hume animal

Dans cet article, nous nous penchons sur le mode de pensée animal tel que Hume l’a théorisé.

Quelques mots sur Hume et son livre

Le texte que nous allons étudier se trouve dans Enquête sur l’entendement humain : il s’agit de la section IX, qui ne fait que quelques pages. Nous étudierons le texte à partir du deuxième paragraphe et jusqu’à la fin.

Dans ce livre touchant à la théorie de la connaissance, Hume étudie principalement le fonctionnement de la pensée humaine.

Le thème

Le thème de ce texte, en revanche, est le mode de pensée animal.

La question

Hume se pose la question suivante : comment l’animal apprend-il à connaître le monde extérieur ?

Les enjeux

Pour bien comprendre l’intérêt de la question, il faut saisir ses enjeux. Dans les sections précédentes du livre, Hume a étudié le mode de pensée humain. Il pense avoir découvert que la connaissance des choses extérieures repose sur un mécanisme plus instinctif que rationnel, à savoir l’habitude. Il s’agit maintenant de montrer que ce mécanisme instinctif de connaissance est identique chez l’animal, donc d’assimiler en partie l’esprit humain et l’esprit animal.

La thèse

La thèse de Hume est que l’animal, comme l’homme, apprend à connaître les choses extérieures par l’habitude, c’est-à-dire par la perception répétée des mêmes successions de phénomènes.

Le plan du texte

Nous rappellerons d’abord les bases de la théorie de la connaissance de Hume, puis nous passerons à l’étude du texte.

On verra dans une première partie que l’observation du comportement des animaux indique qu’ils apprennent par habitude : leur attitude naturelle et la possibilité du dressage constituent deux preuves de cette capacité.

Dans une seconde partie, nous verrons que cet apprentissage par habitude repose sur l’instinct et non sur la réflexion.

Rappel : la connaissance par habitude chez Hume

Deux champs d’investigation : les idées et les faits

Avant d’étudier le mode de pensée animal, il faut d’abord rappeler les bases de la théorie de la connaissance humaine de Hume.

Il existe, selon Hume, deux grands genres de connaissance : la connaissance des relations d’idées et la connaissance des faits. Dans le premier genre de connaissance, la réflexion intellectuelle suffit : on n’a pas besoin de se renseigner sur ce qui existe dans le monde extérieur. C’est le cas par exemple en mathématiques : pour prouver que la somme des angles d’un triangle est égale à 180°, on n’a pas besoin d’examiner des choses extérieures triangulaires. On se rend compte en réfléchissant à la notion de triangle que le contraire est contradictoire et impensable.

Dans le second genre de connaissance, à savoir celle qui porte sur les faits, la situation est différente. Le contraire d’un fait est pensable : on peut se représenter mentalement qu’il fait –10 °C et que l’eau ne gèle pas. Pour que je sache si une température de –10 °C va de pair avec des flaques d’eau gelées, il faut que je regarde le monde extérieur.

La connaissance du futur

Partant de ce constat, Hume pose la question suivante : comment la connaissance des événements futurs est-elle possible ? On sait bien que la somme des angles d’un triangle fera toujours 180°, car il nous est absolument impossible de nous représenter le contraire. De même, je peux être certain d’un fait extérieur quand il est conservé dans ma mémoire et a déjà eu lieu, ou quand je l’observe présentement.

Mais le cas d’un fait futur est différent de tous les précédents. Prenons l’exemple suivant : je suis certain que, puisqu’il fera –10 °C demain (phénomène A), alors les flaques d’eau seront gelées (phénomène B). Mais d’où me vient cette certitude ? Je peux tout à fait imaginer (A et non-B). Je peux produire cette situation dans mon imagination.

Je ne suis donc dans aucune des situations précédentes : (A et non-B) n’est pas irreprésentable, donc je ne peux pas démontrer par la seule raison qu’elle est impossible. Il ne s’agit ni d’un événement passé ni d’un événement présent, donc l’évidence des sens ou de la mémoire ne me sert à rien. Comment, dès lors, est-il possible que je sache que (A et non-B) aura lieu et que (A et B) n’aura pas lieu ?

La connaissance par habitude

La réponse de Hume est la suivante : si je sais que les –10 °C de demain iront de pair avec des flaques d’eau gelées, c’est parce que j’ai toujours observé cette conjonction dans le passé. Autrement dit, à chaque fois que j’ai observé A, il fait –10 °C, j’ai aussi observé B, l’eau est gelée.

Mais une nouvelle question se pose : en quoi le fait d’avoir souvent observé cette conjonction de faits dans le passé me permet-il d’affirmer que je la retrouverai dans le futur ? C’est la réponse de Hume à cette question qui fait l’originalité de sa théorie de la connaissance : en fait, absolument aucune raison rationnelle ne nous permet de justifier cela. On pourrait avoir observé un milliard de fois la conjonction –10 °C-eau gelée dans le passé, il serait toujours possible qu’il fasse –10 °C demain et que l’eau soit liquide.

Mais si nous n’avons aucune raison rationnelle de penser ainsi, comment expliquer que, dans la réalité, tous les hommes pensent de cette manière, c’est-à-dire prédisent et croient à des faits futurs à partir de l’expérience passée ? Selon Hume, c’est simplement un instinct qui explique cette tendance : quand une conjonction de faits s’est souvent répétée dans notre expérience, nous prévoyons instinctivement B quand nous voyons apparaître A. Ce n’est pas une opération rationnellement justifiée : c’est un instinct, et il se trouve que cet instinct est le plus souvent en accord avec le cours de la nature.

I – L’animal apprend par habitude

1) Ignorance des plus jeunes, sagesse des plus vieux

Nous revenons maintenant à la section IX du livre, qui porte sur l’intelligence animale. Il s’agit pour Hume de montrer que l’apprentissage par habitude, dont nous venons de voir qu’il expliquait la connaissance extérieure chez l’homme, existe aussi chez les animaux.

Hume présente deux arguments. Le premier est la différence d’habileté entre les animaux jeunes et les animaux plus âgés : les animaux jeunes s’exposent à certains dangers ou maîtrisent moins bien leurs mouvements, parce qu’ils n’ont pas encore observé les conjonctions constantes qui leur permettraient de faire autrement. Un chaton peut mettre la patte au feu ou rater un saut sur la table, là où un chat adulte aura un comportement plus sûr du fait de l’observation passée.

2) La possibilité du dressage

Le second argument de Hume repose sur la possibilité du dressage. Le dressage, en effet, consiste à encourager certaines actions et à en décourager d’autres chez l’animal, en recourant à un système de punition et de récompense : si l’animal fait telle action, il est récompensé, s’il fait telle autre action, il est puni. L’efficacité du dressage suppose que l’animal adapte son comportement en fonction des récompenses et des punitions passées. Si l’expérience passée n’apprenait rien aux animaux, le dressage serait impossible.

II – L’apprentissage par habitude n’est pas de nature rationnelle

1) La faible rationalité de l’animal

Hume apporte une précision importante concernant ce mode d’apprentissage : il ne résulte pas d’une opération intellectuelle, d’un raisonnement.

Là encore, deux arguments justifient cette conception. Le premier est que nous pouvons supposer que l’animal ne possède qu’une faible capacité de réflexion. S’il est capable d’apprendre par expérience, cet apprentissage ne repose donc vraisemblablement pas sur le raisonnement.

2) La providence naturelle

Le second argument est le suivant : l’apprentissage par expérience est absolument crucial pour l’autoconservation de l’animal (et de l’homme). Or, la rationalité est très sujette à l’erreur. Puisque nous observons, d’une part, que les êtres survivent, et que nous pouvons, d’autre part, supposer que la nature fait bien les choses, il est plus vraisemblable que cet apprentissage repose sur l’instinct, qui est sûr, que sur la rationalité, qui est si faillible.

3) La connaissance du monde extérieur et l’instinct

De ce qui précède, nous pouvons tirer la conclusion suivante : la connaissance du monde extérieur, chez l’animal comme chez l’homme, n’est pas de nature rationnelle, mais instinctive. C’est un instinct qui, sur la base des conjonctions passées de phénomènes, porte ces êtres à anticiper B quand A apparaît. Si la connaissance animale est proche de la connaissance humaine, ce n’est pas parce que l’animal est plus humain qu’on ne le pense, mais au contraire parce que l’homme est plus animal qu’on ne le pense.

À retenir

La connaissance du futur s’explique non par le raisonnement, mais par l’habitude et l’instinct. Nous n’avons aucune bonne raison de croire que ce qui est arrivé dans le passé arrivera dans le présent : c’est un instinct inévitable qui nous pousse à le croire.

Les animaux, comme les hommes, acquièrent leur connaissance du monde extérieur grâce à cet instinct. Leur adaptation progressive à leur environnement et la possibilité du dressage en sont la preuve.

La connaissance humaine, comme la connaissance animale, repose donc en partie sur un fondement instinctif et rationnellement injustifiable.

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