Dans cet article, nous nous penchons sur la conception aristotélicienne de l’homme comme « animal politique ».

Quelques mots sur Aristote et son livre

Aristote a vécu au IVe siècle av. J.-C. À la fois élève et critique de Platon, polymathe accompli, il est l’un des philosophes majeurs de l’Antiquité grecque.

Le livre dont notre extrait est issu, les Politiques, est comme le titre l’indique un livre de philosophie politique. Il s’agit même d’un des livres fondateurs de la science politique. L’extrait que nous étudions dans cet article se trouve dans la partie 2 du chapitre I.

Le thème

Le thème de ce texte est le rapport de l’homme à la vie politique.

La question

Aristote pose la question suivante : l’homme est-il par nature voué à vivre dans une communauté politique ?

Les enjeux

Pour bien comprendre l’intérêt de la question, il faut saisir ses enjeux. Aristote s’oppose ici aux conceptions contractualistes (ou conventionnalistes) de la vie politique. Selon ces dernières, les hommes vivent d’abord en dehors de la société est ne sont amenés à former des communautés politiques que pour des raisons contingentes (la satisfaction optimale de leurs besoins, par exemple). Dans cette perspective, la cité n’est pour l’homme qu’un instrument. Aristote souhaite au contraire montrer que la vie politique a pour l’homme une valeur intrinsèque, et non seulement instrumentale.

La thèse

La thèse d’Aristote est donc que l’homme est par nature voué à vivre dans une cité. C’est le sens de la fameuse citation d’Aristote selon laquelle l’homme est un animal politique.

Le plan du texte

Dans une première partie, Aristote affirme la naturalité de la cité et le caractère naturellement politique de l’homme.

Dans une deuxième partie, il distingue les animaux sociaux et les animaux politiques que sont les hommes : les premiers sont simplement des animaux qui vivent ensemble, tandis que les seconds non seulement vivent ensemble, mais partagent également des valeurs.

Dans une troisième partie, Aristote montre comment on peut déduire la naturalité de l’homme à partir du fait qu’il possède la raison ou le langage.

I – La naturalité de la cité et le caractère politique de l’homme

1) Contre le contractualisme

La première affirmation d’Aristote est que la cité, c’est-à-dire la communauté politique, est quelque chose de naturel. Cette affirmation est étroitement liée à l’affirmation selon laquelle l’homme est par nature un animal politique. Cela signifie trois choses différentes qui vont ensemble.

Premièrement, cela signifie que la communauté politique n’est pas une création artificielle des hommes. Chez un penseur politique moderne comme Hobbes, par exemple, l’état naturel de l’homme est un état de solitude (relative) et d’hostilité vis-à-vis de ses semblables (une guerre de tous contre tous). C’est par un contrat que les hommes sortent de l’état de nature pour entrer dans un état qu’ils jugent plus avantageux pour la satisfaction de leurs intérêts, à savoir l’état civil ou politique.

Pour Aristote au contraire, l’homme vit par nature en cité. Il n’y a pas de passage d’un état naturel à un état civil artificiel : l’état civil est naturel. Cela ne signifie pas bien sûr que tous les hommes sont nés dans une communauté politique. Il a bien fallu que des hommes existent d’abord, puis établissent des cités ensuite. Mais s’il est vrai que la cité est postérieure à l’homme sur le plan chronologique, elle lui est antérieure sur le plan téléologique (c’est-à-dire dans l’ordre des finalités) : il était dans la nature de l’homme de vivre en cité même avant qu’une cité existe.

2) L’homme, partie du tout politique

L’idée que la cité est naturelle implique, deuxièmement, qu’un homme qui ne vivrait pas en cité serait un être incomplet, une pièce détachée d’une totalité à laquelle elle est censée appartenir. Cela ne veut pas simplement dire que, de fait, l’homme qui vit en cité est un des membres d’une communauté politique. Cela signifie, plus profondément, que la vie d’un homme sans communauté politique perd son sens, comme l’existence d’une pièce de puzzle isolée.

3) Téléologie et politique : le bonheur, la place et la fonction de l’homme dans le monde

Pour mieux comprendre ce point, il faut resituer le propos d’Aristote dans le contexte général de sa philosophie. Aristote défend une conception téléologique du monde : selon lui, le monde est une totalité rigoureusement organisée, dans laquelle chaque être et chaque chose occupent une place bien précise et accomplissent une fonction bien précise. Affirmer que l’homme est un animal politique, c’est donc affirmer que, troisièmement, la place et la fonction que lui assigne l’ordre cosmique se trouve dans la cité, parmi ses semblables. L’homme non politique est un homme qui ne réalise pas sa nature. C’est donc un homme nécessairement malheureux, car la réalisation de sa nature va de pair, pour Aristote, avec le bonheur.

II – Les animaux sociaux et l’animal politique

1) Animal social =/= animal politique

Dans la deuxième partie de l’extrait, Aristote établit une distinction importante entre le caractère sociable et le caractère politique, qu’il est important de garder à l’esprit afin d’éviter de regrettables contresens sur la thèse d’Aristote. En effet, Aristote soutient que l’homme est un animal politique, et non pas simplement un animal social. L’homme n’est évidemment pas le seul animal à vivre en communauté. C’est aussi le cas d’innombrables espèces, comme les abeilles par exemple. Être sociable, pour un animal, signifie simplement vivre en communauté. Être politique signifie quelque chose de plus, à savoir le fait que nous partagions des valeurs avec nos semblables.

2) Communiquer des expériences subjectives et communiquer des valeurs

On pourrait penser que les animaux sociaux sont aussi politiques en ce sens, car eux aussi partagent certaines choses en communicant les uns avec les autres. Ils poussent notamment des cris pour exprimer leurs expériences subjectives agréables ou leurs expériences subjectives douloureuses. La « voix » que possèdent les animaux est cette faculté d’exprimer l’agréable ou le désagréable.

Mais s’il est vrai que les animaux possèdent la « voix », ils ne possèdent cependant pas le « discours », qui est la spécificité de l’homme. Le discours se distingue de la voix en ce qu’il permet non seulement d’exprimer l’agréable et le désagréable, mais également des valeurs objectives comme le juste et l’injuste. Quand un animal pousse un cri de douleur, il exprime simplement le fait que ce qui lui arrive est douloureux pour lui. Il exprime un affect subjectif et immédiat. Le langage des hommes, au contraire, leur permet de se mettre d’accord sur des valeurs, qui sont objectives et indépendantes de leurs affects subjectifs actuels. Le langage est cette faculté, propre à l’homme, de communiquer et de partager des valeurs.

Si l’homme est un animal non seulement social, mais aussi politique, c’est donc parce qu’en plus de vivre en communauté, il partage des valeurs avec ses concitoyens.

III – Déduire le caractère politique de l’homme à partir de son langage

1) La vie politique, un accident ?

Dans la première partie, nous avons montré ce que signifiait l’idée que la cité est naturelle. Nous venons de voir, dans la deuxième partie, que le politique implique le partage des valeurs. Mais qu’est-ce qui permet à Aristote de prouver que l’homme est bel et bien, comme il le décrit, un animal politique ? Après tout, le fait que nous vivions en communauté politique pourrait être contingent (non nécessaire). L’homme solitaire ne serait pas un être contre-nature, mais simplement un être qui a fait un choix de vie différent de ceux qui vivent en cité.

2) Le langage, les valeurs et la vie politique

Mais pour Aristote, il existe un moyen de prouver que l’homme est naturellement fait pour la vie politique. Rappelons que, selon lui, « la nature ne fait rien vain ». Si nous trouvons dans l’homme une faculté qui, pour s’exercer, exige la vie en communauté, alors on aura prouvé que l’homme doit vivre en cité.

Or, c’est précisément le cas du langage. Celui-ci, on l’a vu, se définit comme la faculté de partager des valeurs communes. Puisque l’homme possède le langage, et puisque le langage ne peut remplir sa fonction essentielle que dans le cadre de la vie politique, il s’ensuit que l’homme est bien, par nature, un animal politique. La nature politique de l’homme peut être déduite du fait qu’il possède la faculté du langage.

Pour résumer

Pour Aristote, la cité est naturelle et l’homme est un animal politique. Cela signifie que la cité, contrairement à ce que soutiennent les contractualistes, n’est pas le résultat d’une création artificielle. Cela signifie aussi que l’homme est un être incomplet, comme une pièce de puzzle isolée, quand il ne vit pas en société. Cela signifie, enfin, que la vie dans une cité est la place qui lui est assignée par l’ordre cosmique.

Il faut distinguer le fait de vivre en société (caractère social) et le fait de partager des valeurs (caractère politique). Beaucoup d’espèces animales sont sociales, mais l’homme seul est politique.

La preuve que l’homme est par nature un animal politique est qu’il possède le langage. En effet, la nature ne fait rien en vain : si elle a donné le langage à l’homme, et que le langage ne peut fonctionner que dans une cité, alors la vie politique est bien la place assignée à l’homme par la nature.

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