Evo morales

À l’occasion de l’annonce du report de la présidentielle bolivienne, Major-Prépa s’est chargé de réaliser une fiche pays sur la Bolivie. Tout comme celles réalisées sur l’Équateur, le Guatemala, l’Uruguay et le Pérou, l’objectif sera de te synthétiser la situation économique et politique de ce pays considéré comme le plus pauvre d’Amérique du Sud.

Comme à mon habitude, je procéderai, dans un premier temps, à une recontextualisation historique qui nous permettra, dans notre cas précis, de comprendre comment le syndicaliste Evo Morales (2006-2019) est arrivé au pouvoir. Par la suite, nous chercherons à comprendre comment sa politique économique hétérodoxe a réussi à stabiliser un pays alors en proie à de nombreuses formes de protestations. Pour finir, nous évoquerons brièvement la crise politique initiée en octobre 2019 afin d’évoquer l’avenir du pays.

I – (1964-2006) : de l’instabilité politique aux crises sociales

Depuis son accès à l’indépendance en 1825, la Bolivie n’a connu que très peu d’épisodes pleinement démocratiques (environ 190 coups d’État) tout au long de son histoire. Au-delà de cette instabilité politique, le pays semble ne pas entretenir de très bonnes relations avec ses voisins. Ce constat se manifeste d’abord avec le Chili lors de la guerre du Pacifique (1879-1884), puis avec le Paraguay lors de la guerre du Chaco (1932-1935). Ces nombreuses défaites marqueront les esprits d’autant qu’en plus de perdre des territoires, la Bolivie perd son unique accès à la mer.

Cette instabilité politique semble se résorber quelque peu dans les années 1950, moment où la Bolivie renoue avec la démocratie grâce à l’arrivée du Mouvement Nationaliste Révolutionnaire qui modernise de manière significative le pays. Le nouveau gouvernement va adopter une série de mesures sociales (promotion de l’éducation, suffrage universel…) et procède à des nationalisations ainsi qu’a une réforme agraire d’envergure. Cette embellie démocratique est malheureusement de courte durée puisque les militaires reprennent rapidement le pouvoir (1964), marquant le début d’une nouvelle période d’instabilité et de répressions (dictatures).

Malgré un bref intermède progressiste avec le général Juan Jose Torres (1970-1971), ces dictatures se caractériseront par leurs violences notamment vis-à-vis des différentes oppositions et syndicats. À titre d’exemple, c’est sous le dictateur Hugo Banzer que la Bolivie participera au fameux plan Condor visant à éliminer les groupuscules et les guérillas de gauche. Face au mécontentement populaire et après que les Américains aient retiré leurs soutiens au régime, les militaires seront contraints de quitter le pouvoir en 1985. Au total, ces vingt années de dictatures auront été marquées par plusieurs centaines de morts, près de 14 500 prisonniers politiques et 10 000 exils forcés.

Ce retour à la démocratie signe la fin (à quelques exceptions près) de la grande période d’instabilité, mais amène une nouvelle forme de contestation : la contestation sociale. Suite à la crise de la dette, l’économie bolivienne s’effondre à partir de 1985. Selon les estimations, l’hyperinflation atteignait 24 000 % et le déficit public 55 % du PIB. Face à cette situation insoutenable, la Bolivie – comme les autres pays d’Amérique latine – décide de suivre les recommandations budgétaires des institutions internationales en appliquant, entre autres, des plans d’austérité. Alors même que la situation économique se rétablit rapidement, la pauvreté et les inégalités, elles, s’accroissent. En 1990, les 20 % les plus riches possédaient près de la moitié du revenu national, alors que les 20 % les plus pauvres n’en avaient que 5,6 %.

C’est dans ce cadre que les syndicats, après avoir été interdits pendant plusieurs années, se restructurent afin de peser dans le débat politique. En 2000, ces derniers expriment leur mécontentent face à ce que l’on nomme désormais la guerre de l’eau. Cette appellation désigne une série de manifestations organisées à la suite de la privatisation du système municipal de gestion de l’eau de la ville de Cochabamba. Ces protestations deviendront alors un symbole international de lutte contre les multinationales. À peine quelques années plus tard, ces mobilisations reprennent, dans le cadre cette fois-ci de la guerre du gaz (2003), et poussent le président alors en exercice à démissionner, mettant fin à ce qui était devenu une crise politique et sociale.

Cette incapacité des gouvernements à changer de politiques afin de compenser les disparités de revenus amènera la Bolivie à tourner la page de 20 ans de politiques libérales en élisant, en 2006, le socialiste (et syndicaliste) Evo Morales.

II – (2006-2019) : une politique économique hétérodoxe au service des plus modestes

Dès son élection, Evo Morales rompt avec la politique de ses prédécesseurs. À peine arrivé au pouvoir, celui-ci choisit – conformément au résultat du référendum de 2004 – de nationaliser les hydrocarbures dont la Bolivie est abondamment pourvue. On estime ainsi qu’elle possède les premières réserves mondiales de lithium et les deuxièmes réserves les plus larges de gaz en Amérique latine.

De ces nationalisations, le gouvernement entend tirer une rente d’autant que le cours des matières premières est particulièrement élevé entre 2003 et 2008. Cette « reprimarisation » de l’économie permet à l’État de dégager des revenus, utilisés afin de financer de larges programmes sociaux. Les exemples sont multiples, mais l’on pourra retenir la mise en place d’un minimum vieillesse (Renta Dignidad) ainsi que l’élaboration d’un système de santé totalement gratuit, permettant au gouvernement socialiste de faire chuter l’extrême pauvreté de 38 % à 15 % en 13 ans (entre 2006 et 2019).

Toutes ces mesures permettent au pays de connaître une croissance économique extrêmement forte, contribuant au succès du modèle prôné par Evo Morales (socialisme du XXIe siècle). Par ailleurs, on remarque que derrière un discours tout droit hérité de la gauche révolutionnaire, celui-ci combine en réalité interventionnisme public et économie de marché.

2006200720082009201020112012
Taux de croissance
(% du PIB)
4,7974,5646,1483,3574,1275,2045,122
201320142015201620172018
Taux de croissance
(% du PIB)
6,7965,4614,8574,2644,1954,224

Au-delà de ces bons résultats, le leader socialiste s’évertuera également à modifier la constitution (2009) en vue de renforcer la démocratie, en facilitant la mise en place de référendums d’origine populaire et en améliorant nettement le statut des populations minoritaires (indigènes). Sa présidence sera donc marquée par une stabilité politique sans précédent dans l’histoire du pays, d’autant qu’il n’aura aucun mal à se faire réélire deux fois.

Avant d’aborder sa réélection controversée en octobre dernier, voyons d’abord les quelques limites que l’on pourrait formuler vis-à-vis de sa présidence. D’un point de vue économique, même si le bilan est plus qu’impressionnant, on peut regretter le fait qu’il n’ait pas cherché à diversifier l’économie. En plus de fragiliser les économies face aux chocs, on constate que cette dépendance vis-à-vis des matières premières n’a pu se conjuguer avec sa volonté de préserver l’environnement. Cette logique extractiviste a ainsi favorisé les déforestations entraînant ainsi une « atteinte grave aux écosystèmes » (rapport de la commission du Tribunal international pour les droits de la nature sur le cas Tipnis).

D’un point de vue politique, on ne peut que critiquer sa faculté à s’accrocher au pouvoir, alors même que celui-ci avait promis de ne pas exercer plus de deux mandats consécutifs. Cette critique est d’autant plus vraie qu’il s’est représenté en 2019, alors même que la consultation populaire de 2016 le lui interdisait.

III – Quelles trajectoires pour la Bolivie ?

Ce référendum de 2016 est justement au centre de la crise politique initiée en octobre dernier puisque Evo Morales fut contraint de démissionner laissant la place à Jeanine Añez, présidente par intérim. Je ne développerai pas plus ce point puisque vous retrouverez dans cet article un résumé détaillé des évènements qu’il est essentiel de connaître pour les concours. Quoi qu’il en soit, le départ du leader socialiste est tout un symbole tant à l’échelle internationale que pour le pays.

Cette situation cristallise nécessairement les tensions entre les différents partis qui cherchent à briguer la présidence. D’un côté, l’opposition, plus divisée que jamais et qui doit faire face à l’ambition personnelle de plusieurs figures, et de l’autre, le MAS (parti d’Evo Morales) qui a déjà défini un unique candidat : Luis Arce. Bien que ses chances de victoire soient faibles, cet ancien ministre de l’Économie demeure très populaire puisqu’il est considéré comme le principal artisan de la réussite économique de la Bolivie. Le scrutin devait avoir initialement lieu le 3 mai, mais en raison des circonstances exceptionnelles (coronavirus), celui-ci est reporté à une date encore indéterminée.

Quoi qu’il en soit, le résultat sera nécessairement très attendu, car la Bolivie était à l’échelle continentale l’un des derniers partisans de ce que Chavez avait voulu initier lors de son arrivée au pouvoir au Venezuela. Tout comme les gauches modérées, le socialisme du XXIe siècle (gauche contestataire) apparaît aujourd’hui comme étant de plus en plus affaibli.

IV – Conclusion

Après plusieurs années de dictatures et d’instabilités politiques, la Bolivie avait connu, sous la présidence d’Evo Morales, un répit inédit. Ce succès était en partie lié à la politique économique et sociale du président qui, en plus de tirer parti de la conjoncture, avait réussi à drastiquement diminuer la pauvreté. Toutefois, la crise politique d’octobre 2019 jette un flou sur l’avenir du pays. Le modèle de gauche contestataire de la région réussira-t-il à se relancer lors des prochaines élections présidentielles ? Seul l’avenir nous le dira.

DatesDescription des évènements
1964-1985 Période dictatoriale
1985-2006 Démocratisation et libéralisation de l’économie
2000-2005 Crises sociales à répétition
2006-2019 Politiques économiques hétérodoxes sous le mandat d'Evo Morales
Octobre 2019Début de la crise politique bolivienne qui contraint Evo Morales à démissionner le 10 novembre
Novembre 2019Accès à la présidence de Jeanine Añez (droite conservatrice)

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