L’auteur:

Érik Izraelewicz est un journaliste économique français, né en et mort en novembre  . Il a été chroniqueur économique au journal Le Monde, directeur de la rédaction des Echos, puis de La Tribune avant d’être directeur du Monde à partir de février 2011 jusqu’à sa mort. Il avait notamment écrit Quand la Chine change le monde en 2005.erik-izraelewicz-directeur-de-la-redaction-du-quotidien-le_482514_510x255

Résumé éditeur :

La Chine tient ses promesses – et au-delà. Rien ne semble devoir arrêter son ascension. L’empire du Milieu devrait dépasser les Etats-Unis et devenir la première puissance économique mondiale avant la fin de cette décennie – plus tôt que beaucoup ne l’avaient annoncé. En trente ans, le niveau de vie des 1.3 milliards de Chinois a déjà été multiplié par dix. Forte de ses multiples succès et de ses réserves de change gigantesques, la Chine ne veut plus des leçons d’un Occident décadent. Elle est prête à lui asséner les siennes.
Mariage d’une économie de marché et d’un système politique centralisé et autoritaire, ce régime, que l’auteur appelle “l’illibéralisme”, séduit. Sommes-nous alors au bord d’un divorce douloureux avec le monde occidental ? Combien de temps accepterons-nous de voir classer, rétrograder, juger nos Etats, nos universités ou nos grandes entreprises par le Dragon Rouge ? Comment lutter à armes égales avec un nationalisme industriel sans égal ? Faut-il se retirer d’un marché aussi vaste ?
Six ans après son ouvrage visionnaire, Quand la Chine change le monde, Erik Izraelewicz dresse ici un constat terrifiant. La Chine a pris sa revanche. Economie émergente, elle s’est transformée en puissance arrogante !

Résumé Major-Prepa :

Préface de Sylvie Kaufmann :

En Chine, tous les événements ont une proportion plus grande qu’ici :

  • Un embouteillage monstre dure une semaine
  • La pollution dépasse le maximum mesurable par les instruments de mesure (en Janvier 2013)
  • Une personne populaire sur Weibo n’a pas 20 000 followers, mais 10 millions
  • Pour quelques rochers, des avions de chasse et des navires de guerre sont dépêchés.

Dans Quand la Chine change le monde (2005), Izraelewicz décrivait la réémergence de la Chine. Depuis, la Chine est devenu le pays détenant le plus de bons du Trésor, les « tortues de mer » (personnes ayant émigré aux Etats-Unis, Royaume-Uni) reviennent et apportent leur savoir-faire. Une toute autre dynamique est en cours dans les pays avancés : la crise financière engagée par la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 et la spirale de l’endettement les menacent. Ainsi, Erik Izraelewicz voit l’assurance chinoise se transformer en arrogance : elle s’est notamment manifestée par la réécriture de l’histoire lors de la cérémonie d’ouverture des JO 2008, leur nationalisme de plus en plus exacerbé, les contrats « win-win » avec les pays africains. Elle choque même les Chinois lorsqu’ils voient leurs dirigeants s’enrichir.

La Chine de Xi Jinping et Li Keqiang est différente de celle qu’on eue Hu Jintao et Wen Jiabao à leur investiture : les chinois sont plus urbains, ils exigent moins de pollution, une bonne éducation, et l’arrêt de la corruption. Et en 2010, leur PIB comme leur part dans les échanges mondiaux sont deux fois supérieurs aux chiffres de 2005.

L’arrogance du pouvoir est également menacée par les « incidents de masse » car des paysans protestent contre leurs expropriations, des journalistes s’opposent à la censure et des scientifiques dénoncent les méfaits de la croissance sur l’environnement. D’ailleurs, lorsque le gouvernement chinois a publié en 2013 un coefficient de Gini inférieur à celui de 2003, Weibo raille un « coefficient Lamborgini » irréaliste.

Mais de nouvelles tendances pourraient modifier la donne à long terme :

  • La population en âge de travailler a décru : les chinois de 15 à 59 ans étaient 937,27 millions en 2012, soit 3,45 millions de moins qu’en 2011.
  • 250 milliards de dollars par an seront consacrés à la formation universitaire des jeunes des campagnes

Introduction

En 2010, les cadeaux de Noël sont encore chinois, à croire que les lettres au Père Noël doivent être envoyées à Pékin. En fait, l’image du Père Noël correspond ce que fait la Chine en rachetant des entreprises en difficulté (Volvo), des productions excédentaires (céréales et vin français), ou de la dette. Ainsi, la Chine voit là la preuve d’une puissance retrouvée, c’est ainsi que Hu Jintao a été désigné comme le plus puissant du monde par Forbes, devant Obama.

Par ailleurs, le « vieux monde » craignait ses productions bas et moyen de gamme et ses contrefaçons, désormais, il craint ses TGV, ses voitures électriques, ses éoliennes, ses panneaux solaires : ses innovations.

Comme le disait Sun Tzu dans son art de la guerre, la Chine se devait d’être discrète, ainsi, les dirigeants chinois avaient inventé le terme « émergence pacifique », montrant que leur émergence serait un deal « win-win » pour le monde. Il y a encore quelques années, la Chine affirmait qu’elle n’avait jamais, et qu’elle n’aurait jamais l’ambition de dominer le monde. Désormais, ce découpage historique est accepté :

  • XIXème siècle : humiliation
  • XXème siècle : restauration
  • XXIème siècle : domination

La Chine domine les exportations, la consommation d’énergie, les réserves de changes, le nombre d’internautes, la construction navale, les émissions de gaz carbonique, les Jeux Olympiques… Ceci est à l’origine de l’arrogance chinoise.

En 2007, VGE, président du Comité France-Chine (club d’entreprises) avait été surpris à Pékin par l’assurance et la confiance que les chinois avaient en eux. Depuis, les JO, l’Exposition Universelle et Lehman Brothers ont renforcé ce sentiment de confiance qui tourne parfois en arrogance. Ainsi, un dirigeant chinois affirmait lors du « Davos local » à Tianjin: « Nos professeurs [les Occidentaux] nous ont déçus, ils ont échoué, leur système ne marche pas… Notre système, lui, il marche. Regardez. » La modestie chinoise que l’on connaissait depuis 1978 semble révolue car désormais, ils paradent.

Gérée comme une entreprise dont la direction est compétente et énergique, la Chine suscite l’admiration chez tous les patrons mondiaux. Son modèle, le « consensus de Pékin » séduit, « l’illibéralisme » (étrange mariage entre la main invisible du marché et celle visible de l’Etat) triomphe. D’autant plus qu’en face, le couple « marché et démocratie » végète. Séduit par la réussite chinoise, Ian Bremer a théorisé « la fin du marché libre » dans The End of the Free Market.

Les chinois ne veulent plus recevoir de leçons : les entreprises occidentales (considérés comme étant de « dangereux colonialistes ») qui le font sont raillés sur Weibo. Lorsque les japonais contestent des côtes, les industriels chinois bloquent l’approvisionnement en pièces détachées pour Sony, Toyota, etc. La Chine a changé : il y a cinq ans, ils courtisaient les Occidentaux pour faire des joint-ventures, désormais, ils les refusent catégoriquement.

Les Chinois s’affichent de plus en plus dans les institutions internationales (OMC, FMI, G20, BRI) mais n’y accordent guère de crédit en les assimilant à de vulgaires ONG. Ils ne se sentent pas concernés par la mise en place d’une nouvelle gouvernance mondiale. Ils théorisent plutôt la règle d’or : cette règle qui dit que celui qui a l’or fixe les règles et ce sont eux qui détiennent l’or.

Les raisons d’être arrogants ne manquent pas : l’avancée du paquebot géant n’a pas été perturbée par la crise monétaire asiatique de 1997-1998, ni par l’explosion de la bulle internet en 2000-2001 et encore moins par la Grande Récession engagée en 2007. En 30 ans :

  • Production globale multipliée par 15
  • Exportations multipliées par 45
  • Revenu/habitant multiplié par 10

De quoi faire mentir les Cassandre occidentaux qui annoncent régulièrement son explosion imminente.

Mais cette arrogance est l’expression d’une peur : les moteurs de la croissance s’essoufflent car la population vieillit, les pénuries de main d’œuvre menacent, le « tout-à-l’export » s’épuise, comme les terres arables, l’air, l’eau ; les marchés étrangers sont saturés et se replient, le 11ème et le 12ème plan quinquennal (2011-2015 pour ce dernier) indiquent qu’il faut changer de modèle de développement, ils prônent une « croissance inclusive » (expression d’un économiste de la Banque Asiatique de Développement , la BAD) tirée par la consommation intérieure, l’innovation et les services, et qui permettrait un développement moins inégalitaire et plus vert. Cet « illibéralisme » peut-il continuer à garantir le succès dans cette nouvelle phase ? Pas sûr.

« “La Chine m’inquiète” Marcel Proust faisait dire à la Duchesse de Guermantes dans sa Recherche du temps perdu. Aujourd’hui, la Chine s’inquiète… D’où son arrogance. »

Première partie : le Dragon a la grosse tête

En septembre 2010, Thomas Friedman assiste à l’ouverture du quatrième « Davos chinois » à Tianjin il rapporte qu’était diffusé en continu un spot montrant 4 gamins (un Américain, un Chinois, un Indien, un Brésilien) sur une ligne de départ. Le Chinois gagne la course et l’Américain s’écroule, ayant mangé trop de hamburgers. Cette saynète est une allégorie de la situation actuelle de l’économie mondiale qui montre l’assurance, l’arrogance chinoise.

Cette arrogance agace Jeffrey Immelt, CEO de General Electric qui dénonce l’hostilité croissance des chinois à l’égard des multinationales étrangères et leurs prétentions colonialistes sur d’autres marchés tout en menaçant de les abandonner pour aller vers d’autres marchés émergents. Aujourd’hui, le tapis rouge déroulé par Deng Xiaoping aux multinationales se dérobe : le dogme « Dîtes-nous comment il faut faire » devient  « Comptons sur nos propres forces » : la fiscalité se durcit et les multinationales ne sont plus les bienvenues. Bref, le Dragon a pris la grosse tête.

1. Les « amis de la Chine » se rebiffent.

Immelt a craqué, et Rupert Murdoch a jeté l’éponge. Le magnat des médias (son entreprise News Corps détient : Times, Wall Street Journal, Dow Jones, Fox News) qui voulait y implanter une chaîne nationale de TV a trouvé plus arrogant et coriace que lui. Après y avoir investi énormément d’énergie (et trouvé une femme par ailleurs), il revend ses participations et perd plus de 2 milliards, se plaignant de devoir affronter un « mur de briques ».

C’est aussi le cas d’Eric Schmidt, CEO de Google qui se voyait imposer des contraintes de plus en plus fortes (il avait pourtant accepté d’aider le gouvernement à traquer les dissidents). Les géants américains du web ne dominent pas en Chine : Facebook, Yahoo, Amazon sont supplantés par Weibo, Baïdu, Alibaba Express…

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Les médias sont des activités sensibles, d’où l’appréhension du PCC (ils sont aussi régulés dans la très libérale Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis). La Chine pense qu’elle peut aujourd’hui se passer des multinationales étrangères.

2. Le petit frère n’a plus besoin du grand

 Dans les années 80 et 90, « petit frère » cherche « frère aîné » était l’annonce que passaient les grands groupes d’Etat et les start-up privées pour créer des joint-ventures. Ils concluaient des deals « win-win » : les entreprises occidentales pouvaient accéder au marché chinois et celles chinoises y acquérir des technologies. Désormais, le petit frère est devenu plus grand que l’aîné et n’en a plus vraiment besoin.

C’est le cas du divorce entre Vodafone et China Mobile : les 3,2% de capital pris par le géant britannique ne lui accordaient aucune influence et Vodafone a donc revendu sa participation en 2010 (avec 3,3 milliards soit 100% de plus-value). Pékin renie ses engagements pris à l’OMC : ses lignes téléphoniques sont assurées à 100% par des opérateurs 100% chinois. China Mobile vaut plus que Vodafone, il a plus d’abonnés (560 millions contre 340). Exxon, BP et Shell se sont désengagées de Petrochina et Sinopec. On a même évoqué une OPA de Petrochina sur BP lors de la catastrophe pétrolière du Golfe du Mexique en 2010. Alcoa et Goldman Sachs se désengagent aussi. Cette dernière est diabolisée, un livre dénonçant son rôle et les profits qu’elle a tiré de la crise des subprimes est un best-seller (plusieurs millions d’exemplaires vendus) en Chine.

Les déboires ne touchent pas que les grandes entreprises : la PME française Val de Luce avait conclu une JV avec un industriel chinois et devait envoyer du personnel assurant la formation des employés chinois. Celle-ci achevée, l’industriel chinois a rompu ses liens avec l’entreprise française. De même, Delpeyrat qui ne devait se charger plus que de la partie business s’est désengagée.

3. La montée du nationalisme

Les dirigeants chinois affirment que  « l’innovation indigène » est leur nouvelle priorité. Le gouvernement a ainsi lancé un méga plan de relance de 600 milliards de dollars (7% du PIB en 2010). Par « indigène », on entend national tout en prenant compte des technologies étrangères acquises en étant copiées ou volées et en évitant les accusations protectionnistes que l’utilisation du terme « national » aurait engendré. C’est un peu un corollaire au Buy American d’Obama à la même époque. Les entreprises étrangères ne sont pourtant pas exclues des gros contrats, mais elles doivent accepter que leurs technologies deviennent « indigènes ». Ainsi, Toyota (voiture hybride), Alstom (TGV), Vestas (éoliennes) enragent. Pour la Chambre de commerce américaine en Chine, il s’agit « d’organiser un pillage technologique d’une ampleur jamais connue dans l’histoire ».

Ainsi, lorsque l’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite ou la Californie songent à se doter d’un TGV, ils s’adressent aux chinois. Ceci risque de devenir banal dans le nucléaire, l’aéronautique, la voiture hybride… S’ils ont pu acquérir un maximum de technologies dans les trains à grande vitesse, c’est en faisant monter les enchères entre Alstom (TGV), Siemens (ICE) et Kawazaki (Shinkansen). Le Train à Très Grande Vitesse (TTGV) chinois a ainsi pu se développer en seulement 4 ans et le gouvernement y investit 100 milliards d’euros par an. Moins cher, c’est celui qu’achèterofjnt probablement les Brésiliens, les Saoudiens et les Californiens. Ericsson et Alcatel sont aussi des victimes, tout comme Airbus, Boeing et Embraer le seront demain.

Dans certains secteurs comme le solaire ou l’éolien, le pays n’a même pas besoin de « frère aîné ». Suntech hier, Yingli et JA Solar aujourd’hui : ces entreprises sont aux avant-gardes et ont des lignes de productions disséminées dans le monde entier. Dans l’éolien, Goldwind et Sinovel Wind sont déjà dans les 5 plus grandes sociétés mondiales d’éolien. Le marché chinois s’est fermé aux Occidentaux : en 2005, Vestas et General Electric détenaient 70% du marché chinois, plus que 15% en 2010. La Chine justifie ce repli national par la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique.

Et la Chine est active dans ce domaine ! Ils prévoient de réduire de 40% leurs émissions de CO2 d’ici 2020, et d’avoir 15% d’énergie renouvelable à cette même date. Laurence Tubiana, présidente de l’IDDRI (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales) y voit le « plan le plus ambitieux » et ne se voit pas imposée de politiques par les sommets internationaux (Copenhague, Cancun). La Chine le fait pour deux raisons principales :

  1. Nécessité de trouver de nouvelles sources d’énergie (le pays importe la moitié de ce qu’il consomme)
  2. Acquérir un leadership dans les secteurs porteurs de demain

Après tout, ce patriotisme économique a également été appliqué en France, Allemagne et Etats-Unis. Ainsi, Pékin subventionne, prête et accorde gratuitement des terrains à ses entreprises. En 2010, lorsque le pays avait annoncé vouloir doubler sa capacité solaire, seule une entreprise non-chinoise figurait parmi la quarantaine d’entreprises qui y avaient déposé un dossier. Le marché domestique s’est donc fermé. Les rêves de Solar Valley de la Californie se sont également évanouis, faute de compétitivité face aux entreprises chinoises.

4. Une grosse tête, deux petites faces

Officiellement, les entreprises étrangères sont toujours les bienvenues et rien n’aurait changé depuis Deng. Devant une délégation d’européens menée par Baroso, Wen Jiabao l’affirmait et semblait corriger promptement ses ministres devant un public interloqué. En effet, selon Wen, ce sont les ministres, administrations, provinces et  tribunaux qui ne respecteraient pas la ligne officielle.

Guerre Danone-Wahaha : ils s’étaient alliés dans les années 1990. Mais ayant découvert que Wahaha avait lancé des marques d’eau minérales sans en avertir Danone, ce qui enfreint la clause de non-concurrence, Danone a attaqué le groupe en justice et voulu revendre ses parts. En fin de compte, il a revendu sa participation 300M€ alors qu’il en espérait 1,5Md€ et a renoncé à poursuivre Wahaha en justice. Les chinois ont dénoncé les « visées colonialistes » du groupe français. La justice chinoise est à éviter, car partiale.

danone wahaha

Ce sentiment nationaliste est fortement ancré chez les jeunes qui ont entendu parler d’« arrogance occidentale », d’une Amérique ne voulant pas que la Chine retrouve sa place. Exemple : la vente d’Huiyan Juice à Coca-Cola, refusée par le gouvernement, l’est aussi par 80% des chinois. Les grandes entreprises occidentales (Hermès, Levi-Strauss) ont donc lancé des marques chinoises (« Shang Xia » littérallement dessus-dessous, a été lancé par Hermès) pour pénétrer le marché intérieur.

La Chine est tout de même très ouverte : elle accueille 300 000 entreprises étrangères qui font travailler 45 millions de personnes, font le quart du PIB et deux tiers des exportations. Depuis la Grande Récession, elle serait même la première victime des relents de protectionnisme. Exemple : Huawei qui se fait refouler du marché américain (a été empêchée de racheter 3Com, une unité de Motorola, une entreprise de software, a perdu des contrats se chiffrant en milliards avec Verizon) à cause de liens supposés avec l’armée populaire de Chine… Enfin, la Chine a accueilli en 2010 plus de 100 milliards d’IDE, montant jamais atteint dans l’Histoire ! Des fonds américains en créent même d’autres en yuan. Pour les officiels chinois, ces histoires ne sont que des épiphénomènes.

5. Quand la bête sort de la cage

A Washington; nombreux sont ceux qui pensent qu’avoir accepté la Chine dans l’OMC en 2001 a été une erreur. En voulant faire entrer la Chine, « la bête » dans la cage, ils ne s’imaginaient pas qu’elle allait bafouer ces règles. Mais la bête a tendance ne pas se laisser dompter et néglige certains principes fondamentaux comme la réciprocité. Lorsqu’un chinois achète des terres de vignobles en France, il en est propriétaire. Lorsqu’un français s’implante en Chine, il ne peut acheter le terrain sur lequel son usine est construite.

Secteur de la construction : Premièrement, Bouygues, Vinci, ACS (espagnols) avaient déjà dû renoncer au marché chinois, totalement fermé depuis 30 ans, pourtant, il représente deux tiers des routes, autoroutes, tours et usines construites ces dernières années. Deuxièmement, ils ont laissé les Chinois opérer une « méga-OPA » sur l’Afrique dans les années 1990 (ce que décrit le livre Chinafrique de Serge Michel et Michel Beuret), en étant deux fois moins cher que les européens. Néanmoins, l’affaire de l’autoroute Lodz-Varsovie est effarante : alors que les Chinois ferment leur marché et font main basse sur celui africain, ils s’attaquent même au marché européen. En effet, la COVEC (entreprise chinoise) a gagné ce contrat en proposant un rabais de 60%. Ainsi, l’argent des contribuables européens (servant à financer cette autoroute) fait travailler des entreprises qui ne respectent aucune règle sociale, ni celles de l’OMC.  D’ailleurs, Bouygues et Vinci se sont faîtes éjectées du top 2 des constructeurs mondiaux par deux chinois en 2010.

Affaire des métaux rares : en arrêtant de les fournir aux entreprises japonaises, américaines puis européennes, elle enfreint la règle interdisant les quotas et taxes sur les exportations, et celle interdisant l’utilisation du commerce comme arme politique. Elle méprise délibérément les règles de l’OMC. Alors que la taille de son marché la place en situation de monopsone, elle détient le monopole dans ce secteur : 98% de la production mondiale après que les Etats-Unis aient renoncé à les exploiter pour des raisons environnementales. Deng disait : « Le Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les métaux rares » (ils n’ont en réalité qu’un tiers des réserves). En réduisant ses livraisons, les prix des métaux rares a été multiplié par 8.

La Chine se justifie en affirmant qu’elle doit ralentir ses productions de métaux rares pour ne pas les épuiser (elle en aurait que pour 20 ans), qu’elle préfère les transformer sur place pour monter en gamme et qu’elle doit être soucieuse de l’environnement : violer les règles de l’OMC serait un mal pour un bien.

Néanmoins, lorsqu’elle a pratiqué un embargo de ces métaux rares sur le Japon, leurs excuses disant que leurs ports sont encombrés, les « petits » industriels exaspérés par l’attitude japonaise (Senkaku) sont vaines. C’est une violation incontestable des règles de l’OMC. Elle reproduit ce qu’on fait l’OPEP, les Occidentaux en Afrique du Sud. L’embargo chinois a provoqué une réaction des Occidentaux qui ont rouvert des mines et constitué des stocks stratégiques. Ce que nous montre cette affaire, c’est que l’« émergence pacifique » ne l’est peut-être pas.

Par ailleurs, la Chine a menacé les pays européens de rétorsions si elles envoyaient des représentants à la remise du prix Nobel de la Paix à Liu Xiaobo : « Ceux qui ont fait le mauvais choix en subiront les conséquences » avait dit le vice-ministre des Affaires étrangères et représentant au G20 Cui Tiankai. Le New York Times parle d’une arrogance chinoise sans limite.

6. L’arbitre des élégances

L’élève ayant dépassé le maître, c’est à lui désormais d’arbitrer et de noter les autres. Le classement des universités de Shanghai s’est d’ores et déjà imposé. Valérie Pécresse y est même allé pour plaider en faveur de ses réformes. Ce classement est utilisé par les entreprises et par les étudiants à la recherche d’une école à l’étranger. Certains européens ne le considèrent pas comme sérieux.

La Chine s’impose aussi dans le domaine des agences de notations avec Datong créée en 1994 et sortant de l’ombre en 2010 en profitant des ratés des autres agences. Néanmoins, elle est contestée sur le marché national (part de marché passant de 60 à 20% entre 2006 et 2010). Son accréditation a été refusée aux USA, ils ont abaissé la note du pays en conséquence. Ayant les premières réserves de change, ils estiment normal qu’ils aient leurs agences.

Ils se basent ainsi sur un soft power développé par Nye depuis 2007 en développant des instituts Confucius (280 en 2010 et 1000 d’ici 2020), CCTV qui doit concurrencer CNN et Al Jazeera, Xinhua Finance qui doit concurrencer Bloomberg et Dow Jones. Cependant, Joseph Nye estime que la Chine manque encore d’influence, de crédibilité.

La Chine semble avoir oublié la modestie prônée par Deng Xiaoping. Les nouvelles générations voient tout leur réussir et veulent se passer de leurs frères encombrants.

« La Chine est redevenue pour elle-même, le milieu du monde. Le Dragon a la grosse tête – c’est, pour le reste du monde, un nouveau casse-tête. »

Deuxième partie : Le Dragon a tout bon

Deng disait  « Peu importe que le chat soit noir ou gris, l’essentiel, c’est qu’il attrape les souris. » Ce dogme est encore respecté, les dirigeants sont pragmatiques. Cependant, ils ont remis en cause deux axes stratégiques du « dengisme » : la libéralisation de l’économie et l’ouverture au monde depuis la Grande Récession. Et ça marche, les performances économiques du pays n’ont à peine été touchées par la crise.

1. L’art de naviguer dans les turbulences

L’auteur compare la Chine avec un jumbo entrant en zone de turbulence alors que son décollage ne s’est pas encore terminé. En effet, la Chine a dû traverser trois turbulences majeures : la crise des monnaies asiatiques en 97-98, l’explosion de la bulle internet en 2000-2001 et la Grande Récession. Ainsi, le jumbo n’est plus en mode « pilotage automatique », mais l’équipage, l’Etat reprend la main.

Ainsi, à peine deux mois après la faillite de Lehman Brothers, le gouvernement a établi un plan de relance de 600 milliards de dollars, ce qui est proportionnellement à la taille du pays, le plus grand plan de relance de l’Histoire. Il fallait faire face au repli des exportations en développant encore plus d’infrastructures, de quoi redonner du travail au 20 millions de personnes licenciées suite au ralentissement des exportations et au 15-20 millions de jeunes entrant sur le marché du travail (qui nécessitent une croissance de 6-7%). La Chine n’a pas sombré comme le prédisaient des observateurs américains qui n’ont même pas vu leur crise des subprimes arriver.

L’Etat reste toujours à la manœuvre et soutient avant tout ses entreprises nationales (exemple des 3 compagnies aériennes nationales qui, avec la crise, ont vu leurs concurrents privés fermer, faute de soutien étatique). En Chine, on parle de système G pour Guanxi, ce qui signifie « relation » : avec le parti évidemment.

Même le secteur privé est sous tutelle étatique : lorsque Geely a racheté Volvo à Ford, il l’a fait grâce aux capitaux de l’Etat. Sur les 100 premières sociétés cotées à Shanghai et Shenzen, 99 sont détenues majoritairement par l’Etat. L’Etat détient en main propre 128 entreprises, les organismes publics : 100 000.

Les Chinois ont de quoi être fiers de leur parcours dans la Grande Récession : leur croissance est toujours vigoureuse, ils ont soutenu le monde en augmentant leurs importations et en achetant des obligations du FMI, de la Grèce, du Portugal et des Etats-Unis, et leur inflation comme leur dette publique est maîtrisée même si quelques bulles peu menaçantes se sont formées.

2. « Sœur Han », ces explosions qu’elle ne voit pas venir

Les conjoncturistes occidentaux prévoient la chute de l’Empire depuis pas mal de temps. En 2001, The Coming Collapse of China de Gordon Chang donnait pour sûr l’effondrement imminent de l’Empire. Aujourd’hui, alors que le monde se fissure, la Chine n’a pas explosé. Plus récemment, Carl Walter et Fraser Howie dans Red capitalism : The fragile financial foundation of China’s extraordinary rise (Le capitalisme rouge ou les fondations fragiles de l’extraordinaire montée en puissance de la Chine) affirment que ceci n’est qu’une bulle sociale, financière, environnementale, immobilière vouée à exploser.

Au niveau social : il est courant que des propriétaires de berlines se fassent attaquer par des pauvres. Salaire mensuel : 150€ à Shanghai, 80€ à l’intérieur, dans la province d’Anhui. La Chine possède une classe moyenne de 300 millions de personnes, 150 millions de personnes vivent avec moins de 2$/jour, 200 millions de Mingongs, ces travailleurs précaires venant des campagnes. 187 personnes meurent chaque jour en Chine à cause d’un accident du travail. C’est ce qui s’est également passé lorsque les pays Occidentaux ont fait leur révolution industrielle. L’ancien président Hu Jintao a présenté de nombreuses mesures sociales : baisse des impôts paysans, réforme du « hukou » (passeport interne)…

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Au niveau environnemental : les Occidentaux avaient imaginé deux scénarios : soit la Chine serait en panne de carburants, ou bien elle devait mourir étouffée par la pollution généralisée. Le premier scénario est évoqué car la Chine doit importer énormément de ressources et que les coupures électriques sont monnaie courante. Les dirigeants font tout pour assurer leur sécurité énergétique et ils n’hésitent pas à « pactiser avec le diable ». Ils doivent construire une centrale nucléaire par mois. De même au niveau alimentaire, la Chine dispose de 10% des terres arables pour nourrir 20% de la population, elle doit donc importer (maïs des Etats-Unis par exemple) et même faire de land grabbing (acheter des terres arables à l’étranger, en Mauritanie, à Madagascar par exemple). La menace de pénurie est donc désormais évitée. Celle d’excédent de pollution semble aussi écartée. Même s’ils brillent par le mépris qu’ils affichent à l’égard de sommets internationaux sur le climat (ne voulant pas se voir fixer de normes) et par leur nombre de catastrophes naturelles, ils sont volontaristes et cherchent à améliorer leur efficacité énergétique. Par exemple en 2010, alors que le pays était en retard sur ses objectifs, il a forcé les industriels n’ayant pas adopté des machines plus propres ont dû tout simplement stopper leur production. Le pays ambitionne de réduire la part du charbon dans leur mix énergétique et de consommer 15% d’énergie renouvelable d’ici 2020. Ainsi, la Chine a évité la panne sèche tout comme l’étouffement.

Au niveau financier : « Les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel » et les ginkgos chinois ne montent pas jusqu’au ciel non plus. Cette métaphore est utilisée pour commenter la bulle immobilière et financière. Et malgré le fait que les banques détenaient jusque 50% de prêts impossibles à recouvrer, les banques ne se sont pas effondrées et le krach immobilier s’est bien passé avec un marché qui s’est vite relevé. Les krachs ne menacent et ne menaceront pas la Chine car une révolution industrielle, c’est toujours une course entre offre et demande. Et lorsque les banques subiront des krachs, leurs actionnaires privés seront mis à contribution.

Malgré toutes ses difficultés, la Chine a toujours réussi à démentir ses détracteurs.

3. Deux OPA réussies, une en suspend

La Chine a lancé trois méga-OPA : sur Hong Kong, Taïwan et le Tibet.

Hong Kong : HSBC (Hong-Kong and Shanghai Bank Corporation) a transféré son siège à Londres en 1993 à la suite des discussions entre la Chine et le RU pour se rétrocession. Et en 2009, son DG installe son bureau à Hong Kong qui serait plus favorable que Londres. D’ailleurs, Singapour et Hong Kong sont le top 2 du classement Doing Business depuis 2011 (en 2013 aussi), loin devant la France et le Royaume-Uni. Malgré son intégration à la Chine en 1997, son intégration au 12ème plan quinquennal (2011-2015), et l’arrivée de 500 000 chinois, HK a préservé son système judiciaire indépendant, sa monnaie, et une presse libre. La sinisation complète devrait avoir lieu en 2047. Son PIB/habitant est supérieur à celui des français. Et les dirigeants d’HK se disent qu’il fallait mieux s’arrimer au vaisseau chinois qu’à celui britannique. L’entreprise attire, c’est d’ailleurs là que « L’Occitane » s’y est introduite en bourse, Prada et AIA (filiale asiatique d’AIG) suivent le mouvement.  C’est la 3ème place financière mondiale et c’est là que la Chine libéralise son yuan : McDonalds y a émis ses premières obligations en yuans en 2010.

Taïwan : en Octobre 2010, RPC et Taïwan ont signé un accord favorisant l’intégration des deux économies. C’est une conséquence inattendue de la crise : les Taïwanais ont à leurs portes une économie qui se porte bien, pourquoi ne pas en profiter  au lieu de subir la récession américaine ? Les deux Chine sont de plus en plus intégrées. Le plus grand employeur privé en Chine est taïwanais : Foxconn.

Si la Chine les a attirés, c’est grâce à sa dynamique économique.

Tibet : plus petit démographiquement (2,9 millions d’habitants), les Chinois essayent de séduire Lhassa de la même manière que Taipei et HK. Malgré l’ouverture d’une ligne ferroviaire Pékin-Lhassa, des subventions massives, cette OPA reste celle ratée. Pourtant, c’est la seule se faisant sans surveillance étrangère.

4. Assaut sur les trois A (Asie, Afrique, Amérique Latine)

Pour la Chine, l’Amérique est grasse et molle, le Japon stagnant et fatigué et l’Europe vieille et divisée et ces 3 partagent un excès de dettes. Les ouvrages annonçant le déclin de l’Occident sont des best-sellers en Chine. Pékin veut travailler avec des puissances non pas déclinantes, mais montantes : en Asie, Afrique et Amérique latine via des pactes « win-win », gagnant-gagnant. La Chine est le plus gros acheteur d’Arabie Saoudite, premier partenaire commercial du Nigéria, premier investisseur du Brésil… La Chine a réussi deux nouvelles méga-OPA : sur l’Afrique et l’Amérique latine, pas celle en Asie.

Comme dans Chinafrique (Michel et Beuret), Ben Simpfendorfer dans The New Silk Road, La nouvelle route de la soie (2009) dit que la Chine convainc mieux ses nouveaux partenaires : « La Chine est suffisamment pauvre pour nous comprendre, elle est suffisamment riche pour nous aider » et il dit aussi : « La Chine a des entreprises qui veulent investir, des produits dont ils ont besoin et des financements abondants et bon marché. » Pékin est le premier pourvoyeur d’APD (35 à 50Mds$ par an) et finance des infrastructures utiles, non pas des « éléphants blancs » prisés des Occidentaux.

Ainsi, Chine et Brésil coopèrent intensément : les paysans du Nordeste vendent leur production aux chinois qui prêtent de l’argent aux entreprises brésiliennes et lui achète ses minerais. La Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil avec ses TGV et infrastructures notamment.

Le pays réfute les accusations de colonialisme et décrits que les termes de l’échange sont « win-win » alors que ce n’était pas le cas avec les Occidentaux. Ils soutiennent le prix des matières premières, leurs produits manufacturés, et n’interviennent pas dans les affaires intérieures des autres pays.

Néanmoins, en Asie, c’est plus difficile avec ses 14 voisins à cause de contentieux territoriaux. Au début des années 2000, la Chine s’était montrée très ouverte, multipliant les accords et faisant même quelques concessions territoriales. Mais cette politique s’arrête en 2010, lorsque les chinois ne condamnent pas les tirs nord-coréens vers le Sud, ont rouvert les conflits territoriaux sur les îles Senkaku et Spratleys, et retardé des projets avec l’Inde. Elle a ainsi cassé la dynamique politique lui permettant d’asseoir son leadership dans la région. L’ASEAN ne croît plus vraiment à l’émergence pacifique et ils se détournent vers l’Amérique, le ministre chinois des Affaires étrangères a réagi en disant : « Auriez-vous oublié que votre prospérité dépend de nous ? ».

5. Le Dragon d’or, comme la médaille

Dans Nouvelle Chine, livre de 1910 écrit par un médecin de Shanghai était écrit : « dans cent ans, la Chine aura retrouvé sa place dans le monde, la première ». La Chine tient à cette place : aux JO de Pékin, elle a eu 51 médailles d’or, 15 de plus que les USA. Elle est première dans la production de riz, de pommes, d’acier, de béton, de bicyclettes, d’ordinateurs, de TV, d’éoliennes, d’hydroélectricité. Première aussi dans la taille des introductions boursières, du marché automobile, etc.

Comme tout champion, il est soupçonné de dopage. La Chine veut être première partout. Exemple de l’Expo de Shanghai : pour avoir la première place en termes de visiteurs (pour battre le Japon qui détenait le record), elle a distribué 20 millions de billets gratuits, et a obligé certaines entreprises à y aller, etc.

Au niveau des entreprises, la Chine possède 4 des 10 premières capitalisations en 2010 et ICBC (Industrial and Commercial Bank of China) est la première banque du monde en termes de clients (230 millions). Les banques chinoises jouissent d’un oligopole, la concurrence est donc absente et si elles sont rentables, elles le sont grâce à l’Etat qui fixe des marges de crédits très élevées.  ICBC est détenue à 35% directement par l’Etat et à 35% par un fonds (CIC : China Investment Corp) sous contrôle de l’Etat. Cette omniprésence de l’Etat limite le flottant : les actions sont peu nombreuses et donc très recherchées, ce qui gonfle artificiellement leur valeur.

Sur le marché de l’art, Poly et Guardian imitent Christie’s et Sotheby’s et le marché chinois de l’art devrait être le premier dans le monde en 2015.

Autre médaille d’or, la Chine est le premier exportateur de la planète depuis 2010 et est premier partenaire commercial du Brésil, du Japon, de l’Allemagne et de la Corée du Sud. Le pays monte en gamme, mais ne touche en définitive que 5€ sur un iPhone vendu 500€ dans un Apple Store parisien… La Chine n’est pas vouée au low-cost : sur les produits de haute-technologie, la Chine est d’ores et déjà numéro 1 (même si ce n’est que de l’assemblage final).

En 2011, la Chine est le premier pays en termes de dépôt de brevets. Là encore, le gouvernement les incite en récompensant ceux qui le font par un assouplissement du fameux « hukou » pour les étudiants ruraux, par l’obtention d’une chaire pour un professeur débutant ou des allègements fiscaux pour les entreprises. L’Etat paie les coûts de dépôts. Peu d’entre eux sont de véritables inventions. Mais le gouvernement les favorise par un investissement dans les universités (budget doublé depuis 1990) formant 500 000 diplômés par an. Le pays a 1,5 million de chercheurs (20% des effectifs mondiaux), 1200 laboratoires de R&D étrangers et 3 millions d’ingénieurs.

Ses laboratoires n’auraient que 3 ans de retard sur ceux en pointe et même le professeur Montagnier (français qui avait découvert le virus du SIDA en 1983, Nobel de médecine en 2008) s’est installé en 2010 dans une université de Shanghai qui lui a proposé de créer un institut à son nom. L’AIE (Agence Internationale de l’Energie) affirme que la Chine deviendrait rapidement en pointe des technologies liées aux énergies renouvelables.

Le fonds d’investissement Séquoia (un des premiers investisseurs d’Apple, Cisco et Google) s’est depuis 2005 tourné sur la Chine à la recherche de start-up, ils en sont convaincus : l’Apple de demain sera chinois. Ils détiennent le superordinateur le plus puissant du monde avec 34.1015 opérations à virgule flottante par seconde. Ils ont également planté leur drapeau en mer de Chine à 3000m de profondeur.

Xi Jinping en 2009 déclare : « La Chine n’exporte ni la révolution, ni la famine, ni la pauvreté. Elle se développe, c’est tout. Elle ne veut juste pas vous causer de maux de tête. Que voulez-vous d’autre ? » tout en fustigeant « ces étrangers au ventre plein qui pointent constamment du doigt ». La Grande Récession a marqué l’inefficacité du consensus de Washington et l’efficacité de celui de Pékin mêlant capitalisme économique et autoritarisme politique. L’« illibéralisme » permet à la Chine de gagner la bataille économique, commerciale, technologique et financière et la Chine ne veut pas de bataille politique pour imposer son modèle au monde, l’un des seuls produits « Made in China » qu’elle n’exporte pas, bien qu’il séduise les émergents.

Dans Capitalisme 4.0 : la naissance d’une économie nouvelle après la crise, Anatole Kaletsky affirme que, de la même manière que « le capitalisme démocratique basé sur les valeurs occidentales et le leadership américain » pourrait s’effacer au profit « d’un capitalisme autoritaire mené par l’Etat et inspiré par les valeurs asiatiques ». Tout en se défendant de prosélytisme, la Chine sait que sa réussite est son meilleur argument.

III. Le Dragon a trop peur

Comme de nombreuses nations dans l’histoire économiques, après 30 ans de croissance économique forte, la dynamique finit par s’essouffler (France entre 1945 et 1973). La Chine craint cette malédiction (ce qui est arrivé au Japon) et cette angoisse collective est une autre explication de l’arrogance chinoise. Même si les Chinois sont convaincus de la supériorité de « l’économie socialiste de marché », « l’illibéralisme » selon les mots de l’auteur, ils savent que son moteur est menacé : démographie et exportation s’essoufflent. La Chine devra compter sur l’innovation et la consommation intérieure.

Son angoisse vient du fait qu’il faille changer de modèle de croissance sans toucher à son système politique. Et ils cachent cette angoisse par l’arrogance. L’expression de cette peur est la constitution d’une réserve de changes monstrueuse : c’est une force car le pays impose sa loi, mais c’est une faiblesse car elle dépend dangereusement de ses débiteurs.

Confucius, Entretiens de Maître avec ses disciples (VIème siècle avant JC) : « la prodigalité conduit à l’arrogance et la parcimonie à l’avarice […] l’arrogance est pire que l’avarice ».

1. Le cauchemar nippon

Et si la Chine d’aujourd’hui était le Japon de 1980 ? Les chinois refusent la comparaison (dix fois plus nombreux, régime politique différent, concurrent/allié des USA, deux nations riches mais la Chine a toujours une population pauvre).

Néanmoins, la Chine a suivi la même stratégie « mercantiliste » que les japonais : « tout-à-l’export », Etat puissant, main d’œuvre nombreuse et bon marché, technologies copiées, monnaie faible, épargne spoliée, accumulation de surplus commerciaux, surinvestissements massifs. On connaît la suite pour le Japon…

Comme le disait en 1979 Ezra Vogel dans Japan as Number One : Lessons for America, le Japon était vu comme futur numéro 1, comme la Chine aujourd’hui. Mais la comparaison est étonnante : les entreprises japonaises se sont lancées dans les marchés occidentaux, ce que font  Petrochina, Geely et Huawei ; la bourse de Tokyo tout comme l’immobilier s’envolait, c’est le cas de la bourse de Shanghai et de Shenzen ou des appartements de Pékin et HK. Les japonais ont acheté des beaux immeubles (Rockefeller Center à NY), les chinois investissent à Londres. A l’époque, rien ne semblait pouvoir arrêter le Japon, mais il n’a jamais rattrapé les USA.

Pour se rassurer, la Chine affirme qu’elle a 20% de la population mondiale, dix fois plus que le Japon en 1980. D’ailleurs, les économistes chinois assurent que leur PIB est sous-estimé du fait de l’économie informelle (20 à 30% de l’économie) et de la sous-évaluation du yuan (40% d’après les experts américains).

De plus, les Chinois sont pauvres alors que les japonais étaient riches. Même si le PIB/habitant a été multiplié par 10 entre 1980 et 2010 (4000$ cette année là), ils sont encore loin des Occidentaux, d’où un potentiel de croissance fort qu’il n’y avait pas au Japon. Angus Maddison a montré que lorsqu’il pays atteint un certain niveau de vie, sa croissance ralentissait : le pays « s’engage dans une augmentation de ses coûts sans progression équivalente de sa productivité, c’est que la machine s’encalmine. »

Pékin se souvient de la réévaluation du yen, ce qui était selon eux un « suicide japonais », c’est pourquoi ils ne le feront pas avec le yuan.

Les dirigeants chinois sont clairvoyants : ce sont eux qui se critiquent le plus violemment. Dans The Next Asia, Stephen Roach affirme que Wen Jiabao (Premier ministre) devait annoncer en 2007 son diagnostic, il l’a fait en 4 « U » :

  • Unstable : instable
  • Unbalanced : pleine de déséquilibres
  • Uncoordinated : mal coordonnée
  • Unsustainable : insoutenable écologiquement

Il y a peu de chances qu’un dirigeant occidental présente de telle manière l’état de l’économie de son pays… Et la Chine s’inspirerait plus de Singapour, de la Corée du Sud que du Japon, mais il doit pour cela accroître la concurrence, libéraliser les importations et déréguler le système financier : accroître la liberté économique. Changer de modèle économique : voilà l’antienne de tous ses dirigeants depuis 10 ans, sans succès : les surplus commerciaux ont représenté jusque 11% du PIB en 2007 et 5% en 2010.

2. Quand l’écureuil s’éveillera

La Chine s’est constitué un magot considérable : 100 milliards en 2000, 3000 milliards en 2010 (3440 en 2013). Ces réserves sont une anomalie totale et une ineptie économique. En règle générale, un pays doit garder de quoi payer 3 à 6 mois d’importations en réserve, pour la Chine, c’est 30 mois. En étant « cigale et fourmi », les Chinois épargnent entre 30 et 40% de leur revenu disponible, ce qui est énorme et montre une peur de l’avenir. Mais se déguiser en écureuil est une grave erreur pour le Dragon, pour trois raisons :

  • Pour constituer ses réserves, elle doit faire de gros excédents commerciaux, ce qui nécessite une monnaie sous-évaluée pour taxer indirectement les importations et faciliter les exportations. Mais réévaluer le renminbi ne serait pas une « catastrophe » comme l’affirmait Wen Jiabao en 2010 car cela obligerait les exportateurs à améliorer leur compétitivité (mouais…) tout en renforçant le pouvoir d’achat des chinois. Le pays fait tout pour ralentir la libéralisation de sa monnaie et en garder le contrôle. En fin de compte, ceci favorise les entreprises et non la population, les investissements et non la consommation : ce magot freine la modernisation de l’économie chinoise.
  • Les réserves monétaires ne soutiennent pas le développement : au lieu de construire des infrastructures sociales plus performantes avec, le pays achète les dettes grecques, espagnoles et surtout américaines. Et ces réserves seraient mal investies : les bons du Trésor américain (2/3 de leurs réserves !) ne rapportent presque rien, leurs participations dans les banques américaines se sont effondrées avec la crise, et ont alimenté la bulle de l’or. Investie à l’intérieur du pays, elle aurait rapporté plus.
  • La Chine est extrêmement dépendante. Même si le fait que les Occidentaux viennent faire la quête à Pékin les a flattés, les montants investis par la Chine sont dangereux car elle risque de se faire rembourser ses bons du Trésor en monnaie de singe…

L’arrogance est donc le reflet de ce manque de confiance en soi. Les craintes de la réévaluation du yuan sont exagérées : depuis juillet 2005, l’assouplissement du « peg » liant $ et yuan a laissé cette dernière s’apprécier de 20% sans remettre en cause sa dynamique. La Chine a peur de laisser aux marchés la maîtrise de son développement et se protège donc avec ses réserves.

3. Et la bête s’épuisa

Alors que dans son premier opus, Izraelewicz décrivait une armée de réserve constituée de Mingongs, Wen Jiabao exprimait en 2010 sa peur de voir une « pénurie structurelle de main d’œuvre ». Et en 2010, les travailleurs de groupes comme Hyundai et Honda réclamaient des hausses de salaires.

C’est le « tournant de Lewis » : le Nobel d’économie de 1979 a montré que le développement d’un pays s’appuie au départ sur une « offre illimitée de main d’œuvre » qui devenait « limitée » et qu’il faut donc aller chercher ailleurs les moyens de sa croissance. « Croissance extensive » selon les soviétiques, « phase d’accumulation primitive du capital » pour Marx, c’est le schéma que la Chine avait adopté.

Mais la démographie est moins dynamique et sa population devrait baisser dès 2030/2035. C’est un pays qui sera vieux avant d’être riche : âge moyen en 1995 : 27 ans, 40 ans en 2025, à cause de la politique de l’enfant unique qui aurait permis d’éviter 400 millions de naissances. La population en âge de travailler devrait commencer à baisser durablement en 2015, mais pourra continuer à bénéficier de l’exode rural.

Son modèle de « tout-à-l’export » s’épuise : la main d’œuvre devient plus compétitive au Bangladesh, au Vietnam et en Inde et les marchés mondiaux sont saturés et tentés par le protectionnisme. Le consommateur occidental, souvent endetté, ne peut pas consommer plus. Et le taux de croissance chinois devrait être de 5,5%/an (selon la BAD) entre 2011 et 2030, or, le pouvoir estime que le pays est stable lorsqu’il a 6 à 7% de croissance/an. Il faut donc mettre fin au « modèle de croissance extravertie » et privilégier une « croissance inclusive » selon les mots de Hu Jintao, l’ancien président. Bref, la Chine doit travailler pour le consommateur chinois, pas celui américain.

4. Libérer le consommateur

Il suffit de les voir à Paris les Chinois sont accros au shopping, dans les enseignes de luxe particulièrement. Alors qu’ils n’étaient que 7 millions à voyager hors de leurs frontières, ils étaient 42 millions en 2009.

La consommation augmente de 8% par an depuis 10 ans, et a été multipliée par 10 en 30 ans ; le marché de la viande a été multiplié par 4, celui des œufs par 8, de lait par 10. Pourtant, la consommation est le parent pauvre de la croissance chinoise, mais son heure est arrivée. Alors que le FMI demandait en 2010 à presque tous les pays de se « serrer la ceinture », il demandait l’inverse à la Chine ! Alors qu’en France, la part de revenu global allant aux salaires est restée stables, celle chinoise est passée de 56% dans les années 80 à seulement 36% en 2005 : c’est 20% de moins pour les consommateurs, 20% de plus pour les entreprises. Les ménages ont dû subir des salaires bas, une lourde fiscalité, une épargne mal rémunérée et une fiscalité lourde tandis que les entreprises ont eu des crédits peu chers, peu d’impôts et une monnaie sous-évaluée. C’est une politique très favorable au « grand » capital, étonnant de la part d’un pays se déclarant communiste, mais nécessaire à la RI.

supermarché chine

En négligeant les crèches, les supermarchés et les services au profit d’usines, de routes et de barrages, la Chine a réussi son décollage mais la faiblesse de celui-ci est pénalisant : la consommation ne représente que 35% du PIB ! C’est 50% en Europe et 70% aux Etats-Unis ! Ce n’est plus tenable. Le nouveau régime de croissance à adopter doit être axé plus sur le travail (et les travailleurs donc) que sur le capital et l’enrichissement des entreprises.

5. Foxconn, l’avant-garde révolutionnaire

Terry Gou, patron de Foxconn semble être à l’avant-garde de ces changements à venir. « Foxconn ce n’est pas Fort Knox, c’est juste la Chine en miniature. »

Son entreprise est née en 1974 à Taïwan sous le nom Hon Hai Precision Industry, elle faisait de la sous-traitance pour les entreprises étrangères. Dans les années 1980, Terry Gou franchit le détroit et s’installe via sa filiale Foxconn à Shenzhen. Il y construit une véritable petite cité à l’intérieur de la ville (a accueilli jusque 270 000 ouvriers) et fait venir des Mingongs payés une misère. C’est une copie parfaite des cités Wendel/Michelin d’il y a 150 ans. L’entreprise devient vite numéro 1 grâce à Apple, HP, Dell ou Nintendo.

Accablé par des scandales à propos de sa firme, Terry Gou veut un nouveau modèle de croissance :

  • Salaires plus élevés
  • Implantations moins concentrées sur la côte
  • Transfert de certaines fonctions sociales à l’Etat
  • Diversification de ses activités

C’est justement ce que la Chine doit faire à son échelle. Durant l’été 2010, Terry Gou n’y est pas allé de main morte : il a doublé les salaires de tout son personnel : ses ouvriers sont passés de 1000 à 2000 yuans/mois (250€). Wen Jiabao avait même mis la pression sur Honda pour qu’ils montent leurs salaires, retour aux origines pour le parti ? Non, simple prise de conscience que les faibles salaires, ancienne force, sont désormais une faiblesse.

Terry Gou, c’est un peu le Henry Ford chinois, 100 ans plus tard : il doit augmenter les salaires pour que la consommation reparte.

foxconn

Les SMIC locaux ont étés multipliés par deux entre 2005 et 2010. Et ses coûts restent toujours plus compétitifs que ceux de l’Occident. L’écart était 1/30 en 2000, c’est 1/15 aujourd’hui. La Chine se réjouit même de voir des activités à bas coûts quitter son territoire pour le Vietnam et le Bangladesh.

Foxconn s’implante dans le Sichuan à Chengdu (3,5Mds$ d’investissements). En 2010, 20% des salariés de Foxconn sont à l’intérieur, ce sera 66% en 2015 ! L’urbanisation de l’intérieur est aussi engagée. Le parti suit les recommandations de l’humoriste français Alphonse Allais qui voulait « mettre les villes à la campagne ». Il y aura 50% d’urbains en 2015. Exemple de ville se développant rapidement : Hefei, capitale de l’Anhui, à 400km des côtes. Partant de presque rien, HSBC, Carrefour, Wal-Mart, Tesco et  un aéroport y sont désormais implantés.

Foxconn veut également monter en gamme : distribution, outsourcing et innovation sont ses prochains défis. Ses productions bas de gamme seront robotisées. Un partenariat avec Metro (allemand) lui permettra d’avoir ses propres enseignes.

De même, la « cité Foxconn » est en cours de démantèlement, c’est à l’Etat s’assurer ses fonctions sociales. C’est nécessaire pour que les Chinois n’aient plus peur de consommer car aujourd’hui, ils épargnent bien trop, en prévision d’éventuelles difficultés à venir. En 2000, l’OMS classait le système de soins chinois 188ème sur 191 : seuls 10% avaient une assurance maladie, 40% de personnes ne se soignaient jamais. En 2009, un plan de 125Mds$ a été lancé. Aujourd’hui, 75% des Chinois ont une assurance-santé mais le pays figure toujours en queue de peloton pour l’OMS.

En fin de compte, le consommateur chinois aura besoin d’une révolution « socialiste » avec :

  • Une protection sociale
  • Un salaire décent
  • Du pouvoir d’achat, donc  une réévaluation de sa monnaie, le yuan

6. Chiffon rouge, drapeau vert

En Août 2010 :

  • Plus de ventes de voitures à Pékin (17 millions d’habitants) qu’en France (65 millions)
  • Embouteillage le plus long de l’histoire : 10 jours, vitesse moyenne d’1km/h.
  • Pic de pollution record

S’il faut éveiller le consommateur chinois, il faut que l’économie puisse le satisfaire sans désastre environnemental. « Les Rouges doivent passer au vert. » et leur négligence des sommets internationaux ne manifestent pas une négligence, mais le refus de se voir imposer des normes par des pays ayant pu polluer pour se développer.

Après l’Américain Ford et son fordisme, le japonais Toyota et son toyotisme, y’aura-t’il un constructeur chinois allant chambouler toute l’industrie avec un nouveau modèle ? La Chine est le premier marché mondial de l’automobile : Chery, Geely, BYD, SAIC, Dongfeng ? Ces entreprises qui copient le savoir-faire étranger (fordisme à la base, toyotisme aujourd’hui) doivent trouver leur propre modèle pour satisfaire le défi de « l’hypermasse ». Le marché de l’automobile (5 millions en 2005, 18 millions en 2010, 40 millions en 2020) a de beaux jours : il y a 30 voitures pour 1000 habitants contre 600 en Europe. Or, ce marché est très nocif pour l’environnement. L’hypermasse impose donc un écodéveloppement immédiat. Ainsi, le PDG d’un constructeur de Chongqing (Chang’an) affirmait : « La Chine était suiveur, elle va devenir leader. » Ses nouvelles villes sont toujours très « vertes » : bornes de recharges pour voitures électriques, éclairage à LED, réseaux électriques intelligents, etc.

La Chine doit franchir une frontière : celle technologique ! Et il ne faut pas se contenter de déposer des brevets, ceux-ci doivent être réellement utiles ! La Chine veut faire le ménage parmi les 120 constructeurs avec 4 géants mondiaux (+2 millions de ventes/an) et quatre nationaux (+ d’un million). En 2009, la Chine a investi 15 milliards pour les voitures propres et a lancé une politique de « bonus écologique ».

Le vert est imposé partout, surtout dans l’énergie, nous l’avons déjà vu. Le problème, c’est que la Chine copie, donc Toyota n’a pas cédé au marchandage « Notre marché contre votre technologie » pour les voitures hybrides Prius.

Certes nationalistes, les chinois utilisent le proverbe « Les prêtres étrangers font les meilleurs sermons », ils considèrent les produits étrangers comme meilleurs que ceux nationaux : ils ont beau détester les Japonais, ils adorent leurs marques : Sony, Honda et Matsuhita sont plébiscitées dans les enquêtes d’opinion.

70% des voitures vendues en Chine sont sous marque étrangère, et les JV n’utilisent pas leur marque chinoise. Si Geely a acheté Volvo et BAIC le suédois Saab Automobile, c’est pour vendre leurs voitures sous ces marques occidentales. Les nationaux émergent sur d’autres secteurs : Li Ning (marque lancée par un ancien gymnaste) concurrence Nike et Adidas avec ses 8000 magasins disséminés dans tout le pays. Elle dépasse Adidas et talonne Nike.

Comme Chery et ses compères devront inventer l’automobile, la Chine doit inventer l’industrie du XXIème siècle, projeter ses champions nationaux sur les marchés mondiaux en y investissant. En 2010, les IDE chinois totaux à l’étranger étaient de 50Mds$ alors que les étrangers ont investit 100Mds$ juste en 2010 en Chine. La Chine doit cependant ne pas brusquer les opinions comme l’échec du rachat de l’américain Unocal par CNOOC (China National Offshore Oil Company) l’avait fait. Ils doivent aussi gérer les entreprises rachetées et s’adapter à la culture occidentale où les actionnaires minoritaires ont leur mot à dire, la transparence est requise et les syndicats sont respectés.

Ils profitent de la crise pour faire leurs emplettes : Geely a racheté Volvo, CNOOC enfin a réussi à racheter une entreprise vendant du gaz aux industriels en 2010, Fosun a pris des parts dans Club Med. Chery s’implante en Turquie, au Brésil, et en Espagne d’ici 2015. La production d’hypermasse lui permettra de réduire ses coûts et Wuhu, ville de son siège remplacera peut-être Détroit et Toyota City !

Ne plus être suiveur, devenir leader. C’est le rêve de l’Empire.

  • Go West : l’industrie doit se délocaliser dans les régions pauvres
  • Go In : elle doit se réapproprier le marché intérieur
  • Go Green : elle doit se verdir pour ne pas étouffer ses villes
  • Go Out : elle doit s’internationaliser
  • Go…go : elle doit laisser plus de place aux activités de service.

« Les ordres de GPS se multiplient et se confondent au point de rendre parfois la conduite difficile. Le pilote feint l’assurance. Il a naturellement quelque appréhension avant de prendre le volant. »

7. L’« illibéralisme » en questions

Invité par CCTV4 à l’occasion de son premier livre (Quand la Chine change le monde) à parler des « Regards du monde sur l’économie chinoise », Erik Izraelewicz insistait sur l’émergence de contre-pouvoirs liés aux révolutions industrielles en Occident. Le passage a été coupé, comme si la Chine ne voyait pas en quoi les syndicats indépendants sont indispensables dans une économie de marché. Mais en 2010, lors des grèves chez Honda, LG, Foxconn, les salariés ne se sont pas ligués avec le syndicat officiel (Fédération des syndicats du pays). Cette question reste taboue.

 N’y a-t-il pas incompatibilité entre l’« illibéralisme » et le nouveau régime de croissance recherché ?

Au début d’une RI, une organisation politique quasi-militaire peut être efficace (on a bien eu des mineurs du Nord et des ouvrières du textile des Vosges précaires) dans une phase d’accumulation primitive en imposant des sacrifices nécessaires à l’intérêt collectif : c’est ce qui fait la différence entre la Chine et l’Inde. Autant les JO de Pékin de 2008 ont été un succès, ceux du Commonwealth en 2010 en Inde étaient une catastrophe ce qui, selon la presse chinoise, manifeste la supériorité du modèle chinois. La construction d’infrastructures se fait sans problème chez le Dragon chinois alors que l’Eléphant indien fait face à de nombreux corporatismes : le barrage des Trois-Gorges décidé par Li Peng n’a posé aucun problème, il n’a demandé l’avis de personne.

La Chine a envie de sortir de cette phase « d’accumulation primitive du capital », elle n’a plus besoin de discipline et de sacrifices mais de liberté et d’imagination. La Chine a besoin d’imagination du chercheur, d’entrepreneur, d’inventeur et a donc besoin d’un véritable Etat de droit. La valeur ajoutée doit être partagée aux salariés et consommateurs et ont donc besoin de syndicats, ce que ne veulent pas faire les entreprises chinoises et celles étrangères.

L’innovation ne doit plus être seulement l’affaire de l’Etat mais il doit y avoir une vraie culture de l’innovation. L’URSS avait investi des milliards et n’a été à l’origine d’aucune évolution. L’éducation doit désormais privilégier la créativité, pas la théorie, l’Etat de droit doit être assuré. Nul ne sait si ces évolutions sont compatibles avec l’illibéralisme.

« Réformer les réformes » : les élites sont pour une nouvelle étape dans la révolution chinoise pour passer du « low-cost » au « high-tech », il faut « un grand bond en avant ». Si avec l’ouverture au monde et les NTIC, les populations s’expriment davantage, elles se heurtent aux limites de la liberté politique.

Thomas Friedman, dans un édito au New York Times en 2010 écrivait : « La Chine ne pourra continuer à croître rapidement si elle reste un Etat totalitaire. Elle ne deviendra jamais l’économie sophistiquée qu’elle vise et dans laquelle des start-up high-tech auront remplacé les usines à bas salaires tant que ses concitoyens ne seront pas totalement libres. » Les politiques chinois veulent continuer à croire qu’il existe une séparation, une Grande muraille de Chine, entre liberté économique et liberté politique, ce qui le met mal à l’aise.

Conclusion générale : vivre avec l’éléphant

Erik Izraelewicz se projette en 2030 et imagine un cours à l’université Tsinghua dans lequel un professeur chinois explique la chute de l’Empire américain par son arrogance sous la mandature de Bush Jr et des frères Lehman de la banque du même nom. Se croyant toute permise, elle aurait manipulé sa monnaie, ses entreprises voulaient imposer leur loir partout, etc. Derrière le cas américain, il s’agit d’une métaphore de la Chine.

Deng Xiaoping disait : « Garder la tête froide et conserver un profil bas… Ne jamais prétendre dominer mais faire de grandes choses. » Et la Chine renie aujourd’hui ce principe sur lequel elle s’est reconstruite.

Il disait aussi : « Cacher ses talents et attendre son heure. » Et la Chine considère que son heure a sonné. L’arrogance chinoise est donc le reflet de cette ambivalence entre sa réussite et sa nécessité de réussir sa transition. Elle sera première entre 2019 et 2030.

Démographie et exportation vont ralentir et innovation et consommation intérieure devront les remplacer. L’Etat de droit doit se substituer à « l’Etat du parti ».

Ces réformes provoquent de nombreux débats au sein du PCC et quelques axes ont été retenus par Wen Jiaobo : lutte contre la corruption, implication plus grande des citoyens, propos condamnés par Hu Jintao, montrant la difficile adéquation de l’illibéralisme et de nouveau régime de croissance dont la Chine a besoin.

Ce qu’une génération a vécu est essentiel pour caractériser sa politique : en Europe, ceux qui avaient connu la Seconde Guerre mondiale (Giscard, Schmidt, Mitterrand, Kohl) ont fait progresser l’UE, pas la génération des Chirac, Sarkozy, Merkel, Schröder. En Chine, les générations ayant succédé à Mao avaient connu la faim et la misère alors que Xi Jinping est le fils d’un vice-Premier ministre de Deng. Comme le dit Richard McGregor dans The Party, voyage à l’intérieur du véritable pouvoir, cette nouvelle génération n’a pas le complexe d’infériorité vis-à-vis des dirigeants occidentaux qu’avaient les générations précédentes. Cette génération est celle qui, dans le monde économique, a déjà confronté Riboud (Danone), Murdoch (News Corp), Immelt (General Electric) et Schmidt (Google) !

La Chine finira par tomber, c’est ce que de nombreux experts occidentaux souhaitent. Mais le pays est devenu tellement important que sa chute entrainerait celle de l’économie mondiale : elle serait devenue Too big to fail, un risque systémique (ici, c’est un aphorisme désignant un élément capable de mettre en danger la survie de nos économies). Sa montée en puissance plutôt que sa chute est préférable pour nos économies.

Pour les entreprises occidentales, la Chine est un risque : ce n’est pas l’Eldorado promis mais ils ne peuvent pas pour autant se passer de ce marché. Il prédit que des entreprises comme Areva ou Peugeot auront des actionnaires chinois (bien vu pour Peugeot, Dongfeng devrait entrer au capital de l’entreprise). Pour anticiper ces pièges, il faut que les entreprises occidentales connaissent la bête mais un proverbe chinois dit : « Face à l’éléphant, chacun ne voit qu’une partie de son corps. » Ceux qui y travaillent disent même qu’il n’y a pas qu’une Chine mais des dizaines.

Mais la coopération avec la Chine ne peut se limiter à l’achat/vente de produits ou de technologies. Lorsque Fosun a pris environ 10% du capital de Club Med, Henri Giscard d’Estaing (le PDG) a dit que cela permettrait de créer un village/an en Chine. De même, Total allié à CNPC se développent conjointement en Iran et au Venezuela. Ou encore l’entreprise « Les Nouveaux Ateliers » où les mesures sont prises dans une boutique à Paris, les costumes fabriqués à Shanghai et livrés en 5 jours.

Les Occidentaux ne sont pas pour autant désarmés face à la menace chinoise. La Chine subit encore un embargo sur les armes et sur les technologies « sensibles ». Pourquoi être complaisant et faible quand on sait comment la Chine marchande ses ouvertures ?

La Chine a profité des marchés étrangers dans son développement, tout en les fermant chez elles (télécoms, bâtiment, assurance). Le reste du monde ne doit pas s’interdire de brandir la menace protectionniste pour que la Chine joue le jeu en matière de réciprocité, de monnaie et de la propriété intellectuelle. Et ce jeu s’avère également gagnant pour la Chine qui pourra passer à une économie d’innovation.

Les partenaires commerciaux de la Chine doivent également cesser de faciliter le jeu à la Chine en se divisant. L’UE ne s’est pas dotée d’une stratégie commune solide et chaque pays envoie ses propres entreprises et hormis celles allemandes, c’est inefficace. Sarkozy avait promis en 2007 que sa première visite à Pékin se ferait avec Brown et Merkel, il ne l’a pas fait.

De plus, il ne faut pas oublier les autres membres des BRICS qui sont des démocraties et des Etats de droit (la Russie, contestable…). Ils pourraient se braquer face à l’arrogance chinoise comme le font d’autres pays d’Asie. De même, l’Afrique n’est pas condamnée à une nouvelle colonisation et les Occidentaux peuvent aussi prendre leur part.

Enfin, le plus important, c’est que la Chine prenne sa part dans la gouvernance mondiale et devienne un « partenaire responsable » de la planète comme l’affirme Robert Zoellick ancien président de la Banque mondiale. La Chine renforce ses droits de vote au FMI, est présente dans la Banque mondiale et est membre du G20. Si la Chine ne veut pas se voir imposer des normes par d’autres, elle n’a qu’à accepter d’en proposer d’autres. Elle sait comment éviter les questions pointilleuses : alors que la Chine était accusée de ne pas réévaluer le yuan, Pékin dénonçait la place du dollar à long terme dans le SMI. Et lorsqu’ils annonçaient la suspension de « peg » (lien entre le dollar et le yuan), la réévaluation n’a pas eu lieu et les Chinois dénonçaient la manipulation du dollar entraînée par la politique d’assouplissement quantitatif de la FED…

 DERNIER PARAGRAPHE :

La « règle d’or », en économie, veut que celui qui a l’or fixe la règle. Depuis presque un siècle, c’est sur la base de ce principe que l’Amérique, puissance dominante, impose à l’économie mondiale ses règles du jeu. Le dollar, sa devise, était la monnaie commune, acceptée par tous. Goldman Sachs, Citigroup et Wall Street régentaient la finance mondiale. Apple, Google et Hollywood dominaient les industries de la planète. Le marché libre et l’autorégulation faisaient office de pensée unique. La montée en puissance de la Chine est en train de changer la donne. Premier producteur mondial d’or (encore une médaille…d’or), l’Empire n’en est encore que le cinquième détenteur. Il n’y a placé qu’une part marginale de ses réserves, pour l’instant. Mais l’or, dans la règle, c’est la fortune et demain, du fait de la taille de ses marchés, de l’ampleur de ses ambitions, de la soif de revanche qui l’anime, de son pragmatisme, de son dévouement au travail et de sa culture, c’est la Chine qui l’aura. C’est donc elle qui, de plus en plus, fixera dans l’économie mondiale les règles du jeu. Le reste du monde doit en accepter l’augure. « La parenthèse occidentale arrive à sa fin », entend-on (sic) parfois à Pékin. Cela ne condamne pas l’Occident à renoncer à toutes ses convictions, à abandonner la défense de ses intérêts ou à se soumettre corps et âme. Rien n’est jamais joué. L’Empire du Milieu est revenu au milieu du monde, c’est vrai. Il a néanmoins appris, de sa propre histoire, qu’il ne suffit pas d’avoir le nombre pour avoir la puissance. Il sait aussi, de l’histoire des autres empires, que l’arrogance peut être mauvaise conseillère. Elle est en tout cas, en ce début de XXIème siècle, un vrai danger pour lui (sic) comme pour le reste de la planète. Quand la Chine change le monde : le film ne fait que commencer.

Points positifs :

  • Lecture facile, rapide et structurée. Ceci est normal étant donné que l’auteur du livre est journaliste.
  • Richesse des informations à propos de la société chinoise.
  • Exemples et idées pertinents et facilement exploitables sur une copie (illibéralisme, duel entre les consensus, entreprises chinoises, etc.)
  • Un véritable mini-cours sur la Chine, complète très bien celui d’un prof

Points négatifs :

  • Aucun, sauf un chiffre qui semble ne pas être vrai : le fait que le nombre de personnes en âge de travailler ait baissé dès 2011. Cela semble un petit peu tôt par rapport aux projections démographiques généralement admises.

A conseiller pour :

Ceux qui visent une Parisienne ou qui s’intéressent particulièrement à la Chine.

Mehdi CORNILLIET
Major-Prepa