Nous nous intéresserons dans cet article à une œuvre de Boileau comparant les mérites respectifs des animaux et des êtres humains.

Quelques mots sur Boileau et sa satire

Le texte que nous allons étudier est la Satire VIII de Nicolas Boileau, écrite comme tous ses textes poétiques en alexandrins à rimes plates (AABBCCDD…). Boileau, poète du XVIIe siècle contemporain de Molière et La Fontaine, est principalement connu pour son art poétique définissant les règles de la poésie classique, œuvre où l’on trouve les célèbres vers : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. »

Le thème

Le thème de la satire est l’orgueil humain, raillé à travers une comparaison malicieuse entre les qualités et défauts de l’homme et ceux de l’animal.

Le plan du texte

La satire est construite sous la forme d’un dialogue entre Boileau lui-même et un contradicteur imaginaire. Dans une sorte d’introduction, Boileau présente son idée, selon laquelle l’homme est le plus bête des animaux, puis celle de son interlocuteur, qui le situe au contraire au sommet de la Création.

Les vers qui suivent consistent à montrer, en poursuivant le dialogue, que dans toutes les caractéristiques qu’il partage avec l’animal, l’homme est inférieur à ce dernier, et que ce qui est spécifiquement humain est inutile ou nuisible. Boileau moque ainsi successivement le manque de constance de l’homme, sa faiblesse physique, son incapacité à dominer ses passions, son immoralité et la stérilité de ses connaissances scientifiques et de sa raison.

Le texte s’achève sur une conclusion humoristique assénant un coup de grâce à l’orgueil humain.

I – L’homme, au-dessus ou au-dessous de l’animal ?

1) L’idée de Boileau : l’homme est le plus bête des animaux

La satire, nous l’avons dit, est construite comme un dialogue entre Boileau et un interlocuteur fictif chargé de le contredire pour mieux lui permettre de développer l’idée majeure de cette satire, qui est présentée avec concision dans le quatrième vers :

“Le plus sot animal, à mon avis, c’est l’homme.”

La formule constitue évidemment un paradoxe et une provocation. Comme le souligne son contradicteur indigné, la supériorité intellectuelle de l’homme sur les animaux en général semble être une évidence, et il est plus évident encore qu’il existe des animaux moins intelligents que l’homme (comme le ver ou la fourmi !). Il faut donc comprendre l’intention de Boileau qui se cache derrière le caractère provocateur de la formule : il ne s’agit pas tant de nier la supériorité des facultés intellectuelles de l’homme que de rappeler qu’elles lui sont souvent nuisibles ou inutiles. Plus largement, la « sottise » ici attribuée à l’être humain est à comprendre avant tout comme une infériorité morale, comme on le verra dans la suite de la satire.

2) L’idée du contradicteur fictif : l’homme domine les animaux

À l’idée de Boileau s’oppose celle de son interlocuteur fictif, un docteur (c’est-à-dire un savant théologien), dont Boileau se charge de rapporter les conceptions dans les quatre vers suivants :

“Ce discours te surprend, docteur, je l’aperçoi.

L’homme de la nature est le chef et le roi :

Bois, prés, champs, animaux, tout est pour son usage,

Et lui seul a, dis-tu, la raison en partage.”

Ce « docteur », contradicteur imaginaire de Boileau, attribue donc deux importantes qualités à l’homme : l’une, tirée de l’enseignement biblique, est qu’il serait le maître de la terre ; l’autre, plutôt tirée de l’enseignement philosophique, est qu’il serait le seul à posséder la raison.

On voit que, par-delà les idées qui opposent les deux débatteurs, le combat verbal qui s’amorce se situe également entre l’humilité humaine incarnée par Boileau et l’orgueil humain incarné par la figure caricaturale du docteur.

II – La plus grande sagesse des animaux

1) Qu’est-ce que la sagesse ?

Boileau compare d’abord l’homme à l’animal sur le plan de la sagesse. Celle-ci est ici entendue comme une « égalité d’âme », c’est-à-dire comme une forme de constance spirituelle qui rend le sage insensible aux passions et aux hasards extérieurs. On peut voir dans cette définition de la sagesse une réminiscence de la philosophie stoïcienne ou de l’esprit chrétien.

2) La constance des fourmis

L’animal qui ouvre cette série de duels avec l’homme est la fourmi. Le choix n’est évidemment pas anodin, puisqu’il s’agit d’un animal minuscule et en apparence indigne d’être comparé à l’homme. L’idée de Boileau est que, malgré les prétentions humaines, la fourmi est infiniment plus sage, au sens qui vient d’être défini, que l’homme en général. Son comportement est rigoureusement réglé selon les saisons, et elle ne s’écarte jamais de sa voie.

3) L’inconstance des hommes

L’homme au contraire est dépeint en ces termes par le satiriste :

“Mais l’homme, sans arrêt, dans sa course insensée,

Voltige incessamment de pensée en pensée.”

À l’inverse de la fourmi, donc, l’homme moyen se caractérise par son extrême inconstance. Il est aux antipodes de la sagesse bien comprise. Bref, cette première comparaison est clairement en défaveur de l’homme, qui se révèle moins sage qu’un animal minuscule et dérisoire. C’est une première humiliation infligée par le satiriste à l’orgueil humain.

III – L’homme soumis à ses passions

Boileau s’attaque ensuite à l’idée théologique, exposée par le docteur en introduction, selon laquelle l’homme serait le maître de la planète et des animaux. Une première raillerie de Boileau consiste à rappeler qu’il existe des animaux qui le surpassent largement sur le plan physique. Mais la stratégie principale de Boileau pour contrer cette idée suit une autre voie, que résument parfaitement les quatre vers suivants :

“Ce maître prétendu qui leur donne des lois,

Ce roi des animaux, combien a-t-il de rois ?

L’ambition, l’amour, l’avarice ou la haine,

Tiennent comme un forçat son esprit à la chaîne.”

Autrement dit, non seulement l’homme est physiquement dominé par certains animaux, mais, défaut plus grave, il est intérieurement dominé par de nombreuses passions. On retrouve ici encore l’idéal stoïcien ou chrétien de l’homme rationnel capable de dominer ses passions, idéal à la lumière duquel les vices de l’homme réel sautent aux yeux.

Boileau ne fait pas l’inventaire complet des passions qui dominent l’homme, mais en choisit deux : l’avarice (qui signifie ici en réalité plutôt la cupidité) et l’ambition (plutôt guerrière). Ce choix est à rapporter au contexte historique du XVIIe siècle : la cupidité est alors plutôt un vice bourgeois, tandis que l’ambition guerrière concerne en premier lieu l’aristocratie.

IV – La supériorité morale des animaux

1) L’homme est civilisé

Dans un quatrième moment, Boileau fait à nouveau intervenir son docteur qui essaie tant bien que mal de sauver l’homme de la critique du poète en lui attribuant une nouvelle spécificité considérée comme supérieure : l’homme seul, comme le veut Aristote, est un être politique, capable de vivre dans des cités et d’obéir à des lois. En d’autres termes, l’homme seul est civilisé.

2) L’animal et la moralité sans civilisation

À cet argument, Boileau répond dans les vers suivants :

“Il est vrai. Mais pourtant sans lois et sans police,

Sans craindre archers, prévôt, ni suppôt de justice,

Voit-on les loups brigands, comme nous inhumains

Pour détrousser les loups courir les grands chemins ?”

Et plus loin :

“L’homme seul, l’homme seul, en sa fureur extrême,

Met un brutal honneur à s’égorger soi-même.”

Autrement dit, la prétendue civilité de l’homme, loin d’être la preuve de sa supériorité, est plutôt la preuve de son infériorité morale : là où les animaux, du moins au sein de leur propre espèce, vivent dans le cadre d’une sorte de moralité naturelle, les hommes sont naturellement si immoraux qu’ils ont besoin des lois et de la police comme d’un rempart contre leurs pulsions agressives.

V – La science et la raison, inutiles ou nuisibles à l’homme

1) La nuisibilité de la science

Une dernière spécificité de l’homme est mise en avant par le docteur : la capacité de l’homme à acquérir des connaissances scientifiques et à se gouverner par la raison.

Boileau s’appuie sur les échecs de la médecine du XVIIe siècle (également tournée en ridicule par Molière dans plusieurs de ses pièces) pour discréditer la science :

“… jamais chez eux [les animaux] un médecin

N’empoisonna les bois de son art assassin.”

2) L’instinct plus sûr que la raison

Boileau répond enfin à l’idée énoncée initialement par le docteur, selon laquelle l’homme serait supérieur au reste de la Création parce qu’il possède la raison. Une fois encore, il s’agit d’une fausse supériorité, et ce pour les trois raisons suivantes. Premièrement, les passions empêchent l’homme d’écouter les injonctions de la raison. Deuxièmement, elle ne l’empêche pas d’être en proie à la superstition (Boileau évoque à la fois l’alchimie et les hérésies religieuses). Troisièmement, l’instinct de l’animal le guide plus sûrement que la raison :

“Un âne, pour le moins, instruit par la nature,

A l’instinct qui le guide obéit sans murmure.”

On remarquera qu’une nouvelle fois, l’animal qui est présenté comme étant supérieur à l’homme est traditionnellement considéré comme particulièrement méprisable, d’où une duplication de l’effet destructeur de ces vers sur la prétention des hommes.

VI – Le coup de grâce à l’orgueil humain : l’âne juge de l’homme

La satire de Boileau s’achève d’ailleurs d’une manière particulièrement amusante pour le lecteur et particulièrement humiliante pour l’être humain et le docteur-interlocuteur : Boileau se sert de l’âne, déjà évoqué dans la partie précédente et, comme on l’a dit, considéré comme un symbole de sottise, pour donner son coup de grâce à l’orgueil des hommes. Boileau, dans une prosopopée qui conclut la satire, suggère en effet que l’âne, témoin quotidien des vices humains, s’empresserait, s’il pouvait parler, de dénoncer la sottise des hommes :

“Oh ! Que si l’âne alors, à bon droit misanthrope,

Pouvait trouver la voix qu’il eut au temps d’Esope ;

De tous côtés, docteur, voyant les hommes fous,

Qu’il dirait de bon cœur, sans en être jaloux,

Content de ses chardons et secouant la tête :

Ma foi, non plus que nous, l’homme n’est qu’une bête !”

À retenir

La Satire VIII est construire sous la forme d’un dialogue entre Boileau et un théologien.

Boileau soutient que l’homme est le plus méprisable des animaux, le théologien soutient au contraire qu’il est le plus admirable.

Boileau fait alors l’inventaire de ses vices pour prouver la supériorité de l’animal sur l’homme : l’homme est inconstant, soumis à ses passions, immoral et faussement savant.

La satire s’achève sur un coup de grâce porté à l’orgueil humain : si l’âne pouvait parler, il déclarerait que l’homme est aussi sot que lui.

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