Dans cet article, nous présentons la manière dont la théorie de l’évolution permet de mieux comprendre le comportement amoureux et sexuel des êtres humains. L’article est une synthèse du chapitre 5, « Choosing mates », du livre Evolutionary psychology : a beginner’s guide (2007), écrit par Dunbar, Barrett et Lycett.

Rappel : le principe fondamental de l’évolution

Le principe de l’évolution de la théorie de Darwin montre que les plus forts dans la compétition pour les ressources survivent mieux et se reproduisent davantage que les autres. Les caractéristiques qui leur ont permis ce succès biologique, étant héréditaires, se transmettent à leurs descendants. Chaque génération tend ainsi à présenter plus de traits « gagnants » que la précédente au sein d’un environnement donné. Les individus ont donc une tendance naturelle à adopter un comportement qui maximise leur survie et leur reproduction.

L’importance de la descendance, le choix du partenaire et les stratégies reproductives différentes selon le sexe

Au cœur de ce processus évolutif se trouve le phénomène de la reproduction, donc la question de la progéniture, des enfants. La reproduction implique à son tour, du moins chez les êtres humains, l’accouplement avec un individu du sexe opposé. Le choix du partenaire joue donc ici un rôle central. Nous allons voir que celui-ci est loin d’être aléatoire. La théorie de l’évolution, en effet, nous permet d’identifier les critères précis qui président au choix d’un partenaire, et jette donc un éclairage biologique sur le comportement amoureux et sexuel de notre espèce. Elle nous permet aussi de mieux comprendre les différences qui séparent la stratégie féminine et la stratégie masculine dans cette sphère.

L’asymétrie des coûts reproductifs chez les mammifères

L’espèce humaine appartient à la classe des mammifères. Or, chez les mammifères, la reproduction présente des caractéristiques particulières, qui ont pour conséquence une certaine asymétrie dans les coûts reproductifs (c’est-à-dire ce que ça coûte de se reproduire, de faire des enfants) du sexe masculin et du sexe féminin. Ainsi, l’investissement du mâle n’est pas identique à l’investissement de la femelle dans le processus de reproduction.

En effet, il y a 65 millions d’années, chez nos ancêtres mammifères, les femelles ont intégré la gestation interne (croissance du fœtus à l’intérieur de l’organisme de la mère) et la lactation. La conséquence de ce dispositif reproductif est que les mâles ne contribuent à la reproduction que par l’insémination (l’injection de la semence). Les femelles, au contraire, prennent en charge la gestation du fœtus puis, grâce à la lactation, assurent la croissance postnatale du bébé. Il y a donc une implication très inégale du mâle et de la femelle dans la reproduction. C’est cette implication inégale qui explique que les mâles et les femelles suivent une logique différente dans le choix du partenaire.

Une grossesse, mille inséminations

Une femelle, en effet, ne peut engendrer qu’un enfant ou une portée à la fois durant un laps de temps donné, qui est plus ou moins long selon l’espèce, mais toujours relativement coûteux en temps et en énergie. L’accouplement avec des mâles supplémentaires n’a aucune conséquence sur la grossesse en cours. Il n’augmente pas la portée.

L’investissement reproductif des mâles, au contraire, est très faible : il se limite à l’accouplement, c’est-à-dire à la dépense d’une semence aisément remplaçable. Le mâle peut donc facilement maximiser sa descendance en multipliant les partenaires sexuels.

L’engendrement d’un bébé coûte donc le temps de la grossesse à une femelle, alors qu’il ne coûte que le temps de l’insémination à un mâle. D’où une stratégie reproductive différente selon les sexes : les femelles accordent avant tout de l’importance à l’élevage de la progéniture, qui leur a coûté un lourd investissement, tandis que les mâles accordent avant tout de l’importance aux opportunités d’accouplement, dont la multiplication est reproductivement très rentable pour eux.

La sélectivité féminine et la fréquente polygamie des mammifères

Cette asymétrie dans les coûts reproductifs des deux sexes a deux conséquences importantes.

La première est que la femelle a plus à perdre dans le choix du partenaire. Un mauvais partenaire sexuel produit une progéniture non viable, ou risque de négliger l’élevage d’une progéniture viable, aboutissant un un succès reproductif moindre.

La seconde conséquence est que 90% des espèces de mammifères sont polygames : les mâles s’accouplent avec plusieurs femelles et passent un temps important à éloigner les autres mâles de leurs partenaires.

La tendance humaine à la monogamie : la lente croissance du bébé humain

Chez les humains cependant, les choses sont plus compliqués. La monogamie est partout dominante, même dans les sociétés qui autorisent la polygamie. L’élevage des enfants est donc plus coopératif : le mâle s’y investit davantage que dans nombre d’autres espèces de mammifères. Cet infléchissement vers la monogamie et cet investissement relativement supérieur du mâle viennent du fait que la croissance du bébé humain est exceptionnellement lente, donc que le bébé demeure longtemps dans une situation de dépendance vis-à-vis de ses parents.

Les critères féminins de sélection d’un partenaire masculin

Ceci étant posé, on peut en déduire que, du point de vue biologique, la femme, étant donné ses coûts reproductifs élevés, aura les critères de préférences suivants dans le choix d’un partenaire amoureux et sexuel.

Le premier critère est la qualité génétique. Les femmes tendent à choisir le partenaire qui possède les meilleurs gènes, car leurs enfants en hériteront. Un indicateur de la qualité génétique du père est, notamment, la symétrie corporelle, d’où sa valeur esthétique.

Le deuxième critère est la capacité à contribuer à l’élevage des enfants. Cette contribution peut être directe et consister dans l’apprentissage de la socialisation, c’est-à-dire à apprendre à l’enfant à être un membre de la communauté et à le placer dans la meilleure position sociale possible. Elle peut aussi être indirecte, c’est-à-dire consister dans l’apport de ressources. Dans les sociétés traditionnelles de chasseurs-cueilleurs, la contribution indirecte se mesure aux compétences de chasse ; dans les sociétés agricoles ou industrielles, elle se mesure en fonction de la richesse et/ou du statut social. On sait que dans les sociétés industrielles contemporaines, la richesse familiale a un effet direct sur la morbidité infantile et sur le taux de mortalité infantile. C’est plus vrai encore dans les sociétés traditionnelles et pré-modernes, ou le meilleur prédicteur de la survie des enfants est la valeur de la propriété foncière de la famille.

Le troisième critère, enfin, est la volonté d’engagement : il faut que le partenaire soit prêt à un engagement de long terme, tout particulièrement chez les humains où la période d’élevage est longue.

Les critères masculins de sélection d’un partenaire féminin

La monogamie tendancielle des êtres humains impose à l’homme d’avoir une seule femme à la fois, donc d’abandonner (plus ou moins) les autres opportunités d’accouplement. L’homme est donc particulièrement sensible aux indicateurs de fertilité : la monogamie avec une femme peu fertile ou stérile entraverait fortement ou totalement son succès reproductif. Or, les traits fortement corrélés à la fertilité sont, premièrement, la jeunesse (la fertilité féminine étant décroissante et délimitée par la ménopause), et secondement, l’attractivité physique. D’où une préférence générale des mâles humains pour les femelles humaines les plus jeunes et les plus séduisantes.

Une stratégie instinctive et inconsciente

Il est important de comprendre que ces stratégies reproductives ne sont pas plus conscientes et rationnelles chez les êtres humains que chez les autres animaux. Elles sont inscrites dans nos tendances naturelles par le processus évolutif.

Autrement dit, une femme qui évalue un partenaire ne se dit pas « sa symétrie corporelle est un indice de sa qualité génétique, qui sera héritée par mes enfants et maximisera ainsi la représentation de mes gènes ». Elle est spontanément attirée par ce trait physique, sans saisir le lien qu’il entretient avec la maximisation de son succès reproductif (à moins qu’elle s’intéresse à la psychologie évolutionnaire). De même, un homme qui évalue une partenaire ne se dit pas « sa jeunesse est indicateur de sa haute fertilité ». Il est lui aussi spontanément attiré par ce trait physique.

Des hypothèses de la théorie de l’évolution à la confirmation empirique

Jusqu’à maintenant, nous avons simplement présenté les hypothèses découlant des principes de fondamentaux de la théorie de l’évolution appliquée au choix du partenaire chez l’homme et la femme. Autrement dit, on a montré que de la théorie de l’évolution on pouvait déduire logiquement que les critères de sélection masculins et féminins étaient tels et tels. On va maintenant voir que ces hypothèses sont confirmées par les données empiriques dont nous disposons pour les tester.

Le jeu de l’amour : préférences idéales, décisions et compromis

Avant cela, il faut présenter une distinction importante. Les préférences idéales d’un individu ne doivent pas être confondues avec ses choix effectifs. Dans la mise en couple, les deux parties ont chacune des préférences idéales. Le fait que Jean aime Colette n’implique donc pas nécessairement que Colette aime Jean. Le partenaire obtenu est toujours un compromis entre nos préférences idéales et nos opportunités (mesurées par la correspondance entre nos qualités personnelles et les préférences des autres). Dans le choix réel, les préférences idéales sont donc transformées en décisions effectives qui s’en éloignent plus ou moins selon notre propre valeur sur le marché amoureux et sexuel. Plus faible est notre valeur sur le marché amoureux et sexuel, plus faible est notre sélectivité.

Cette distinction entre préférences idéales et décisions réelles implique que le test empirique des hypothèses évolutionnistes doit être effectué à la fois sur les premières et sur les secondes. Si l’on n’étudiait que les secondes, on pourrait constater que, dans les faits, un homme a choisi pour partenaire une femme vieille et laide, ce qui va à l’encontre des prédictions de la théorie. Mais si l’on prend en compte que cette décision effective est pour l’homme un compromis entre ses préférences idéales (une femme jeune et belle) et ses opportunités (drastiquement réduites par le fait qu’il est asymétrique, pauvre, négligent et infidèle), les hypothèses initiales ne sont pas infirmées mais confirmées.

Annonces de célibataires : l’étude des préférences idéales

Pour étudier les préférences idéales des individus, un très bon moyen est l’étude des annonces de célibataires. Celles-ci, en effet, informent sur le partenaire recherché plus que sur le partenaire obtenu. Elles reflètent la préférence pure et non le compromis. Les données sur les mariages, au contraire, informent sur les décisions effectives de mise en couple.

Nous disposons de données issues d’un grand nombre de pays dans le monde concernant à la fois les annonces de célibataires et les mariages. Or, l’analyse de ces données permet de dégager des schémas constants, cohérents avec les hypothèses évolutionnaires.

Les annonces féminines, en effet, montrent qu’en général les femmes célibataires recherchent deux qualités chez les hommes, à savoir la richesse/le statut social d’une part, et la volonté d’engagement durable d’autre part. En outre, les femmes cherchent le plus souvent un homme qui a 2 à 5 ans de plus qu’elles.

Les annonces masculines montrent qu’en général les hommes recherchent l’attractivité physique chez les femmes (qui comme on l’a vu est un indice fiable de fécondité, la cosmétique et la chirurgie esthétique mises à part). Par ailleurs, plus les hommes sont vieux, plus ils cherchent une femme plus jeune qu’eux. Autrement dit, ils préfèrent toujours les femmes jeunes, quel que soit leur âge à eux. Dans les sociétés occidentales, ce sont les femmes de la vingtaine finissante qui remportent le plus de succès.

On observe également que les qualités recherchées par un sexe sont celles que l’autre sexe met systématiquement en avant dans ses annonces, signe que chaque sexe est plus ou moins conscient des attentes du sexe opposé.

Données sur les mariages : étude des décisions effectives

Dans le cas des décisions effectives comme dans le cas des préférences, les différences d’âge des partenaires sont conformes aux prédictions évolutives. Les études mondiales et historiques des données disponibles sur les mariages montrent le même schéma constant : l’écart d’âge entre les époux croît avec l’âge de l’homme.

On constate en outre un phénomène qui confirme là encore les préférences idéales, à savoir une tendance forte des femmes à se mettre en couple avec des hommes dont le statut social est plus élevé que le leur (hypergamie).

Pour résumer :

  • Le processus de l’évolution fait que les individus tendent à maximiser leurs chances de survie et de reproduction.
  • Chez les mammifères, il existe une asymétrie des coûts reproductifs selon le sexe : les femelles consacrent nettement plus de temps et d’énergie que les mâles à l’engendrement.
  • D’où différentes stratégies reproductives : les femelles s’attachent à l’élevage de leur progéniture, les mâles à la multiplication des opportunités d’accouplement. Chacun maximise ainsi son succès reproductif.
  • Les humains, quoique appartenant à la classe des mammifères, sont tendanciellement monogames en raison de la lente croissance du bébé humain.
  • Sur cette base, la théorie évolutionniste permet de prédire 1° que les femmes choisiront leur partenaire en fonction de sa qualité génétique (dont la symétrie corporelle est un indice), de sa capacité à contribuer à l’élevage des enfants (contribution directe par l’apprentissage de la socialisation ou contribution indirecte par l’apport de ressources) et de sa volonté d’engagement durable, et 2° que les hommes choisiront leur partenaire en fonction de sa fertilité (dont la jeunesse et l’attractivité physique sont des indices).
  • L’étude des annonces de célibataires et des données sur le mariage confirment ces hypothèses.