régulation

L’école de la régulation est un courant de pensée économique qui a émergé d’une réinterprétation des idées de Marx par Althusser, des concepts des institutions par l’école philosophique de Michel Foucault, ainsi que de l’influence majeure de Bourdieu qui a mis en évidence la complexité des mécanismes de reproduction du capital. Il est important de la connaître afin d’avoir une corde supplémentaire à son arc en cas de sujets portant sur les crises, les institutions ou la monnaie.

 

Introduction

Cette école fait partie d’un mouvement plus vaste, appelé les « hétérodoxes », qui rejette les hypothèses de la théorie économique dominante. Ces derniers adoptent une approche davantage littéraire, rejetant la surformalisation mathématique qui, selon eux, s’oppose aux nouvelles réalités économiques et remet en question les prétendues « vérités scientifiques ».

L’école de la régulation a vu le jour en France et regroupait, dans les années 1970 et 80, des économistes nés après la Deuxième Guerre mondiale tels que le chef de file Robert Boyer ou encore M. Aglietta, A. Lipietz, A. Orléan, J. Mistral, entre autres. On retrouve également des partisans de cette école en Allemagne (J. Hirsch), aux Pays-Bas avec l’école d’Amsterdam, et aux États-Unis (D. M. Gordon, Samuel Bowles, Thomas Weisskopf).

 

Les principaux objectifs de l’école de la régulation

Ils sont de rendre compte des dynamiques économiques en mouvement et de mettre en lumière le contenu social des relations économiques pour dévoiler les conflits dont l’économie est le terrain. Pour cela, elle intègre les apports des sciences sociales dans leur ensemble pour mieux comprendre les changements économiques et sociaux.

Pour Boyer, on entend par régulation « la conjonction de mécanismes concourant à la reproduction d’ensemble, compte tenu des structures économiques et des formes sociales en vigueur ». Selon Aglietta, « c’est une approche holiste, à l’intersection entre un marxisme structuraliste historisé et une macroéconomie keynésienne fondée sur les paradoxes du passage du niveau microéconomique à la macroéconomie », École de la régulation et critique de la raison économique (1994).

Cette école se distingue de la théorie walrasienne, en rejetant son individualisme et l’idée d’équilibre de marché. Elle s’éloigne également de la synthèse néoclassique de Samuelson et Arrow. Au lieu de cela, elle se présente comme une synthèse entre le marxisme, le keynésianisme et l’institutionnalisme :

Du marxisme, elle adopte la théorie des crises du capitalisme, tout en rejetant la théorie de la valeur travail.

Du keynésianisme, elle s’inspire de la théorie macroéconomique, mais néglige les rapports sociaux.

De l’institutionnalisme, elle emprunte la définition de l’institution comme un « armistice social ».

Cependant, on lui reproche l’absence de concepts centraux opérationnels. Sa principale démarche est de rompre avec le courant dominant et l’holisme, dans le but de faire émerger une nouvelle approche et de se défaire des normes de l’analyse économique dominante.

 

La typologie des crises

Les régulationnistes proposent une typologie en quatre classes pour classer les crises économiques. Ils s’opposent ainsi à la classification tripartite basée sur la périodicité des cycles et à la prophétie de la catastrophe finale de Marx. Cette nouvelle typologie se subdivise en deux catégories distinctes.

 

Les petites crises conjoncturelles

Type 1 : Ce sont de simples perturbations accidentelles qui n’affectent pas profondément l’économie.

Type 2 : Ces crises sont liées au fonctionnement normal du système économique et ont un effet purgatif. Elles correspondent aux récessions et permettent de corriger certaines distorsions.

 

Les grandes crises structurelles

Type 3 : Ces crises sont plus graves et représentent des crises de régulation importantes. Un exemple est la crise de 1929, qui a eu des répercussions mondiales.

Type 4 : Ce sont des crises de régulation qui s’accompagnent également d’une crise du régime d’accumulation, comme celles liées à la mondialisation.

Boyer définit le régime d’accumulation comme l’ensemble des régularités qui assurent une progression générale et relativement cohérente de l’accumulation du capital. Ce qui permet ainsi de résorber ou d’étaler dans le temps les déséquilibres qui surgissent continuellement du processus économique lui-même.

Selon cette école, le cycle long est remplacé par des périodes stabilisées (comme les Trente Glorieuses) et des phases de transition et de rupture qui correspondent aux périodes de crise. Le concept central devient alors le mode de régulation. Les crises ont pour objectif de créer les conditions propices à une nouvelle régulation, comme celle des années 1970 qui nécessitait une modification des institutions pour s’adapter aux changements économiques en cours.

 

Les institutions comme mécanisme de régulation

Il existe cinq institutions qui permettent de formaliser une vision de l’évolution historique des sociétés contemporaines (opposition entre État gendarme et État providence, par exemple). L’accumulation du capital, extensive au XIXe siècle, devient intensive au XXe siècle.

Les crises sont souvent liées à l’absence de débouchés (décalage entre hausses de la productivité et des salaires), ce qui fait émerger la notion de « compromis fordiste ». La régulation fordiste permet à la production et à la consommation d’avoir une évolution synchronisée.

 

Le rapport salarial

Il englobe l’ensemble des conditions juridiques et institutionnelles qui régissent l’utilisation du travail salarié et la reproduction de la vie des travailleurs. Cinq éléments le composent : l’organisation du processus de travail, la hiérarchie des qualifications, la mobilité des travailleurs, le principe de formation des salaires et l’utilisation du revenu salarié.

Le travail est considéré comme un compromis entre la résistance des organisations de travailleurs et l’objectif de rationalisation du capitalisme.

 

La monnaie

Les régulationnistes rejettent l’idée d’une substance de valeur, comme le travail ou l’utilité, et considèrent que le prix est intrinsèquement monétaire.

La monnaie est un processus de socialisation, étant à la fois publique (unité de compte imposée aux individus) et privée (désir individuel de thésaurisation). Elle représente le travail abstrait qui distingue la valeur sociale de la valeur en procès.

 

La concurrence

L’école de la régulation s’oppose à l’autorégulation des marchés et prône une hétérorégulation dans laquelle les marchés ne sont pas les seules institutions déterminant les variables économiques. Ces dernières ne sont pas automatiquement équilibrées et la concurrence n’est qu’une forme de régulation parmi d’autres.

Les régulationnistes soulignent l’impact de la concurrence sur les prix, l’inégalité des revenus et la problématique de la mondialisation.

 

L’État

Il est considéré à la fois comme l’instrument de la lutte des classes et comme un arbitre au-dessus de cette lutte. L’État possède un appareil idéologique (école, médias, syndicats, églises) et un appareil répressif (armée, police, justice). Il joue un rôle organisationnel et intervient dans le jeu économique et social.

L’internationalisation de l’économie crée des défis pour l’État, qui doit s’adapter aux nouveaux besoins de l’appareil productif.

 

Les relations internationales

Les régulationnistes mettent l’accent sur la polarisation des échanges, avec une hiérarchisation des nations en faveur des pays développés et des producteurs de biens d’équipement. Ils décrivent un processus cumulatif en quatre étapes, impliquant des économies d’échelle, des échanges de marchandises, une augmentation de la rentabilité des branches internationalisées et la modernisation des autres secteurs.

La régulation à court terme est influencée par les entreprises multinationales, tandis que celle à long terme dépend du système monétaire international (SMI).

 

Conclusion

L’école propose une nouvelle formulation de la théorie économique qui s’éloigne de l’équilibre général, rejetant un concept dichotomique de l’économique et du social (le marché est le résultat d’une mise en forme de l’espace social). Ce qui justifie son jugement de l’école néoclassique, qui n’est pas indépendante de l’espace social dans lequel elle est apparue.

La régulation développe une vision historique des modes de pensée. Depuis quelques années, cette vision est prolongée dans le cadre du capitalisme patrimonial dirigé par la finance : la régulation est assurée non plus par l’État, mais par les marchés, notamment financiers. La théorie reste contingente à la situation historique : l’émergence du concept de « fracture sociale » illustre une nouvelle interprétation en termes non plus de classes, mais de groupes sociaux.

Par son effort de synthèse entre Marx et Keynes et son souci d’expliquer les évolutions historiques actuelles, l’école de la régulation est assez séduisante. Mais elle souffre d’une insuffisance théorique et ne débouche pas sur des recommandations précises de politique économique conjoncturelle, même si elle peut toutefois se traduire par des orientations en matière de politique structurelle. Cependant, elle ne donne pas les clés pour savoir ce que serait une bonne régulation.