contre-intuitivement, moins les inégalités sont caractéristiques d’une classe sociale (plus les inégalités sont individualisées, moins elles sont communes à plusieurs individus), plus on les ressent, et plus on les perçoit comme une menaceIl importe donc de se démarquer des plus inégaux et de marquer sa position pour éviter d’être inégal et méprisé. Le choix de l’inégalité prend ici ses racines.

De plus, pour Dubet, l’école participe à la reproduction des inégalités car la réussite dépend du capital culturel familial. C’est un lieu de concurrence : chacun veut accéder aux diplômes les plus rares et devancer les autres. Le système méritocratique alimente cette concurrence, et pousse certaines familles à privilégier des établissements privés, ce qui est justement un choix de l’inégalité. Les formations du privé, de meilleure qualité, ne sont accessibles qu’aux plus aisés.

Or, le système méritocratique conduit à une légitimation des inégalités car il estime que les plus démunis sont responsables de leur pauvreté. Ils deviennent des boucs émissaires.

Enfin, le choix de l’inégalité est alimenté par la peur du déclassement qui pousse les individus à défendre leur position.

I. Le choix de l’inégalité

II. La solidarité comme condition de l’égalité

III. De l’intégration à la cohésion

IV. Produire la solidarité

Chapitre 2 : la solidarité comme condition de l’égalité

Pourquoi la solidarité est-elle nécessaire à l’égalité ?

Dubet tire des théories sociales classiques trois principaux fondements à la solidarité, qui sont :

  •  la division du travail qui rend les activités économiques interdépendantes (solidarité organique de Durkheim : on a besoin les uns des autres pour faire fonctionner la société) ;
  • l’accord politique passé avec le souverain – les individus abandonnent le monopole de la violence au souverain et abandonnent ainsi leur hostilité – la solidarité est ici liée à cet accord et elle donc de nature politique ;
  • la symbolique propre à un groupe : les récits de fraternité, les mythes, les symboles unissent et rendent solidaire.

Dubet insiste sur le fait que cette troisième forme de solidarité est nécessaire et la plus puissante de toutes. La solidarité organique de Durkheim ne pourrait alors se passer d’un fond de solidarité mécanique, de conscience collective. Pour Dubet, cette solidarité entendue au sens de fraternité explique la plus grande part du désir pour l’égalité, car elle est liée à une conscience nationale. Plus on a le sentiment d’appartenir à une nation composée de compatriotes, de frères, plus on désire les voir égaux à nous.

Mais, aujourd’hui, l’heure est à la méfiance : les Français se méfient les uns des autres, et notamment de ceux qui sont en difficulté : ils sont considérés comme feignants, profiteurs. La moitié des Français estiment que les chômeurs ne font pas l’effort de chercher du travail contre 15% des Suédois, 18% des Danois et 35% des Allemands. Même si Dubet veut relativiser les sondages (à des occasions, on voit renaître les sentiments de solidarité : attentats, catastrophes naturelles…), il constate effectivement cette perte de solidarité et ce mur d’indifférence caractéristique des Français.

I. Le choix de l’inégalité

II. La solidarité comme condition de l’égalité

III. De l’intégration à la cohésion

IV. Produire la solidarité

Chapitre 3 : de l’intégration à la cohésion

Dubet nous décrit le phénomène du passage d’une société caractérisée par l’intégration à une société caractérisée par la cohésion.

Selon lui, les sociétés industrielles d’après l’Ancien Régime sont des sociétés intégrées. Cette « intégration » est une solidarité qui repose sur trois socles :

  • Le travail, notamment autour de la lutte des classes, et de la conscience de classe (la classe pour soi), unie autour d’intérêts communs. Le système crée des identités sociales (la classe des ouvriers par exemple), et c’est à travers ces identités que les individus expriment leur désir d’égalité. La solidarité reposant sur le travail renvoie à une conception de la justice sociale avec la protection des travailleurs et la redistribution pour réduire les inégalités.
  • Les institutions, car il est aussi nécessaire que les individus se sentent appartenir subjectivement à la société. L’intégration suppose donc que les individus soient à la fois érigés en maîtres de leurs choix, libres et autonomes, ET qu’ils partagent des principes communs. Pour définir ce socle commun, la République a choisit l’école. Elle transmet des valeurs communes, et produit des petits républicains qui peuvent sentir l’appartenance à une même société. La laïcité a pour sa part assuré le respect de la personnalité des individus. Les individus sont ainsi à la fois publics et privés.
  • La nation, car elle permet à la société de dépasser son caractère abstrait et de prendre chair. Lorsque la société est perçue comme la nation, elle acquiert une force imaginaire importante. La nationalisation de la société s’est réalisée par l’intégration d’une culture nationale, d’une économie nationale et d’une souveraineté politique. La croyance en la culture nationale s’est réalisée grâce à l’école puisque cette culture est celle des Lumières et de la Raison. L’établissement d’une économie nationale est rendue possible par l’action de l’État dans la sphère économique (protectionnisme, conquêtes coloniales) mais aussi l’idée d’une autosuffisance. L’affirmation d’une souveraineté politique a été permise par la Révolution en affirmant l’autorité de l’État sur la nation.

Ce modèle de l’intégration a été victime de ce que l’on pourrait appeler une triple crise :

  • Le travail s’est fragmenté : l’économie mondialisée implique délocalisation et externalisation de certaines activités. Aussi, pour ceux qui ne s’en tirent pas bien, ce changement crée de nouveaux clivages, entre qualifiés et non-qualifiés, entre les protégés et les précaires, entre les générationsL’existence de groupes et d’individus « inutiles » (chômeurs) marque l’épuisement de l’intégration par le travail. Enfin, le travail est moins solidaire car la proximité physique entre les travailleurs est moins nécessaire avec les TIC.
  • Les institutions, et notamment l’école, sont en crise. Cela tient normalement de la remise en cause du bien-fondé de l’école : la culture semble accessible en dehors de l’école (sur internet par exemple), et on attend d’elle qu’elle s’adapte aux désirs et aux qualités de chaque individu, plutôt que l’inverse. Dès lors, elle transmet plus difficilement ce socle commun à l’origine de l’intégration.
  • La nation semble s’effacer à cause de la mondialisation et de la régionalisation, à commencer par le développement de l’Union européenne qui est accusée d’éclipser la souveraineté nationale. En plus de cela, les individus ne se sentent plus unis et des groupes minoritaires se créent en marge de la majorité.

Cette crise aboutit à l’émergence d’un nouveau modèle : la cohésion, qui possède quatre propriétés majeures :

  • L’individu est au centre. C’est l’ère de l’individualisme, chacun doit avoir ses projets, ses objectifs. Les institutions aident les individus à atteindre ces objectifs mais on exige d’elles qu’elles s’adaptent à chacun. La sociabilité est alors plus élective, car on ne va se rapprocher que de ceux qui ont des goûts semblables aux nôtres.
  • L’égalité des chances occupe une place primordiale dans le cadre d’une recherche de la mobilité sociale. La solidarité change alors de nature : elle vise moins à réduire les inégalités qu’à rendre les diverses épreuves de sélection les plus équitables possibles.
  • Le vivre-ensemble ne tient plus à un imaginaire collectif mais à la confiance et au capital social. C’est-à-dire que les relations pacifiques entre individus s’appuient d’abord sur la confiance (je fais confiance à mes concitoyens donc je ne vais pas être hostile envers eux), puis, à un stade plus avancé, elles s’appuient sur cette idée que mes relations vont m’être utiles (le capital social de Bourdieu) : en ayant des relations, je suis plus susceptible d’atteindre mes objectifs.
  • L’action de l’Etat se centre sur des problèmes plus ciblés (jeunes sans qualifications, consommateurs de drogues).

Pour Dubet, le modèle actuel de la cohésion est plus faible car sa force symbolique et sa solidarité sont moins affirmées.

I. Le choix de l’inégalité

II. La solidarité comme condition de l’égalité

III. De l’intégration à la cohésion

IV. Produire la solidarité

Chapitre 4 : produire la solidarité

Dubet suggère quelques solutions pour recouvrer une forme de solidarité.

Cela commence pour lui par un élargissement de la démocratie, qu’il souhaite plus représentative et, évidemment, moins corrompue (il faut plus de transparence). Il faut que la classe politique représente mieux les femmes, les minorités, les catégories populaires… Il préconise également un meilleur accès aux fonctions publiques par les citoyens, comme par exemple à travers la construction de scènes politiques et la constitution de jurys citoyens qui leur permettraient de participer aux décisions.

Dubet souhaite également plus de transparence dans le système de redistribution, afin de limiter la méfiance et faire remarquer aux citoyens que les services gratuits nécessitent un financement important.

Il pense qu’il faut refonder les institutions, à commencer par l’école, car il estime que les enseignants sont victimes d’une perte de légitimité : métier difficile, peu de reconnaissance… Il préconise la création d’établissements plus autonomes pouvant établir certaines règles eux-mêmes. L’école doit également mettre l’accent sur les activités pratiques qui apprennent la responsabilité et le vivre-ensemble (par exemple, que les enfants et les filles jouent ensemble dans la cour ; que tout le monde respecte l’ordre d’accès à la cantine). Enfin, l’école doit redéfinir le mérite et s’adapter aux volontés de chacun. Elle doit permettre aux élèves de découvrir ce qu’ils ont envie de faire plus tard, et permettre les réorientations. Elle doit limiter les comportements de compétition et de méfiance entre les élèves en favorisant, par exemple, les projets de groupe.

Pour aller plus loin sur la question des inégalités : https://major-prepa.com/

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