norbert elias

Dans cet article, nous allons étudier la théorie exposée par l’historien et sociologue Norbert Elias dans son ouvrage Sur le processus de civilisation, paru en 1939. Il y décrit l’évolution du processus de civilisation entre le IXème et le XXème siècle, qui est intimement lié à la place que prend la violence dans nos sociétés, ainsi que son rapport avec le sport, lieu d’expression de cette dernière.

Le processus de civilisation entraine une diminution de la violence dans le sport

Le renforcement des normes sociales et la réglementation du sport

Sur le processus de civilisation décrit l’évolution de nos sociétés vers des sociétés d’individus « civilisés ». Elias observe ainsi qu’entre le IXème et le XXème siècle a lieu une diminution de la violence au sein de la société civile. De manière concommitante, il remarque la création d’un monopole étatique de la violence.

Ainsi, Elias décrit comment, à partir de la Renaissance, les normes sociales ont été renforcées, entrainant un contrôle plus strict des actions de la population. Cela se traduit, par exemple par des contraintes vestimentaires ou des règles d’attitudes corporelles plus strictes dans la Cour du roi.

Dans le sport, ce plus grand contrôle se traduit par une inflation des règlements. Les règles de jeu, autrefois transmises à l’oral sous forme de coutumes, sont écrites. Le respect du collectif, de l’arbitre et la nécessaire coopération dans les sports collectifs aident à diminuer la violence. Elias résume ainsi, dans son ouvrage Sport et Civilisation :

Si l’on compare nos activités de loisir avec celles des époques passées, on voit aisément que seules ont survécu celles qui pouvaient être adaptées, compte tenu de la vive répugnance suscitée par les activités où des êtres humains s’infligent mutuellement des blessures physiques.

C’est à partir de cette période que la violence se centralise peu à peu dans les mains des hommes au pouvoir. On parlera plus tard de monopole de la violence légitime pour parler de l’état actuel de nos sociétés dans lesquelles l’Etat s’est approprié le monopole de la violence physique. Selon Elias, le pouvoir s’est accaparé le monopole de la violence légitime dans nos Etats-Nations.

La répulsion face à la violence dans le sport

Par ailleurs, la diminution de la violence dans nos Etats-Nations s’explique aussi par la formation d’une conscience morale individuelle. Cette conscience morale a fait diminuer le seuil d’acceptation de la violence. Ainsi, Elias souligne que le sentiment de répulsion à la vue d’une scène violence est bien plus important aujourd’hui qu’il ne l’était dans l’Antiquité.

C’est notamment le cas dans le sport : Elias prend l’exemple de la pancrace, une forme de lutte pratiquée dans la Grèce Antique. Un autre exemple plus parlant est celui de la soule, ancêtre du rugby : en effet, durant les matchs de soule, il n’était pas rare de déplorer des morts dans l’une ou l’autre des équipes s’affrontant.

Enfin, il faut remettre cette période de la Renaissance en perspective en rappelant qu’elle est aussi une période de dé-mythologisation de l’Antiquité. Cela explique pourquoi nos ancêtres ont ainsi tourné le dos aux coutumes, notamment dans le sport, qui étaient héritées de l’Antiquité.

Pourtant, le sport reste le lieu privilégié de l’expression de la violence en société

La fonction du sport : exprimer la violence

Si le sport est un moyen « d’apprentissage du contrôle et de l’autocontrôle des pulsions » , il reste pourtant un « espace toléré de débridement des émotions ».

Ainsi, Elias considère le sport comme une sorte d’extraterritorialité juridique : dans le sport, des comportements plus violents et plus déviants, seraient acceptés. C’est précisément la fonction du sport, comme il le souligne dans son livre Sport :

La plupart des sociétés humaines proposent des mesures pour se protéger contre ces tensions qu’elles créent elles-mêmes. Dans les sociétés ayant atteints un niveau relativement avancé de civilisation […] il existe une grande variété d’activités de loisir, dont le sport, qui ont précisément cette fonction.

Comment expliquer l’augmentation du sentiment d’insécurité voire de la violence au sein de certains pays ?

Elias remarque que même dans des pays « civilisés », le sentiment d’insécurité augmente. Rappelons qu’il écrit dans les années 30, à une période où les tensions s’accroissent en Europe. Cependant, sa réflexion s’applique aussi à nos sociétés actuelles, notamment en Europe, où le sentiment d’insécurité grandit aussi ; mais Elias laisse cette question en suspens.