Dans cet article, nous étudierons les idées de Montaigne sur le langage des animaux.

Quelques mots sur Montaigne et son livre

Le texte que nous allons étudier se trouve dans les Essais de Montaigne (livre II, chapitre 12), auteur français du XVIe siècle. Il s’agit d’un extrait qui va de « Ce défaut qui empêche la communication… » à « … point d’autre langue. »

Dans ce livre, Montaigne, influencé à la fois par le stoïcisme, l’épicurisme et le scepticisme, aborde une immense diversité de sujets différents, qu’il traite à la fois en écrivain et en philosophe.

Le thème

Le thème de l’extrait qui nous intéresse est le langage chez l’animal.

La question

Montaigne répond à la question suivante : peut-on considérer que les animaux sont dotés d’un langage ?

Les enjeux

Pour bien comprendre l’intérêt de la question, il faut saisir ses enjeux. Dans l’essai dont notre texte est extrait, il s’agit pour Montaigne de réviser l’idée qu’il existerait une différence ontologique profonde entre l’homme et l’animal. Il s’agit à la fois d’un exercice d’humilité sur le plan moral et d’un effort de vérité sur le plan philosophique. Le langage est ici l’un des sujets étudiés dans le cadre de ce projet global.

La thèse

Montaigne soutient que le langage se trouve aussi bien chez les animaux que chez les êtres humains.

Le plan du texte

Montaigne commence par affirmer que l’inintelligibilité de l’animal pour l’homme ne signifie pas nécessairement que les animaux sont dépourvus de langage.

Il explique ensuite qu’il existe à l’évidence une véritable communication entre les animaux, aussi bien à l’intérieur d’une même espèce qu’entre espèces différentes.

Pour terminer, Montaigne montre que si l’on prend en compte le langage non verbal et sa richesse, il est impossible de refuser le langage à l’animal.

I – Incompréhension mutuelle : à qui la faute ?

1) Les animaux et les hommes ne se comprennent pas mutuellement

L’argument qui ouvre le raisonnement de Montaigne est le suivant : de l’incompréhension mutuelle entre l’homme et l’animal, on ne peut pas déduire que l’homme parle tandis que l’animal ne parle pas. En effet, il est tout à fait possible que les animaux s’expriment dans des langages intelligibles pour eux, mais inintelligibles aux hommes. Si les animaux raisonnaient comme nous, ils pourraient considérer que nous sommes dépourvus de langage parce qu’ils ne comprennent pas nos paroles, ce qui serait évidemment une erreur. C’est pourtant l’erreur que nous commettons.

Un autre argument montre qu’on peut ne pas comprendre un être sans pour autant être autorisé à conclure qu’il ne possède pas le langage, et c’est tout simplement qu’il existe d’autres hommes que nous ne comprenons pas (Montaigne prend l’exemple des « Basques et des Troglodytes »). On doit appliquer la même logique aux animaux et aux Basques, c’est-à-dire admettre la possibilité qu’ils aient un langage que nous ne comprenons pas.

2) L’injuste partialité des hommes

Montaigne, par une question rhétorique, suggère implicitement que c’est un préjugé de l’orgueil qui préside à notre jugement péremptoire sur les animaux :

Ce défaut qui empêche la communication entre elles et nous, pourquoi n’est-il aussi bien à nous qu’à elles ?

Si nous nous empressons d’affirmer qu’ils ne possèdent pas le langage, c’est probablement parce que nous les jugeons a priori inférieurs à nous. Il s’agit donc non seulement d’une erreur de jugement, mais également, et peut-être prioritairement, d’une faute morale. Il nous faut donc nous corriger sur ces deux points.

II – La communication entre les animaux

1) Communication intra- et interspécifique

En effet, une étude un peu plus honnête du comportement animal montre assez évidemment que les animaux parlent. Il faut à cet égard distinguer deux types de communication : premièrement, la communication entre animaux de la même espèce ou communication intraspécifique (quand deux chiens aboient l’un contre l’autre par exemple) ; secondement, la communication entre animaux d’espèces différentes ou communication interspécifique (Montaigne prend l’exemple d’un cheval qui comprend la colère d’un chien en entendant ses aboiements).

2) Signes vocaux, signes gestuels

Mais pour prendre toute l’ampleur du phénomène qu’est le langage animal, il faut faire une distinction très importante, à savoir distinguer les signes vocaux et les signes non vocaux (corporels notamment). En effet, si l’on réduit le langage au langage vocal (aux sons émis par la bouche), on refusera à tort le langage à beaucoup d’animaux, ceux qui sont dépourvus de voix ou qui l’utilisent rarement. Mais si on reconnaît l’existence du langage corporel, on pourra identifier des phénomènes linguistiques chez un bien plus grand nombre d’animaux. Ainsi, Montaigne écrit-il au sujet des animaux qui communiquent sans paroles :

Leurs mouvements discourent et traitent.

III – L’expressivité du langage corporel

1) L’exemple des mains et de la tête

On pourrait toutefois admettre l’existence d’un langage chez les animaux, mais soutenir qu’il est peu développé par rapport à celui des hommes, qu’il est simpliste, grossier. C’est pour répondre à ce type d’arguments que Montaigne incite, dans les paragraphes qui suivent, sur l’extrême richesse potentielle du langage corporel.

Le premier argument de Montaigne s’appuie sur l’exemple des muets : nous savons qu’il existe des êtres humains privés de parole, et nous savons aussi que leur communication par signes est très riche, c’est-à-dire apte à exprimer une très grande variété d’informations et de nuances. Montaigne souligne même que certains muets s’expriment si bien par signes que leurs capacités d’expression égalent celles d’un locuteur parlant :

J’en ai vu de si souples et formés à cela, qu’à la vérité, il ne leur manquait rien à la perfection de se savoir faire entendre.

Pour confirmer ce point, Montaigne s’appesantit sur deux parties du corps particulièrement adaptées à la communication non verbale, à savoir les mains et la tête. Deux très longues énumérations viennent ici souligner la grande expressivité de ces organes corporels :

Quoi des mains ? Nous requérons, nous promettons, appelons […]. De la tête : nous convions, nous renvoyons, avouons, désavouons […], enquérons.

Bref, si le langage corporel peut être si expressif chez l’homme, il faut admettre qu’il peut l’être de la même manière chez l’animal, et donc accorder à ce dernier non seulement la capacité linguistique, mais aussi un degré d’expressivité comparable à celui des hommes.

2) Le langage est naturel à tous les êtres

L’extrait s’achève sur une idée importante qui découle des considérations précédentes : le langage, loin d’être un artifice situé en dehors de la nature et réservé à l’homme, est au contraire une capacité naturelle commune à tous les animaux. La diversité connue des langues artificielles (comme le français ou l’allemand) chez les hommes ne doit pas faire oublier ce fait plus fondamental que le langage en général est naturel à tout animal.

À retenir

L’inintelligibilité des animaux pour l’homme ne permet pas à celui-ci de conclure que les animaux sont dépourvus de langage : il se peut qu’ils soient pourvus d’un langage que nous ne comprenons pas.

C’est ce que nous constatons quand nous les étudions sans préjugé : les animaux communiquent aussi bien au sein d’une même espèce qu’entre espèces différentes.

Il faut distinguer les signes vocaux et les signes corporels pour comprendre à quel point le langage est répandu chez les animaux, même chez ceux qui ne parlent pas au sens étroit du terme.

Le langage corporel des animaux n’est pas moins développé que le langage verbal des hommes : il peut être extrêmement riche, comme c’est le cas du langage des signes chez les êtres humains muets.

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