Après notre analyse détaillée du sujet d’oral CSH d’HEC “L’éloge de la vitesse”, retrouve ici une nouvelle analyse pour le sujet “L’épopée” .

Comme pour tout sujet, il convient de définir les termes de celui-ci, ainsi que leurs différentes significations. Le but est de trouver les enjeux que soulève le sujet. Nous allons donc commencer par définir l’épopée, pour pouvoir trouver le problème du sujet.

Introduction : la définition de “l’épopée”

L’épopée est un long discours poétique narrant des histoires et aventures héroïques, en faisant généralement intervenir le merveilleux et le fantastique. Les plus grandes épopées sont évidemment l’Illiade et l’Odyssée, ainsi que l’Enéide.

Mais il faut ici noter un premier point, auquel tu dois absolument faire attention. Pour un sujet comme celui-ci, le piège est en effet de s’enfermer dans une vision seulement littéraire, alors que le terme a d’autres acceptions plus élargies : on parle également d’épopée spatiale, par exemple.

Il ne faut donc pas s’arrêter à l’épopée comme genre littéraire, qui narre la manière dont un héros compose avec les dieux et un périple long et difficile. Le terme s’est en effet élargi, mais à quel point ? N’a-t-il pas fini par se perdre ?

I. L’épopée comme genre littéraire

Entendue comme genre littéraire, l’épopée désigne un récit raconté par des aèdes ou des rhapsodes, qui recourent abondamment au merveilleux. Ce récit est généralement long, et met en scène un héros qui réussit toutes les épreuves mises sur son chemin.

Une épopée très connue est bien sûr celle d’Ulysse,  l’Odyssée, attribuée à Homère : Odysseus, en grec, signifie Ulysse. Ce dernier met dix ans à retourner chez lui, à Ithaque, après la guerre de Troie. Lors de son aventure, il rencontre de nombreux personnages mythologiques : la nymphe Calypso, les Cyclopes, la magicienne Circé, ou encore les sirènes.

Les épopées antiques doivent ainsi être rapprochées à ce que Victor Bérard a appelé « l’épos », c’est-à-dire la parole. En effet, le récitant, celui qui prend en charge l’épopée, joue et improvise en fonction des réactions du public. Ainsi, l’un des enjeux de l’édition de l’Iliade et de l’Odyssée fut de distinguer le noyau primitif de l’œuvre des ajouts successifs dûs aux improvisations des aèdes et des rhapsodes lors de leur narration orale. Autrement dit, l’épopée est le fruit de multiples paroles : elle a plusieurs auteurs.

Mais elle appartient également à une collectivité, qui se l’approprie et la fait évoluer. Ainsi, selon les mots de Pidal,

La grandeur poétique et l’unité d’inspiration s’obtiennent grâce à l’apport de plusieurs auteurs anonymes dont la collaboration successive est animée des mêmes mobiles idéaux.

L’épopée ne cesse donc de se transformer, d’évoluer, de se réécrire. De ce fait, ne risque-t-elle pas de se perdre ? En réalité, cette définition classique et littéraire transmets une image figée et restreinte de l’épopée.

II. Une définition trop restrictive

Les « modernes » (dans la querelle des « Anciens » et des « Modernes » de la fin du XVIIème siècle) sont les premiers à s’être étonnées de l’importance portée aux épopées antiques. Ils ne voyaient en effet pas l’intérêt des interminables listes énumérant les combattants morts aux combats, par exemple. Ils remettaient en doute l’esthétique de la répétition et les incohérences trouvées dans ces épopées. Houdar de la Motte a même réduit les 24 chants de l’Illiade à 12 !

Mais tous ne sont pas d’accord. V. Bérard, dans sa préface de l’Odyssée, juge condamnables toutes les tentatives de modification des épopées en une forme plus adaptée aux goûts d’une époque donnée. Selon lui, le passage de l’oralité au texte écrit définitif tue le genre. Il explique ainsi que c’est justement le caractère daté du texte épique, ainsi que son étrange incohérence, qui en fondent toute l’esthétique, Schlegel ayant ainsi déclaré que

L’épopée est la forme la plus haute et la plus pure de la poésie.

Quand bien même l’épopée, en tant que genre antique, ne soit plus, il reste néanmoins ce que Victor Hugo nomme le « souffle épique ».  En effet, un cycle romanesque comme celui des Rougon–Macquart de Zola peut être qualifié d’épique : si ce n’est pas une épopée à proprement parler, certains passages spécifiques ont recours au registre épique.

Par exemple, dans La Bête humaine (1890), la description de la locomotive à vapeur, la « Lison », renvoie aux monstres antiques :

C’était une de ces machines d’express […] d’une élégance fine et géante avec ses grandes roues légères réunies par des bras d’acier, son poitrail large, ses reins allongés et puissants.

A la fin du récit, la locomotive est en flamme : hors de contrôle, elle mène les soldats à une mort certaine. Zola crée ainsi une image grandiose et mortifère de la machine grâce au registre épique. On comprend donc que l’épopée vient désigner bien plus que ce qu’elle est initialement.

III. La postérité de l’épopée

Si l’épopée continue donc d’exister aujourd’hui au travers de nouveaux styles modernes, c’est parce qu’elle remplit, en réalité, plusieurs fonctions.

Tout d’abord, elle a un rôle mémoriel. On peut par exemple penser que la liste des héros mort au combat dans l’Illiade a le même rôle que nos monuments aux morts ; cela permet à Lamartine d’écrire que

L’épopée est le miroir où les peuples se contemplent.

L’anthropologue Mircea Eliade, pour sa part, montre que l’épopée revêt également une fonction étiologique, puisqu’elle permet d’expliquer les origines d’un peuple. Ainsi, selon Jean Rousset,

L’épopée est le roman des origines.

Certains ont aussi vu dans l’épopée l’expression des valeurs d’une société donnée à une époque donnée. Joseph Bédier explique ainsi que l’idéal féodal des croisades a été retranscrite dans les chansons de geste, ces chants ayant pris la suite des épopées antiques. Ils décrivaient les valeurs chrétiennes.

Enfin, on peut aussi observer que l’épopée nait généralement dans les moments où l’Histoire n’a plus rien à raconter d’épique. Ainsi, l’Illiade met en scène, des siècles plus tard, les dernières flammes de la civilisation achéenne ; de même, les romans de Jules Verne, ou encore L’Île au Trésor de Stevenson, racontés à l’aide du genre épique, glorifient la découverte de terres inconnues au moment même où les grandes explorations n’ont plus laissé une seule terre à découvrir.

Conclusion

L’épopée déborde largement sa définition originelle : elle est vouée à changer et à évoluer. C’est ainsi qu’on la retrouve dans la science-fiction, ou d’autres genres littéraires : les rôles qu’elle remplit dépassent sa délimitation antique intiiale.