maths

Il est relativement aisé de déterminer la dimension d’un espace vectoriel de polynômes, de matrices, de vecteurs de \(\mathbb{R}^n\), car ces objets sont faciles à représenter. En revanche, quoi de plus abstrait que des endomorphismes ? Pour cela, il peut s’avérer très difficile de déterminer la dimension d’un espace vectoriel d’endomorphismes.

Je te propose donc de découvrir une méthode relativement élégante et efficace pour pallier ce problème, à travers l’étude d’un exemple : la recherche de la dimension de \(\mathcal{F}= \{f \in \mathcal{L}(\mathbb{R}_n[x]), \forall P \in \mathbb{R}_n[x], deg (f(P)) \le deg (P)\}\).

Soit \(n \in \mathbb N^*\).

Pas de précipitation

Ce type d’exercices, dans la mesure où il demande de l’intuition, est plutôt proposé aux oraux de mathématiques lors de l’exercice de la question sans préparation. Ce format ne doit pas te pousser à manquer de rigueur ! Avant de déterminer la dimension d’un espace vectoriel, il convient déjà de démontrer que l’ensemble est effectivement un espace vectoriel.

Dans notre cas, il est plutôt facile de montrer que \(\mathcal{F}\) est un sous-espace vectoriel de \(\mathcal{L}(\mathbb{R}_n[x])\). En effet, \(\mathcal{F}\) est de toute évidence inclus dans \(\mathcal{L}(\mathbb{R}_n[x])\). De plus, en considérant \(\alpha \in \mathbb{R}\), \((f,g) \in \mathcal{F}^2\), et \(P \in \mathbb{R}_n[x]\), on a \(deg (f(P)) \le deg (P)\), et \(deg (g(P)) \le deg (P)\).

Ainsi, comme \(deg (f(P))= deg (\alpha f(P))\), \(deg (\alpha f(P)) \le deg (P)\).

Et comme on sait que si \(Q_1\) et \(Q_2\) sont des polynômes, \(deg (Q_1+Q_2)\le max(deg(Q_1),deg(Q_2)) \), on a bien \(deg( (\alpha f+g) P) =deg (\alpha f(P)+g(P))\le max(deg(\alpha f(P)),deg(g(P))) \le deg(P)\).

La première intuition

Généralement, après avoir justifié que l’espace en question est bien un espace vectoriel, on en exhibe une base pour trouver la dimension. Malheureusement, dans notre cas, on voit difficilement à quoi ressemblent les endomorphismes de \(\mathcal{F}\), si bien que déterminer une base paraît impossible.

En fait, dans des cas comme celui-ci, on fonctionne à l’envers. On détermine la dimension dans un premier temps, puis on exhibe une famille libre de vecteurs de l’espace vectoriel qui contient le bon nombre de vecteurs pour justifier que c’en est bien une base.

Reste donc à déterminer la dimension de \(\mathcal{F}\). Pour cela, il faut se souvenir d’un point de cours et de sa démonstration, qui peut te guider. On sait que si \(E\) est un espace vectoriel de dimension \(n\), \(dim (\mathcal{L}(E))=n^2\). Pourquoi cette dimension ? Simplement parce que \(\mathcal{L}(E)\) et \(\mathcal{M}_{n}(\mathbb{R})\) sont isomorphes, donc de même dimension. \(\mathcal{L}(E)\) et \(\mathcal{M}_{n}(\mathbb{R})\) sont isomorphes, cela signifie qu’il existe un isomorphisme, soit une application linéaire bijective de \(\mathcal{L}(E)\) dans \(\mathcal{M}_{n}(\mathbb{R})\).

À la lumière de cette information, tu pourrais avoir l’idée de déterminer un espace vectoriel de matrices pour le « mettre en isomorphisme » avec \(\mathcal{F}\) afin d’en déterminer la dimension, et tu aurais raison ! Il est en effet bien plus facile de déterminer la dimension d’un espace vectoriel de matrices.

Dans notre cas, la représentation matricielle d’un endomorphisme de \(\mathcal{F}\) est une matrice de \(\mathcal{M}_{n+1}(\mathbb{R})\).

Le passage délicat

Tu es désormais sur la bonne voie pour déterminer la dimension de \(\mathcal{F}\). Seulement, il te faudra maintenant un peu de créativité, car en observant la forme des endomorphismes de \(\mathcal{F}\), tu devras chercher à imaginer la forme de sa matrice dans la base canonique de \(\mathbb{R}_n[x]\). Et cela demande de l’intuition.

Ici, on peut remarquer que si \(f\) est un endomorphisme de \(\mathcal{F}\), alors \(\forall k \in [\![0,n]\!], deg(f(x^k)) \le k\), ce qui signifie que sa matrice dans la base canonique de \(\mathbb{R}_n[x]\) est triangulaire supérieure.

En notant \(\mathcal{T}_{n+1}(\mathbb{R})\) l’ensemble des matrices de \(\mathcal{M}_{n+1}(\mathbb{R})\) triangulaires supérieures, on va donc montrer que \(\mathcal{F}\) et \(\mathcal{T}_{n+1}(\mathbb{R})\) sont isomorphes.

Montrer que deux espaces vectoriels sont isomorphes

Pour ce faire, il faut montrer qu’il existe bien un isomorphisme entre \(\mathcal{F}\) et \(\mathcal{T}_{n+1}(\mathbb{R})\). Encore une fois, il faut proposer une application et montrer qu’elle est bien un isomorphisme.

C’est ici plus facile de proposer, du fait du travail en amont. On propose \(\Phi_{\mathcal{B}}\) l’application qui a un endomorphisme \(f\) de \(\mathcal{F}\), on lui associe sa matrice dans la base \(\mathcal{B}\), qui désigne la base canonique de \(\mathbb{R}_n[x]\).

Il nous reste alors à vérifier trois points :

  1. \(\Phi_{\mathcal{B}}\) est une application linéaire de \(\mathcal{F}\) dans \(\mathcal{T}_{n+1}(\mathbb{R})\) ;
  2. \(\Phi_{\mathcal{B}}\) est injective ;
  3. \(\Phi_{\mathcal{B}}\) est surjective.

Premier point à vérifier

Le premier point est garanti par le cours. En effet, si \(\alpha\) est un réel et que \(f\) et \(g\) sont des endomorphismes de \(\mathbb{R}_n[x]\), alors :

\(\Phi_{\mathcal{B}}(\alpha f+g)\)=\(mat_\mathcal{B}(\alpha f+g)= \alpha mat_\mathcal{B}(f) + mat_\mathcal{B}(g)=\alpha \Phi_{\mathcal{B}}(f)+\Phi_{\mathcal{B}}(g)\).

On a de plus expliqué dans la partie « Le passage délicat » que \(Im \Phi_{\mathcal{B}}\) est bien inclus dans \(\mathcal{T}_{n+1}(\mathbb{R})\), soit que \(\Phi_{\mathcal{B}}\) est à valeurs dans \(\mathcal{T}_{n+1}(\mathbb{R})\).

On a donc bien vérifié le premier point.

Deuxième point à vérifier

Ce point est également facile à vérifier. Il s’agit de montrer que \(Ker\Phi_{\mathcal{B}}=\{0\}\), ce qui se prouve sans trop de problèmes par double inclusion.

L’inclusion de droite à gauche est garantie par le cours, car le noyau d’un endomorphisme étant un espace vectoriel, il contient le vecteur nul.

Pour la seconde inclusion, on considère un endomorphisme \(f\) de \(\mathcal{F}\), tel que \(\Phi_{\mathcal{B}}(f)=0\), soit \(mat_{\mathcal{B}}(f)=0\). D’après le cours, on a donc \(f=0\), ce qui justifie l’inclusion de gauche à droite.

Le deuxième point est vérifié : \(\Phi_{\mathcal{B}}\) est bien une application linéaire injective.

Troisième point à vérifier

Ce troisième et dernier point est un peu plus délicat. En effet, là où on utiliserait normalement le théorème du rang, ici, cela n’aboutirait malheureusement à rien. On doit donc montrer la surjectivité « à l’ancienne ».

Soit \(M \in \mathcal{T}_{n+1}(\mathbb{R})\). On note \(f\) l’endomorphisme dont la matrice dans \(\mathcal{B}\) est \(M\) (on parle d’endomorphisme canoniquement associé à \(M\)). On a donc \(\Phi_{\mathcal{B}}(f)=M\).

Pour justifier de la surjectivité de \(\Phi_{\mathcal{B}}\), il nous suffit donc d’expliquer que l’endomorphisme \(f\) appartient bien à \(\mathcal{F}\), et donc qu’il en vérifie les propriétés, ce qui se comprend sans trop de difficultés : si \(M\) est triangulaire supérieure, alors pour \(P\) un polynôme de \(\mathbb{R}_n[x]\), on a bien \(deg(f(P) \le deg(P)\).

On a donc vérifié le troisième et dernier point.

Conclusion

Ainsi, on vient de montrer que \(\Phi_{\mathcal{B}}\) est un isomorphisme. Dès lors, \(\mathcal{F}\) et \(\mathcal{T}_{n+1}(\mathbb{R})\) sont isomorphes, et ont donc la même dimension.

On peut donc désormais affirmer que \(dim(\mathcal{F})= \frac{(n+1)(n+2)}{2}\).

Et voilà, tu sais maintenant déterminer la dimension d’un espace vectoriel d’endomorphismes !

N’hésite pas à consulter toutes nos autres ressources de maths !