Cet article publié dans notre magazine Le Major que tu devrais recevoir en version papier d’ici quelques jours dépeint les enjeux actuels auxquels se trouvent confrontés les classes préparatoires économiques et commerciales.

 

La classe prépa économique et commerciale, entre menaces et perspectives

Par Dimitri des Cognets, rédacteur en chef de Major-Prépa, et Frédéric Munier, professeur d’histoire-géographie-géopolitique en classes préparatoires au lycée Saint-Louis, Paris.

 

En février dernier, nous signions sur Major-Prépa un article qui a fait grand bruit dans le petit monde des écoles de management françaises. Et pour cause, ce papier, qui analysait le nombre d’inscriptions pour les concours 2019, posait la question dans le titre de l’éventuelle « Bérézina » que ces chiffres représentaient pour les écoles. Pour rappel, sur les 26 écoles affiliées aux concours BCE et Ecricome, seules quatre (HEC Paris, ESSEC BS, EDHEC BS et BSB) sont parvenues à maintenir ou dépasser le nombre de leurs inscrits par rapport à 2018, la tendance étant partout ailleurs à la baisse.

Faut-il céder aux sirènes du catastrophisme pour autant ? Peut-être pas, mais le « catastrophisme éclairé » (J.-P. Dupuy) est une posture qui permet de penser les menaces et d’entrevoir des perspectives plus efficacement que la réassurance béate ou la politique de l’autruche…

La dynamique délétère de la filière prépa EC

Ces dernières années, la prépa économique et commerciale n’a pas traversé de difficultés majeures. Le nombre global d’étudiants, suivant une croissance certes limitée mais néanmoins stable, permet à la totalité des écoles de remplir peu ou prou leurs promotions. S’il y a toujours eu, historiquement, davantage de places à pourvoir que d’ex-prépas qui souhaitent intégrer une école, chaque école a néanmoins toujours eu de quoi manger « à sa faim ». Il existe ainsi une certaine solidarité de fait entre les écoles qui, bien qu’en compétition, veillent tacitement à ce que le système en général se porte bien.

Néanmoins, la machine semble quelque peu s’enrayer ces derniers temps. Quelques signaux faibles permettaient déjà d’entrevoir que tout n’allait pas aussi bien qu’autrefois : en 2018, par exemple, le nombre d’étudiants inscrits à la BCE s’élevait à 10 799, exactement comme en 2017. Pourtant, le contexte démographique, très favorable*, aurait dû avoir pour corollaire une hausse des effectifs.

En 2019, donc, le nombre d’étudiants issus de prépa EC qui passeront les concours est en baisse de 3,8 % par rapport à 2018. Qui plus est, selon l’enquête diligentée par la Direction des Admissions et des Concours (DAC), le nombre d’étudiants inscrits en première année à la rentrée 2018 était en recul de 3,7 % par rapport à 2017. La situation a de quoi préoccuper, même si on ne doit ni ne peut négliger les effets conjoncturels comme la réforme des prépas commerciales au Maroc – dont l’impact sur la baisse des inscriptions en première année a été considérable – ou encore la mise en place de Parcoursup – d’ailleurs en 2019, d’après les premiers retours des prépas, le nombre de candidatures a connu une hausse considérable.

Parallèlement à cette baisse du nombre d’étudiants, les écoles du haut du tableau ouvrent chaque année plusieurs dizaines de places supplémentaires : 90 cette année rien que pour HEC Paris, ESSEC BS, ESCP Europe, et l’emlyon bs. Ce regain d’appétit trouve sa motivation dans la baisse continue des subventions de l’État – par l’intermédiaire des CCI – allouées aux écoles de management. Certes, ce choix confirme que les étudiants de prépa sont des candidats appréciés par les écoles mais, en l’absence de création de nouvelles classes, il affaiblit le recrutement de préparationnaires dans les écoles du bas du tableau…

* Le nombre de candidats qui ont obtenu un bac général ou STMG en 2018 s’élève à 423 145, contre 377 178 en 2015, soit une hausse de 12,2 %.

Les alternatives à la prépa se multiplient

Quels facteurs expliquent alors que les effectifs en prépa stagnent alors que le contexte démographique du supérieur est nettement à la hausse ? L’une des raisons clés est sans nul doute le développement des bachelors et des voies d’admissions parallèles (AST) pour le Programme Grande École, ainsi que le phénomène croissant de la mobilité étudiante à l’international. Si la prépa a toujours alimenté bon nombre de fantasmes (pression insoutenable, charge de travail démentielle), elle demeurait néanmoins comme un passage obligatoire dans l’esprit des lycéens les plus ambitieux. Or, ce n’est plus nécessairement le cas aujourd’hui.

Le risque sous-jacent serait qu’à terme, les prépas de proximité ferment, faute d’étudiants, et qu’il ne subsiste plus que les prépas les plus prestigieuses situées à Paris, Versailles et dans les grandes villes de province. En supposant un tel scénario, l’État continuerait-il à financer un système qui ne profiterait qu’à des élèves plutôt aisés et d’un excellent niveau ? Si la perspective de la fermeture pure et simple de la filière prépa EC demeure peu probable, les difficultés qu’elle traverse n’augurent rien de très réjouissant, alors que la réforme des filières au lycée en 2021 va lui imposer de se réinventer rapidement. Et pourtant, le modèle des prépas, qui s’inscrit dans un continuum « CPGE – GE », a des arguments à faire valoir.

 

Pourquoi faut-il défendre bec et ongles la prépa ?

Spécificité bien française, la prépa pâtit de bon nombre de critiques souvent infondées à son endroit, qu’il convient de détricoter.

La prépa, ce chemin de croix… Vraiment ?

Difficile pour un jeune bachelier de supposer qu’un parcours aussi exigeant que la prépa pourra devenir une véritable source d’épanouissement personnel. Et pourtant, loin des clichés sur la filière, les préparationnaires apprécient réellement le parcours dans lequel ils sont engagés ! Selon une étude menée cette année par un organe de recherche de l’EDHEC Business School, l’EDHEC NewGen Talent Centre, 94 % des prépas recommandent la classe préparatoire. Un chiffre dont peu de formations du supérieur pourraient se targuer.

Alors certes, la prépa reste exigeante et difficile, mais, incontestablement, l’excellence va de pair avec le travail. La plupart des étudiants sortent fiers et grandis de cette expérience et, pour ceux qui réalisent que la prépa n’est pas faite pour eux, les portes de sortie, universitaires notamment, sont nombreuses. In fine, tenter l’aventure n’est jamais un mauvais calcul.

La prépa est toujours dans le coup

D’aucuns verront dans la prépa des méthodes d’apprentissage d’un autre temps, qui s’apparentent à du bachotage. Pourtant, dans une époque marquée par une véritable rupture technologique, où pléthore d’études nous expliquent que « X % des métiers de demain n’existent pas encore », la prépa permet, par son approche transdisciplinaire et réflexive (car quiconque a vraiment fait une prépa sait que connaître son cours est une condition nécessaire mais pas suffisante pour réussir), d’apprendre à structurer ses idées, à aiguiser son esprit de synthèse, à appréhender des problèmes complexes et éclectiques… en un mot, d’apprendre à apprendre.

Non, la prépa ne participe pas à la reproduction des élites

On met là le doigt sur une hypocrisie bien française. Selon ses détracteurs, la prépa consiste à faire payer déraisonnablement le contribuable français pour un système qui ne sert qu’aux étudiants bien nés. Rien n’est plus faux. D’abord, sur le coût des étudiants de prépas : grossièrement, 15 000 € par an et par prépa selon les statistiques officielles contre 10 000 € pour un étudiant inscrit à l’université.

Or, ces chiffres découlent d’une simple division entre le budget alloué et le nombre d’étudiants recensés en début d’année. Lorsqu’on garde à l’esprit que le taux d’échec en première année atteint 40 % à l’université alors qu’il est marginal en prépa, et que les préparationnaires suivent annuellement deux fois plus d’heures de cours que les universitaires, on comprend que le calcul est biaisé. Si on ajoute à cela le fait que les étudiants de prépas financent eux-mêmes leur scolarité dès la L3 (lorsqu’ils intègrent une école) et que, pour raisonner en termes de retour sur investissement, leur salaire de sortie moyen est bien plus élevé que celui de leurs homologues de l’université, le procès fait à la prépa en devient presque risible.

Quant à cette supposée reproduction des élites que permet la prépa, ceux qui se font le chantre de Bourdieu se trompent de combat. La prépa ne recrute pas les plus riches, mais les meilleurs éléments (12-13 de moyenne et plus) : si les milieux populaires sont sous-représentés en classe prépa, et par extension dans les grandes écoles, c’est précisément parce que l’école de la République a échoué à leur donner autant de chances de réussite. Entre un boursier et un non-boursier, il y a en moyenne deux points d’écart au bac : la prépa est donc moins la cause que le reflet des inégalités de notre société. La baisse des exigences académiques survenue ces dernières années au lycée n’a fait qu’accroître le fossé entre les catégories sociales. Les plus modestes sont en effet moins enclins à se mettre au niveau attendu par les formations d’excellence, désormais sans commune mesure avec le niveau requis dans la majorité des lycées publics.

C’est ainsi que 90 % des étudiants admis à Sciences Po Paris après le bac sont passés par une prépa, la plupart du temps payante. Toutes filières confondues, on estime qu’un étudiant de prépa sur 10 est fils ou fille d’ouvrier… contre un sur 20 seulement pour les étudiants en médecine ! Et on pourrait encore multiplier les exemples. À la table des formations les plus sélectives, la classe préparatoire est finalement le dernier véritable bastion de l’égalité des chances et de l’ouverture sociale, bien que de nombreux progrès soient encore à réaliser.

On l’aura compris, dans un climat d’incertitudes, les prépas, singulièrement les voies EC, ont donc des arguments à faire valoir pour leur maintien, voire leur renforcement, au sein des filières du supérieur. Dans une période où prévaut la complexité, un socle fort de savoirs larges, synonyme de culture et d’agilité, reste encore le meilleur des viatiques ! Les entreprises et les grandes écoles en sont aujourd’hui convaincues – il n’est qu’à voir le développement tous azimuts des enseignements d’humanités dans les écoles de management. Voilà un discours qu’il faut maintenant davantage faire entendre dans les établissements du secondaire, faute de quoi les classes préparatoires se couperont de leur base.