Alors que les Jeux Olympiques de Rio se sont achevés il y a plus d’un mois, le Brésil se retrouve encore une fois au cœur de l’actualité internationale. Or, celui qui voyage l’espace de quelques mois dans ce pays entre les cascades d’Iguaçu et la jungle de Manaus peut se rendre compte de combien le Brésil est cosmopolite. Grâce à ses territoires diversifiés et sa population métissée, il suscite en vous le sentiment d’appartenir à une culture commune. Le voyageur au Brésil devient un cosmopolite, celui qui se sent citoyen du monde.

A l’aube des années 1930, Stefan Zweig avait cru voir en l’Europe l’espace du monde où le cosmopolitisme pouvait se réaliser. C’était l’un des rares intellectuels qui relayait une parole européenne afin de donner naissance à cet idéal à une époque où les pays étaient tentés par le repli nationaliste. Hélas, lorsque l’Europe s’est fragmentée à l’approche de la deuxième Guerre Mondiale, l’auteur s’enfuit au Brésil, dans la ville de Petrópolis, en vue de laisser passer la tempête de la guerre qui laminait alors son continent natal. C’était l’occasion pour lui de regretter le monde d’hier, celui d’avant 1914, dans lequel le cosmopolitisme commençait à prendre vie par la liberté de circulation. Comme il faisait remarquer, « la terre avait appartenu à tous les hommes. Chacun allait où il voulait et y demeurait aussi longtemps qu’il lui plaisait. » (Le monde d’hier). Abolissant les nations et créant un sentiment d’appartenance, sa parole cosmopolite de voyageur peinait à porter en Europe. Il tenta de trouver refuge dans ce pays merveilleux qu’est le Brésil, dépeint avec idéalisme comme l’atteste son essai informé qui s’intitule Le Brésil terre d’avenir. Malgré sa tentative de sauvetage, anéanti par la tournure que prend la guerre, Stefan Zweig se suicide avec sa femme en 1942. La fin tragique du penseur nous renseigne quant à la portée qu’il convient de donner à la parole cosmopolite. Elle ne peut être propagée par son héraut que s’il peut encore s’appuyer sur ses racines.

Parole nationale contre parole cosmopolite

Loin de n’être que monolithique, la parole intérieure peut être divisée entre les voix des groupes d’appartenances de l’individu. Cette dissonance peut aussi être responsable des fluctuations dans la trajectoire de vie ou l’orientation de la pensée des intellectuels. C’est ce qu’illustre avec éclat la pensée de Stefan Zweig. L’intellectuel européen se voulait la parole du cosmopolitisme dans le monde pendant les années 1930. Rétif à l’érection de frontières et partisan de la liberté de circulation, Stefan Zweig a longtemps mis en cause la pertinence des nations, et partant, du nationalisme, « cette pestilence des pestilences qui a empoisonné la fleur de notre culture européenne ». Pour autant, la parole nationale qui parle au sein de chacun d’entre nous refusait de rester insoumise. « Il ne m’a servi à rien d’avoir exercé près d’un demi-siècle mon cœur à battre comme celui d’un ‘’citoyen du monde’’. Non, le jour où mon passeport m’a été retiré, j’ai découvert, à cinquante-huit ans, qu’en perdant sa patrie on perd plus qu’un coin de terre délimité par des frontières » (Le Monde d’hier : Souvenirs d’un Européen). Au terme de son parcours et de sa pensée, la parole cosmopolite doit reconnaître sa dette vis-à-vis de la parole nationale. En ce sens, peut-être pourrait-on garder à l’esprit que toute parole est vouée à s’exprimer avec l’accent de ses origines.