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La branche émergente de l’économie, appelée « économie du développement », qui étudie les causes du sous-développement et les moyens d’y remédier, a vu le jour dans les années 1950-1960 avec les travaux de Lewis. Cette discipline se distingue des « théories du parcours obligé » telles que celles de Rostow et Solow, critiquées pour leur ethnocentrisme et leur linéarité. Contrairement à ces approches, l’économie du développement ne se limite pas à une analyse unidimensionnelle. Il est important de connaître ces analyses afin d’avoir des éléments théoriques de réponse à tous les sujets reposant sur le développement ou sur les pays en développement. Ceci est la première partie de l’article et concerne les causes internes du sous-développement. Nous verrons dans la seconde partie les explications externes (dites « tiers-mondistes »).

 

Introduction

La première génération de chercheurs en économie du développement, souvent qualifiée d’approche « développementiste », a examiné le sous-développement à travers le prisme de l’intervention étatique. Ils ont suggéré que la meilleure solution pour sortir du sous-développement était une allocation plus efficace des investissements.

Cependant, cette approche était hétérodoxe, tout en restant ancrée dans le cadre référentiel existant. Notamment avec les travaux de Prebisch qui reprenaient le cadre théorique de Ricardo en économie internationale.

 

Certains chercheurs ont avancé différentes opinions concernant le sous-développement

Certains ont considéré le sous-développement comme un cercle vicieux, tandis que d’autres ont souligné le dualisme économique caractérisant les économies sous-développées. Un courant structuraliste, représenté par des économistes comme Myrdal et Hirschman, a analysé le sous-développement en tenant compte de ses aspects structurels et en le considérant comme un phénomène historique. Selon eux, il existait deux types d’économies : les sous-développées, caractérisées par une structure de production hétérogène et désarticulée, et les développées, avec une structure de production homogène et un fonctionnement cohérent du système économique.

Dans les années 1960-1970, une analyse « tiers-mondiste » a émergé, adoptant une perspective néomarxiste. Cette approche expliquait le sous-développement par la domination des pays capitalistes sur le tiers-monde. Rendant ainsi le rattrapage économique impossible, comme le soutenaient des économistes tels qu’Amin et Furtado.

Dans les années 1980, les économistes se sont tournés vers l’orthodoxie néoclassique et le néolibéralisme. Mais depuis les années 1990, l’économie du développement a adopté diverses approches, souvent partielles, pour éviter la simplification excessive. Ces approches sont riches en données et intègrent des concepts issus d’autres sciences sociales. Reflétant ainsi la complexité du sous-développement économique.

 

Les dysfonctionnements des économies du tiers-monde

Certains travaux soulignaient les « cercles vicieux du sous-développement »

Rosenstein-Rodan, sa politique de croissance équilibrée et son « big push »

Les dysfonctionnements des économies du tiers-monde ont été abordés à travers diverses analyses qui mettaient en lumière les cercles vicieux du sous-développement. P. Rosenstein-Rodan, dans son ouvrage Problèmes de l’industrialisation de l’Europe de l’Est et du Sud-Est publié en 1943, a identifié les obstacles à la croissance dans les pays d’Europe de l’Est. Il a souligné l’étroitesse du marché intérieur, avec une population parfois insuffisamment solvable.

Plus particulièrement, il a pointé du doigt les goulets d’étranglement, où les investissements industriels ne trouvaient pas de relais dans des activités complémentaires. Cela créait un cercle vicieux où la production stagnait en raison du manque de demande. Entraînant ainsi des revenus insuffisants pour les entreprises.

Rosenstein-Rodan a proposé une solution sous la forme d’une « politique de croissance équilibrée » qui consisterait à promouvoir simultanément le développement de différents secteurs économiques, en mettant l’accent sur les investissements dans les infrastructures pour bénéficier d’économies d’échelle. Il a préconisé un « big push », un effort massif d’investissement, avec une intervention volontariste de l’État.

Cependant, ces idées ont été critiquées par des économistes tels que Krugman, qui ont souligné le caractère approximatif de la littérature de Rosenstein-Rodan. Ils ont relevé l’absence de modélisation précise, d’hypothèses claires et d’une prise en compte adéquate des économies d’échelle dans ses propositions. Ces critiques ont mis en évidence les limites de l’approche de Rosenstein-Rodan dans la compréhension des problèmes complexes liés au sous-développement des économies du tiers-monde.

 

Nurkse et les cercles vicieux de la pauvreté

R. Nurkse, dans son ouvrage Problems of Capital Formation in Underdeveloped Countries publié en 1953, a examiné les cercles vicieux de la pauvreté qui maintenaient les pays sous-développés dans un état de stagnation économique. Il a identifié un ensemble de forces interagissant de manière circulaire, créant ainsi une situation où un pays pauvre restait piégé dans la pauvreté. Nurkse a mis en avant l’importance de faciliter l’épargne nationale, mais il a également souligné que les économies sous-développées étaient bloquées à la fois du côté de l’offre (manque de ressources et de capacités productives) et de la demande (faible pouvoir d’achat).

Selon Nurkse, la solution résidait dans l’apport de capitaux externes pour briser ce cercle vicieux. Cependant, ses idées ont été critiquées de plusieurs façons. Certains ont considéré son argumentation comme tautologique, soulignant que ses propositions semblaient simplement confirmer l’état existant sans fournir de véritables solutions innovantes. D’autres, comme Lewis, ont contesté l’importance de l’offre, arguant que le problème résidait davantage dans la répartition inéquitable des revenus et dans le faible niveau d’épargne et d’investissement, en grande partie en raison de l’absence d’incitations suffisantes pour investir.

De plus, les critiques ont noté que l’approche de Nurkse ne mettait pas suffisamment en lumière les circonstances historiques et politiques qui étaient à l’origine de ces cercles vicieux. En négligeant ces aspects, son analyse semblait incomplète et ne parvenait pas à saisir pleinement la complexité du sous-développement économique dans les pays du tiers-monde.

Voici le cercle vicieux de Nurkse :

Le cercle vicieux de Nurkse

 

Gunnar Myrdal et le processus cumulatif du sous-développement

Dans son ouvrage Théorie économique des pays sous-développés publié en 1957, G. Myrdal a développé la notion du « processus cumulatif du sous-développement ». Il a mis en avant les « effets de remous » qui amplifient les déséquilibres économiques au lieu de diffuser la croissance entre les secteurs de l’économie. Myrdal a souligné que, dans les pays développés, la propagation de la croissance entre les secteurs était plus efficace, alors que dans les pays en développement, les effets de remous l’emportaient, créant ainsi des cercles vicieux cumulatifs.

Cette situation ne se limitait pas à un simple cercle vicieux, mais tendait à empirer au fil du temps. Les ressources supplémentaires, si elles étaient disponibles, ne se propageaient pas de manière équitable, conduisant à la polarisation et à l’accumulation des inégalités. Ce qui freinait considérablement le développement économique.

Myrdal a été l’un des pionniers de l’analyse institutionnaliste du sous-développement. Il a soutenu que les structures institutionnelles, souvent traditionnelles voire féodales, empêchaient la diffusion des richesses en accentuant les effets de remous. Il a avancé l’idée que le sous-développement était également dû à des facteurs non économiques. Myrdal a plaidé en faveur de l’intervention de l’État pour réguler les dysfonctionnements du marché et intervenir dans le domaine social. Notamment en matière de redistribution des richesses. Il a également souligné le poids de la domination des pays riches dans ce processus de sous-développement.

Aujourd’hui, ces analyses sont reprises par les institutions internationales, qui parlent souvent de « trappe à pauvreté ». Elles orientent l’aide internationale sous la forme de politiques de « big push » afin de pallier le manque d’épargne et de rompre le cercle vicieux du sous-développement, en mettant l’accent sur l’intervention étatique et la redistribution des richesses pour favoriser un développement économique plus équitable.

 

Dualisme et mauvaise articulation des économies

François Perroux et « l’inarticulation » des activités économiques

François Perroux a mis en lumière le concept « d’inarticulation des activités économiques » comme l’une des principales causes du sous-développement. Cette inarticulation se manifeste à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il souligne l’absence de coordination géographique, illustrée par des réseaux de transports insuffisants ou trop concentrés sur certaines régions. Cela se traduit par une économie côtière extravertie qui ne communique pas efficacement avec l’intérieur des terres.

Ensuite, Perroux identifie un manque d’articulation sectorielle entre l’agriculture, l’artisanat et l’industrie. Il décrit un dualisme entre un secteur traditionnel ou archaïque et un secteur moderne porteur d’innovations. Cette absence de complémentarité et d’interaction entre ces deux secteurs entrave le développement économique.

Pour remédier à cette situation, Perroux prône une approche de croissance déséquilibrée. Il propose de concentrer les investissements sur un secteur spécifique afin de stimuler une croissance généralisée grâce aux effets d’entraînement et de liaison. L’idée est de ne pas disperser les ressources financières, mais de les investir de manière ciblée dans des secteurs soigneusement sélectionnés pour favoriser le développement économique global.

Cette théorie a été mise en pratique à travers le concept de « l’industrie industrialisante », qui a été appliqué notamment en Algérie. L’idée était d’orienter les investissements vers des industries clés capables de dynamiser l’ensemble de l’économie, en créant des liens et des synergies entre les différents secteurs. Et encourageant ainsi un développement économique plus cohérent et équilibré.

 

Mais cela n’est qu’une étape temporaire

Dans l’ouvrage L’Ordre économique international publié en 1978, l’économiste A. Lewis avance l’idée que le dualisme économique, caractérisé par la coexistence d’un secteur moderne urbain à forte productivité et d’une économie agricole de subsistance, est simplement une étape du développement dans les économies du tiers-monde. Selon Lewis, ce dualisme est une phase transitoire où le secteur urbain moderne crée de l’emploi en absorbant l’excédent de main-d’œuvre du secteur agricole. Cette migration de la main-d’œuvre vers le secteur moderne permet l’accumulation de capital et favorise le développement économique.

Contrairement à la perspective néoclassique, Lewis souligne que les gains de productivité dans le secteur moderne ne se traduisent pas nécessairement par une augmentation des salaires (W), mais plutôt par une accumulation de capital (K). Pour Lewis, le développement économique se réalise par l’extension du secteur moderne. Mais un obstacle majeur réside dans le besoin d’investissements pour soutenir la production intérieure.

Lewis insiste sur l’importance de trouver un équilibre entre l’intervention de l’État dans l’économie et l’intégration dans le commerce international. Il met en avant la question de la dépendance économique et souligne la nécessité de trouver des stratégies de développement qui permettent aux économies du tiers-monde de tirer parti des avantages du commerce international, tout en protégeant leurs industries naissantes et en promouvant l’investissement intérieur.