Voici le sujet d’ESH HEC 2016 : https://major-prepa.com/

Dernière épreuve de ces concours, et non des moindres, l’épreuve d’ESH HEC a surpris cette année. Une petite lecture avant de partir en vacances s’impose !

Quelques remarques:

– C’est un sujet assez atypique pour HEC. Ces dernières années l’école avait privilégié des sujets d’actualité ou des sujets complexes (avec des mots souvent compliqués à définir comme “institution”, “crédibilité”, “équité”, etc…). On est en présence d’un sujet de cours (sur la courbe de Phillips) que la plupart des manuels traitent. Lorsqu’un sujet de cours tombe, c’est assez dur de faire la différence parce que tout le monde est équipé. Notons que le mot “encore” implique une certaine dynamique dans le sujet. il sous-entend que les états ont pu faire cet arbitrage (avec succès) par le passé. Que s’est-il passé depuis?  L’arbitrage suppose d’être bien analysé, quel en sont les outils, les conséquences, etc.

– Un premier paradoxe qui apparaît est qu’on parle d’État alors que la politique monétaire est du ressort de la BCE en Europe que celle-ci est indépendante et qu’elle a une politique de règle (conformément à la théorie de KYDLAND & PRESCOTT dans Rules rather than Discretion en 1977).  La politique budgétaire est, elle aussi, limitée par des règles supranationales comme le Pacte de Stabilité et de croissance (1997) devenu Pacte Budgétaire Européen (2012).

– Il y a des disparités entre les pays. Tous n’ont pas les mêmes objectifs, ni les mêmes problèmes et encore moins les mêmes institutions. La Fed aux États-Unis n’a pas la même mission que la BCE. Elle a des objectifs plus larges: lutte contre l’inflation, lutte contre le chômage et soutien de la croissance.

– Aujourd’hui on parle de plus en plus de déflation (ou de spectre de la déflation) que d’inflation!

– Le chômage ne peut pas être pensé que d’un point de vue conjoncturel (carré magique, courbe de Phillips, IS/LM) il a une dimension structurelle. C’est surtout cette dernière qui pose problème dans un pays comme la France.

– Parmi les auteurs attendus, on peut citer KEYNES, PHILLIPS (pour la relation de Phillips), SAMUELSON (courbe de Phillips), FRIEDMAN et SARGANT (remise en question de la courbe de Phillips avec les anticipations adaptatives et rationnelles) ou encore AKERLOF, DICKENS & PERRY (nouvelle courbe de Phillips).

– Dernière remarque pour les aspirants énarques: l’inflation tout comme l’emploi, ça ne se décrète pas par une autorité supérieure. C’est le fruit de l’activité des agents économiques, de leurs anticipations, de leurs intérêts, etc… N’en déplaise aux énarques bien installés dans leurs mocassins à glands assis dans leurs voitures de fonction payées par le contribuable. Le retour à l’inflation ou l’inversion de la courbe du chômage ne se décrètent pas ! Tout ne dépend pas de l’État et de ses arbitrages.

I) Les États ont pu et peuvent encore faire un arbitrage entre l’inflation et le chômage

A. La relance en 2008-2009. Face à la crise de 2008-09 (les pays de l’OCDE connaissent en moyenne une récession de 4,5%) , les États et les banques centrales ont fait le choix de politiques inflationnistes (baisse des taux d’intérêt directeur, injection de liquidité, prime à la casse pour soutenir le marché automobile et éviter une chute des prix, etc..).

B. Les grands modèles keynésiens. La relance de 2008 s’enracine dans la tradition keynésienne. Dès les années 1930, KEYNES met en évidence l’importance de l’action conjoncturelle et contracyclique des États. Ils peuvent agir sur l’inflation et l’emploi, mais aussi utiliser l’inflation pour l’emploi. On retrouve ces idées dans les grands modèles keynésiens: courbe de Phillips, carré magique de KALDOR, modèle IS/LM de HICKS (1937) et HANSEN (1956)

C. Les trente glorieuses marquent l’avènement du keynésianisme. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: TCAM de 5% en France, chômage de 3% (MARCHAND & THELOT parlent d’une “période de plein emploi, voire de suremploi”), mais au prix d’une inflation rampante comme l’ont montré LORENZI, PASTRÉ & TOLEDANO (La crise du XXème siècle). En période de surchauffe les États luttent contre l’inflation, par exemple en 1952 avec le plan PINAY en 1958 avec le plan PINAY-RUEFF.

II) Depuis les années 1980, l’arbitrage entre inflation et chômage par les États semble avoir été largement remis en question alors même que la théorie keynésienne souffre de l’influence de ses détracteurs.

A. Factuellement : les chocs pétroliers remettent en question la validité de la courbe de PHILLIPS (le chômage et l’inflation progressent simultanément). La stagflation décrédibilise les politiques keynésiennes. Au même moment l’ouverture économique réduit l’efficacité de la relance keynésienne (échec de la relance CHIRAC en 1974) et la globalisation financière remet en question le modèle IS/LM (comme l’ont théorisé MUNDELL & FLEMMING avec le modèle IS/LM/BP).

B. Théoriquement. Dans les années 1970-80 s’opère aussi et surtout un changement de paradigme. On assiste au retour des théories classiques et néoclassiques (HAYEK). Puis les monétaristes avec FRIEDMAN (Inflation et système monétaire, 1968) remettent en question l’action keynésienne et la courbe de Phillips. En effet, l’illusion monétaire n’existant qu’à court terme, la relance monétaire ne peut que réduire le chômage de manière fallacieuse et transitoire (anticipation adaptative). Pour les nouveaux classiques (SARGANT, LUCAS) les agents ne sont jamais victimes de l’illusion monétaire et toute relance monétaire ne peut qu’augmenter l’inflation sans réduire le chômage (anticipation rationnelle).

C. Institutionnellement. Ces théories ont influencé le personnel politique (REAGAN, THATCHER) et ont motivé des changements institutionnels. Les banques centrales seront rendues indépendantes et auront à suivre des politiques de règles pour éviter les incohérences temporelles (KYDLAND & PRESCOTT, 1977) ainsi que les problèmes d’extraction du signal (LUCAS). En Europe cela se fait lors du traité de Maastricht (1992) en particulier à travers les articles 104 et 105 du traité qui prévoient que la BCE sera indépendante et aura un objectif de maintien de l’inflation autour de 2%. La politique monétaire va donc être séparée de la politique budgétaire et rendue indépendante, les États ne peuvent donc plus vraiment faire d’arbitrage, la banque centrale peut le faire. De leur côté les États peuvent utiliser la politique budgétaire pour lutter contre le chômage, mais ce levier se heurte à la crise des dettes publiques.

III) Il convient donc de redéfinir les relations entre chômage et inflation ainsi que l’influence de l’état sur ces dernières.

À l’heure du spectre de la stagnation séculaire et de la menace de la stagnation séculaire, les États doivent tenter de renouer avec l’inflation et l’emploi grâce à des politiques structurelles (et pas seulement conjoncturelles) et en soutenant l’innovation.

A. Une pression pour privilégier le chômage sur l’inflation. Pour COTTA (Une glorieuse stagnation), on peut repenser la courbe de Phillips dans le cadre d’un conflit de générations. Les retraités dotés d’une forte épargne sont hostiles à l’inflation (“euthanasie des rentiers” pour KEYNES) et donc souhaitent une politique monétaire restrictive. Les actifs sont, eux, en faveur d’une politique monétaire inflationniste qui serait favorable à l’emploi.

B. Un manque de maîtrise des États sur ces deux variables macroéconomiques. Les États ne semblent plus parvenir à réduire le chômage par des mesures conjoncturelles ou par des politiques de l’emploi (actives comme passives). De même, les banques centrales ne parviennent pas à relancer l’inflation. On parle d’un “spectre de la déflation”. Les politiques de Quantitative Easing butent sur la trappe à liquidité.

C. Une vision plus structurelle pour renouer avec la croissance, l’emploi et l’inflation. À l’heure de la stagnation séculaire (SUMMERS, GORDON, COWEN) ou de la menace de celle-ci, la solution pour relancer l’emploi, l’inflation et la croissance passerait par des mesures structurelles (politique de l’emploi structurelle, réformes structurelles, économie de la connaissance…. ) et un soutien à une croissance schumpétérienne basée sur l’innovation. L’innovation permettrait de susciter la croissance, créer des emplois (malgré la “destruction créatrice”) et in fine une hausse du niveau général des prix.

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Arnaud LABOSSIERE


Passé par HEC, Arnaud Labossière enseigne l’économie en classe préparatoire et sur Livementor. Il est l’auteur du manuel L’Essentiel de l’histoire économique (éd. Sonorilon), qui compte parmi les ouvrages les plus vendus de la catégorie. Il y analyse chacune des parties du programme d’ESH sous un angle à la fois historique et théorique, en distinguant pour chaque chapitre le XIXème siècle, le XXème siècle et l’actualité récente. Le manuel est structuré en paragraphes « prêts à l’emploi » pour la dissertation avec des couples théorie-exemple.

Arnaud Labossière est également le créateur de l’application KHUUBE, qui permet de ficher automatiquement ses cours.