État-nation

La notion d’État-nation est assez difficile à définir, car elle regroupe deux termes : État et nation. Il convient donc tout d’abord de faire un petit rappel sur ces deux notions.

 

Définitions

État 

Comme tu as dû le voir en cours, l’État est une personne de droit moral qui exerce sa souveraineté à travers un monopole de la violence légitime sur un territoire délimité par des frontières.

Il exerce son autorité sur une population qui doit le considérer comme légitime.

 

Nation : deux conceptions distinctes à connaître

  • Conception de J. Fichte : vision allemande de la nation

La nation serait fondée sur une communauté qui partage une même culture (la langue, la religion). La culture nationale prime donc sur l’État.

  • Conception d’E. Renan (Qu’est-ce qu’une nation ?, 1882) : vision française de la nation

La nation reposerait sur la volonté commune de vivre ensemble. Pour lui, c’est le fait de s’appuyer sur un passé considéré comme commun de façon à porter un projet commun dans l’avenir.

 

État-nation 

Un État-nation est donc un concept qui juxtapose une notion d’ordre identitaire, la nation (c’est-à-dire des individus qui se considèrent liés entre eux), et une notion d’ordre juridique, l’État (en tant qu’organisation politique). 

L’État-nation va ainsi chercher la convergence entre une structure politique et le groupe humain qui le compose.

 

Création d’États-nations en Afrique subsaharienne, ce qui pose problème

Il faut bien comprendre d’abord que le concept d’État-nation en Occident ne peut être répliqué tel quel sur le continent africain.

En Occident, l’État et la nation se superposent comme une entité intégrée au point où l’on pourrait même les confondre, ils vont de pair. En Afrique, la réalité est différente, l’État et la nation sont deux réalités qui se chevauchent.

 

Des définitions peu transposables au sous-continent africain

L’Afrique subsaharienne est marquée par une conflictualité omniprésente, ce qui empêche la construction d’États-nations. La simple présence de guerres civiles en Afrique subsaharienne (en République centrafricaine, en Somalie, au Libéria, en Sierra Leone…) montre en effet que la construction d’un État pose problème : il n’a pas le monopole de la violence légitime.

La définition de Fichte reste peu adaptée pour le sous-continent, car l’hétérogénéité ethnique et religieuse y est omniprésente. La coexistence de nombreuses communautés distinctes au sein d’un même État rend difficile la création d’une identité nationale commune.

Celle de Renan est aussi problématique, car on a un passé souvent partagé mais pas pour autant commun en Afrique. Par exemple, entre les héritiers des populations esclavagistes et ceux des populations asservies en Angola : c’est un passé partagé mais qui oppose.

 

Un tracé des frontières problématique

Les frontières ont été, pour la plupart, tracées arbitrairement par les puissances coloniales, sans tenir compte des réalités ethniques ou linguistiques. On a donc une frontière qui précède l’État. Les divisions artificielles ont conduit à la création d’États comprenant des groupes ethniques hétérogènes, alimentant parfois les tensions internes.

En effet, on retrouve sur le continent beaucoup de conflits liés aux tracés des frontières. Plusieurs tentatives de sécession ont eu lieu, comme en Érythrée en 1993 (succès face à l’Éthiopie) ou au Soudan du Sud, lequel a obtenu son indépendance en 2011, mais où persistent des différends sur certaines frontières, en particulier dans la région d’Abiyé.

De plus, la diversité ethnolinguistique est telle qu’il est quasiment impossible de tracer des frontières correspondant à la répartition ethnolinguistique (nigéro-congolaise, nilo-saharienne, afro-asiatique…). En Côte d’Ivoire, par exemple, on retrouve un État ivoirien (entité juridique), mais pas une nation ivoirienne (entité sociologique). On a un pluralisme ethnique, une situation hétérogène qui reste à transformer en système national.

L’État ne repose donc pas sur un système national, mais sur une diversité de micronations, dont les frontières culturelles transcendent les frontières géographiques de l’État. C’est-à-dire que des groupes ethniques et culturels présents à l’intérieur de l’État ne correspondent pas parfaitement aux limites géographiques du pays. Si on prend l’exemple du Mali, en 2012, les Touaregs se sont révoltés contre les Bambaras (deux ethnies différentes présentes au Mali). Cette révolte ethnique a marqué la faillite de l’État-nation malien.

 

Un continent qui regroupe beaucoup d’États fragiles 

Robert Cooper, dans son ouvrage Post Modern State and the World Order, parle d’État fragile pour désigner un pays dont la légitimité de l’État et sa capacité à assurer ses missions sont relativement modestes. Ce type d’État est caractérisé par une défaillance de l’État de droit, un État impuissant, illégitime ou non représentatif, une économie affaiblie et une société fragilisée.

Si on prend l’indice des États fragiles, l’Afrique subsaharienne en concentre la majeure partie (Nigéria, Tchad, Soudan, République centrafricaine, par exemple), ce qui montre pourquoi la construction des États-nations y est très compliquée. Ces États sont caractérisés par une forte instabilité politique, ce qui empêche le développement d’institutions politiques stables.

On parle aussi d’État failli pour désigner un État qui a perdu le monopole de la violence légitime, et de facto le contrôle de la quasi-totalité du territoire. Cet État n’assume donc plus aucune des missions régaliennes emblématiques de l’État (défense nationale, sécurité intérieure, justice…). La Somalie en est un exemple.

 

Des problèmes économiques qui entravent le processus de construction d’un État-nation 

Les défis économiques patents en Afrique subsaharienne, comme la corruption ou la mauvaise gestion des ressources, peuvent compromettre la légitimité et la stabilité des gouvernements, et donc entraver le processus de création d’un État-nation. 

Pour Achille Mbembe (historien et politologue camerounais), l’État en Afrique subsaharienne est perçu non pas comme un bien public ou commun, mais comme un bien anonyme dont une minorité s’empare à travers un processus de capture de l’État. Les outils étatiques (administration, forces armées…) sont utilisés pour maximiser l’extraction de ressources locales, pour ensuite les redistribuer à une ethnie dominante de façon à garder le pouvoir. Ce qui bloque le développement économique, social et politique.

 

Des exemples d’États-nations plus ou moins réussis

Il faut bien retenir que si l’État-nation est une construction occidentale, cela ne veut pas dire pour autant que c’est une conception inadaptée à l’Afrique. On retrouve des États-nations, ou du moins des formes d’États-nations, en Afrique subsaharienne.

 

Une forme d’État-nation très avancée : le Sénégal 

Le Sénégal est en effet un exemple d’État-nation réussi en Afrique de l’Ouest. Il est parvenu à former une identité nationale malgré sa diversité ethnique, linguistique et religieuse. La période post-indépendance sénégalaise (1960) a été marquée par des efforts visant à consolider l’unité nationale et à créer une identité nationale sénégalaise propre. Une figure à connaître ici est celle de Léopold Sédar Senghor, le « Président poète », qui a posé les bases d’un État démocratique, ayant ainsi joué un rôle fondamental dans le processus d’édification de l’État-nation sénégalais.

« Ma plus grande satisfaction a été de contribuer à faire du peuple sénégalais, une nation. » Léopold Sédar Senghor

Le Sénégal est ainsi le meilleur exemple de démocratie en Afrique francophone. Le pays a connu une stabilité relative depuis son indépendance en 1960 avec des élections régulières, des transitions pacifiques du pouvoir et des cohabitations politiques marquées.

Cependant, il ne faut pas oublier que, comme dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, des défis subsistent, notamment en matière de gestion des ressources et de développement économique.

 

Une forme d’État-nation à peine ébauchée : le Soudan du Sud

Bien que le Soudan du Sud ait réussi à devenir un État indépendant (par référendum en 2011, où la majeure partie de la population a voté pour une séparation du Soudan), il continue de faire face à de nombreux défis quant à la consolidation de son identité nationale et à la construction d’institutions stables.

Le Soudan du Sud est caractérisé par une grande diversité ethnique. La coexistence pacifique de ces groupes reste un défi majeur pour la consolidation de l’identité nationale. C’est aussi le cas des conflits internes qui ont souvent des implications ethniques, et des faiblesses institutionnelles, lesquelles sont des obstacles à une gouvernance efficace et stable.

 

Une nuance intermédiaire : le Rwanda 

Le Rwanda est un pays à la fois autoritaire (le Président P. Kagame a été réélu avec 98 % des voix en 2017) et instable (nombreux conflits présents dans la région).

En effet, les conflits présents dans la région des Grands Lacs sont en partie dus aux facteurs précoloniaux liés à la structure particulière du Rwanda avant même la colonisation. En effet, le Rwanda a un héritage colonial très lourd qui ne tient pas aux frontières (ce qui est une exception), mais à la manière dont les identités ethniques ont été classées, figées et hiérarchisées par la puissance colonisatrice (la Belgique). On retrouve, dans ces conflits incluant le Rwanda, une dimension d’accès à la rente, de maîtrise inachevée du territoire national et de confluence d’acteurs non étatiques et étatiques, d’acteurs régionaux et extrarégionaux. 

On pourrait qualifier le modèle rwandais comme modèle intégrateur autoritaire visant à gommer et à nier les rivalités ethniques entre Hutus et Tutsis afin de consolider son identité nationale.

 

Conclusion

La construction de l’État-nation en Afrique subsaharienne est un processus complexe résultant, entre autres, des problématiques liées aux frontières tracées pendant la période coloniale, des diversités ethniques et des défis politiques et économiques. En effet, les héritages historiques, les rivalités ethniques et les instabilités politiques et économiques entravent le processus de consolidation nationale.

 

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