Georges Gusdorf, philosophe et épistémologue français du XXe siècle, dessine une distinction entre la force et la violence, deux notions souvent confondues : il conteste ainsi l’idée largement répandue selon laquelle la force serait une manifestation de la violence. Bien plus, ces deux notions seraient selon lui antithétiques. Tu pourras ainsi utiliser cette différence entre force et violence dans ta copie de Culture Générale sur le thème de la violence, pour ajouter plus de subtilité à ta dissertation !

Une réhabilitation de la véritable force

Dans La Vertu de la force, Gusdorf cherche à réhabiliter la notion de force, connotée trop négativement aujourd’hui, selon lui. En effet, au fil des progrès techniques, la force physique des hommes est devenue de moins en moins nécessaire ou valorisée, ce qui menace de rendre l’humanité de plus en plus fragile.

La force véritable renvoie en réalité au « chant profond de l’être manifestant sa résolution » , c’est-à-dire à son aptitude à vaincre son environnement et les événements qui lui arrivent : l’homme doit pouvoir s’affirmer personnellement dans le monde, se rendre maitre de l’événement.

L’homme fort, c’est donc celui qui décide de faire face au monde. Ainsi, « la force consiste à parier toujours pour l’humain, à faire confiance à l’homme en soi-même” , mais aussi “en autrui » .

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Le recours à la violence est synonyme d’échec de la relation à autrui

Avec l’introduction de la violence dans une relation entre deux individus, l’équilibre entre eux est rompu : il y a maintenant un dominant et un dominé. Le dominant ne cherche plus à convaincre légitimement l‘autre.

Or, c’était justement cette liberté laissée à son interlocuteur de choisir ou non d’adhérer à son propos qui permettait de maintenir la reconnaissance et le respect de l’autre. Le déséquilibre introduit par la violence est donc la conséquence de l’échec du dialogue entre les individus, et introduit une hiérarchie avec le dominant à la tête :

La violence est cette impatience dans le rapport avec autrui, qui désespère d’avoir raison par raison et choisit le moyen court pour forcer l’adhésion.

Mais, selon Gusdorf, c’est en réalité une marque de la propre faiblesse du dominant, puisque c’est le résultat de son échec à convaincre l’autre ou d’affirmer son autorité de manière pacifique. L’usage de la violence serait alors un recours lié au désespoir, le violent se laissant soumettre à ses frasques, submergé par ses émotions qu’il est incapable de contrôler. La violence est donc à l’opposé de la force, et nie l’humanité de l’autre.

La violence nie la qualité d’humain de l’autre

Avoir recours à la violence, c’est en effet renier l’humain en l’autre, là où il s’agit de refuser de le traiter en égal « en esprit ou en valeur » :

Le violent désespère l’humain et rompt le pacte de cette entente entre les personnes où le respect de chacun pour chacun se fonde sur la reconnaissance d’un même arbitrage en esprit et en valeur.

Ce faisant, en cherchant à affirmer sa supériorité, le violent nie l’humain en son interlocuteur. Cette réification de l’autre est condamnable selon Gusdorf, et ne doit donc pas être confondue avec la vraie force, qui se fait sans contrainte. A l’inverse de la force, qui édifie et construit une relation, la violence se fait sans obtenir le consentement d’autrui, et est donc destructrice : non seulement des relations interpersonnelles, mais plus grave encore, de la reconnaissance d’existence de l’autre en cherchant à l’asservir. Plus encore que l’annihilation de l’autre par son asservissement, la violence conduit à une destruction du violent lui-même.

Toute violence est destruction de soi

 En effet, la violence suppose une perte de contrôle de soi, amplifiée à mesure qu’il se rend compte qu’il n’a aucun moyen de vaincre son entourage par ses propres moyens sinon par la violence. Il se rend compte de son impuissance. Dès lors, le violent, une fois son calme retrouvé, prend conscience de ses excès et il regrette alors ses frasques et en a honte. Il y a ainsi une corrélation entre le mal fait à autrui, et le mal fait à soi-même :

Toute violence, par-delà le meurtre du prochain, poursuit son propre suicide. Elle est en effet destruction de soi (…). Celui qui traite l’autre comme un sous-homme devient lui-même un sous-homme.

Or, dans certains cas, le violent n’arrive plus à se posséder, à retrouver son calme : dès lors, il fait confiance à la violence, et n’a recours qu’à elle.

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La violence nourrit la violence

La violence devient alors auto génératrice : elle s’amplifie sans cesse, et la frénésie et la brutalité du violent ne peut que se décupler. Gusdorf mentionne par exemple l’usage de la terreur (inquisition, camps de concentration, dragonnades) des persécutions et de la guerre : autant d’exemples où l’humanité s’est finalement meurtrie elle-même.

La violence une fois déclenchée s’enivre d’elle-même par un effet d’accélération ; elle fait boule de neige et, comme enchantée par son propre déchainement, elle ne s’arrêtera plus.

La violence n’apporte aucun fruit

L’individu violent utilise la violence en vue d’obtenir un bien précis, de parvenir à ses fins. Mais, nous explique Gusdorf, ce que l’on récolte par la violence n’est pas en réalité ce que l’on cherchait au départ.

Par exemple, dit-il, ce n’est pas parce qu’un homme bat sa femme qu’il va obtenir son amour ; ce n’est pas non plus en persécutant une communauté qu’elle va adhérer aux idées du violent. Paradoxalement, l’usage de la violence éloigne donc ce qu’elle cherchait à obtenir à l’origine :

Ce qui est obtenu par violence demeure en effet sans valeur.

Conclusion

Le recours à la violence est souvent la conséquence de la peur ressentie par un individu lorsqu’il prend conscience de sa fragilité, de son sentiment d’infériorité. Humilié, il use de la violence pour asservir autrui, mais se retrouve en réalité lui-même soumis à ses propres passions. L’usage de la violence nie ainsi l’humain, et est l’opposé de la force.

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