crise

Souvent oubliée, la crise financière de 1907 est pourtant une crise majeure dans l’histoire économique, avec des conséquences importantes. Elle illustre trois thèmes : les dangers de la spéculation après une période d’euphorie sur les marchés, l’importance de la confiance en économie et le rôle des banques centrales.

« La crise de 1907 n’a pas été sans conséquence, elle a donné l’impulsion de la création de la Fed. » Eichengreen (2012)

 

Ailleurs en Europe

La Bank of England (BOE) date de 1694. Alors chargée de la dette publique, elle va peu à peu se charger de l’émission des billets (Bank Charter Act de 1826). Rapidement, au gré des crises, elle agit en tant que prêteur en dernier ressort (Bagehot, 1873) et va réellement s’imposer comme « banque centrale ». Elle se présente aussi comme figure de proue du système d’étalon-or (suivant les principes de la Currency School), avec une couverture or de 100 % sur ces billets émis. Enfin, de 1694 à 1946, la banque d’Angleterre devient indépendante, puis nationalisée en 1946.

En France, la Banque de France a été créée sous l’égide de Napoléon Bonaparte en 1800. En 1848, elle obtient le monopole d’émission de monnaie et agit déjà en tant que prêteur en cas de crise. Elle est nationalisée en 1945.

Dans le cas allemand, il faudra attendre 1875 pour voir apparaître la formation de la banque centrale allemande avec la banque de Prusse (La Reichsbank). Elle va opérer jusqu’en 1945. Finalement, en 1957, la Bundesbank (la BuBa) voit le jour. Contrairement aux deux précédentes, pendant toute la seconde partie du XXe siècle, celle-ci restera indépendante du pouvoir politique et ne sera pas nationalisée (la BCE s’est d’ailleurs inspirée de son fonctionnement).

Mais alors que toutes les grandes puissances économiques occidentales sont pourvues d’une Banque centrale agissant en prêteur en dernier ressort, les États-Unis, eux, ne suivent pas encore cette dynamique. Et ce, jusqu’en 1913.

 

La crise financière de 1907 et la chute du Knickerbocker Trust

Joseph French Johnson (1908) souligne que le secteur bancaire est soumis à deux besoins particuliers : 

  • Une monnaie élastique.
  • Une solidarité financière.

 

Un événement particulier mettra en lumière ce dernier point et le danger d’une absence de prêteur en dernier ressort aux États-Unis : la crise de 1907 et la chute du Knickerbocker Trust (une grande banque américaine de l’époque).

 

La sphère financière avant 1907

La crise de 1907 succède à une période d’euphorie financière. Entre 1892 et 1907, les montants associés aux obligations ont bondi de 50 000 000 $ à 487 000 000 $. De même, les fonds gérés par des trusts et banques d’investissement ont été multipliés par cinq. Enfin, les prêts accordés par ces mêmes sociétés ont aussi très largement augmenté (de 142 millions à 785 millions de dollars). 

Néanmoins, dès 1906, les premières tensions spéculatives et obligataires apparaissent avec un nombre important d’émissions d’obligations par diverses entreprises (de chemin de fer, majoritairement). Au même moment, outre-Atlantique, la banque d’Angleterre relève son taux d’escompte en 1906, passant de 3,5 % à 6 %. Cette action a pour conséquence de dévaloriser les titres émis par les banques et sociétés américaines, laissant apparaître une fuite des capitaux vers le continent européen. 

Dès les premiers mois de l’année 1907, le marché subit des baisses importantes. Malgré cela, Johnson (1908) estime que les industries et les firmes étaient solides et que rien ne pouvait laisser présager une crise d’une telle ampleur. Selon lui, c’est en fait le système bancaire et monétaire qui était intrinsèquement instable.

 

L’élément déclencheur : la chute du Knickerbocker Trust

La crise de 1907 est ce qu’on appelle une crise de liquidité. C’est-à-dire une crise marquée par un manque de confiance globale autour de la sphère financière et l’insolvabilité de certains agents économiques. 

Le 14 octobre, un investisseur, Otto Heinze, avec l’appui du Knickerbocker Trust, a tenté un « short squeeze » en achetant massivement des titres d’une société : United Copper. L’objectif affiché était de forcer les vendeurs à découvert de lever leur position. Or, tout ne s’est pas passé comme prévu. Heinze a en effet acheté de nombreuses actions de l’entreprise, faisant grimper les cours de 39 $ à 60 $. Insuffisant cependant pour que tous les vendeurs à découvert abandonnent leurs positions. Dans les jours qui suivent, le cours s’est effondré, laissant Otto Heinze ruiné.

Ces actions et ces pertes ont secoué le secteur bancaire et ont déclenché un « bank run » (Diamond et Dybvig, 1983). De nombreux déposants se sont rués au guichet afin de récupérer leur argent. Le Knickerbocker et d’autres établissements bancaires contrôlés par la famille Heinze étaient en proie à une panique bancaire.

La confiance étant rompue sur les marchés, plusieurs autres banques ont dû faire face à des retraits massifs (dus aux comportements mimétiques des agents), menaçant beaucoup d’entre elles de faillite. La crise ne s’étend plus seulement à la sphère financière, mais menace la sphère réelle. La confiance étant ébranlée, les prêts à court terme (surtout utilisé par les courtiers) étaient eux aussi compromis, faisant plonger drastiquement les cours boursiers.

Toute la sphère financière américaine subissait de plein fouet la chute du Knickerbocker Trust. Les réserves des banques américaines sont passées de 219 millions de dollars à 177 millions en 1907. Tandis que les cours boursiers ont chuté de plus de 20 % entre 1906 et 1908.

 

La sortie de crise

Dans ce cas précis de crise de confiance, l’économie a plus que besoin d’un système stable et bien structuré afin d’éviter que la crise financière se propage à la sphère réelle. Or, dans le cas de la crise de 1907, aucun agent (ni institution) n’était désigné préalablement pour agir en cas de crise de liquidité ou d’insolvabilité des agents. Il faudra attendre l’intervention de trois protagonistes : J. P. Morgan, The New York Clearing House Association et l’intervention fédérale. 

En effet, pour contenir la crise, The New York Clearing House Association a émis des certificats de prêts, une première action de rétablissement de la confiance. Dans le même temps, le Trésor américain a offert son soutien à l’aide de fonds publics. Enfin, un certain J. P. Morgan a formé un « pool bancaire » afin d’accorder des liquidités aux établissements le nécessitant face aux retraits massifs.

 

La création de la Fed

Après la crise, The National Monetary Commission est créée le 30 mai 1908. Cette instance, présidée par le sénateur Nelson W. Aldrich, est chargée d’identifier les changements souhaitables à propos du système monétaire américain. Il faudra attendre 1912 pour que le rapport issu de cette commission soit présenté au Congrès.

Ainsi, en 1913, le National Reserve Act est promulgué, la Federal Reserve est née. La loi lui fixe deux objectifs, le « double mandat » : assurer la stabilité des prix et favoriser le plein-emploi, tout en maintenant des taux d’intérêt modérés à long terme. Elle n’a pas d’objectif d’inflation clair et précis, contrairement à la BCE (2 %).

Dans le même temps, la création d’une Banque centrale nécessite d’importantes réserves, notamment d’or. De ce fait, les États-Unis vont ainsi profiter de la guerre en Europe afin de répondre à ce besoin. En effet, le commerce avec la France et le Royaume-Uni va s’intensifier avec les besoins en vivres, armements et matériaux de ces pays. Les importations d’or et d’argent vont ainsi être multipliées par deux entre 1913 et 1920, passant de quatre milliards à huit milliards. Le Royaume-Uni et la France vont alors régler leurs achats en or et non plus en monnaie fiduciaire. Les stocks d’or des États-Unis ont doublé entre 1913 et 1920, pour représenter 35 % du stock mondial d’or en 1920 (Kitchin, 1921).

 

Pour en savoir plus sur les banques centrales, tu peux consulter cet article.