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Les préparationnaires du concours de 2022 ont eu à traiter la notion classique – mais non moins passionante – « aimer » ; cette année, le jury vous propose un libellé plus étonnant, mais tout aussi philosophique : « Le monde ».

Bien que surprenant, c’est en fait un thème central de l’histoire de la philosophie. Il est omniprésent dans bien des arts, des lettres au cinéma, en passant bien sûr par la peinture. C’est donc un thème particulièrement fécond pour une épreuve de Culture Générale, bien que celle-ci soit désormais appelée “Lettres et Philosophie”.

I/ Le monde comme cosmos

Notion capitale au sein d’une économie mondialisée, à l’heure où l’on sonde les tréfonds de l’univers et évoquons même l’existence de multivers, “Le monde” est un thème des plus contemporains, situé à la croisée des disciplines. Mais il constitue également l’un des fondements et des épicentres de l’histoire de la philosophie.

L’origine du monde, ou l’origine du kosmos

La première occurrence de ce terme est attribuée à Pythagore ; mais le premier grand texte philosophique sur le monde qui nous soit parvenu – et dont on ne peut donc aucunement faire l’économie – est le Timée de Platon.

Les Grecs appelaient le monde kosmos, les Latins mundus : les deux termes se traduisent par ordre. Ainsi, si nous autres contemporains parlons du monde comme de notre seule sphère terrestre, les Anciens – héritant de Pythagore – entendaient par monde l’ordre-même de l’univers, dans sa totalité.

Cosmos et chaos

Dans l’Antiquité, le cosmos s’oppose donc au chaos : c’est en effet la première caractéristique du monde que de présenter une régularité, dans laquelle les Grecs puisaient leurs lois scientifiques. Une première approche conceptuelle et historique du monde est donc de l’entendre comme système ordonné et régulier, qui englobe la totalité du réel.

Mais si chez les Grecs, puis au Moyen-Âge, le monde équivaut à l’univers, au centre duquel se trouve l’Homme, mesure de toute chose, cette définition change radicalement au XVIIe siècle, lorsque le modèle géocentré cède sa place à l’héliocentrisme.

II/ Le monde comme univers infini

L’infinitisation de l’univers : le monde comme “silence éternel”

Au XVIIe siècle, on passe d’une conception grecque du monde comme totalité close, indépendante et complète à celle d’un univers infini, déploré par Pascal dans ses Pensées. Ne nous livrant désormais rien d’autre qu’un « silence éternel », le ciel étoilé empêche l’Homme de le pénétrer comme les Grecs le faisaient, sondant le cosmos à la recherche de lois scientifiques nécessaires que la nature leur livrait d’elle-même.

La science, pour comprendre le monde, doit désormais le construire, en le modélisant : c’est la révolution scientifique. Le monde, entendu au sens large, n’est alors plus le cosmos grec fini, mais l’univers moderne infini : l’Homme n’est plus au centre du monde, comme le commande Dieu (géocentrisme), mais il n’en est qu’un élément parmi d’autres, comme en atteste la science (héliocentrisme).

Quelle raison pour comprendre cet infini du monde ?

Cette infinitisation du cosmos n’est pas sans conséquences philosophiques, historiques et artistiques, sur lesquelles nous reviendrons bien sûr plus en détail. Le principal est de comprendre que le caractère illimité du monde, qui n’est donc plus réduit aux frontières de la raison humaine mais s’étend au contraire au-delà de toute compréhension possible, en fait somme toute un objet difficilement pensable.

En effet, l’univers étant infini, comment peut-on donc délimiter le monde ? Ou plutôt, comment le monde, qui par définition est délimité, peut-il exister ? La physique n’étudie donc plus le monde : celui-ci est désormais l’apanage de la métaphysique.

Le monde comme objet de la métaphysique

Après les XVIIe et XVIIIe siècles, le monde ne peut donc plus être appréhendé de la même manière. Il n’est ni le cosmos Grec fini, ni la nature dont on fait l’expérience, objets de la physique : il englobe davantage ; il est donc un objet méta-physique.

On comprend donc non seulement l’intérêt d’un tel sujet pour la philosophie, mais également qu’il faut bien entendre son caractère singulier : le monde n’est ni la nature, ni l’humanité ; pas plus qu’il n’est l’espace, ou encore la société.

Mais si le monde dépasse l’entendement humain, alors comment comprendre la place que l’on occupe en son sein ? Car le monde n’est-il pas d’abord celui que nous, Hommes, peuplons ? N’y a-t-il donc plus aucune place pour le sujet dans le monde? Ne peut-il pas être au monde ?

Lire aussi : l’interview d’un professeur de Lettres et philosophie sur le thème 2023

III/ Le monde comme rapport au monde

La place de l’Homme dans le monde

Il ne faut en effet pas s’arrêter à la simple scission entre “le monde clos et l’univers infini”, pour reprendre les mots de Koyré. Car qui dit monde dit rapport au monde ; et qu’il soit Grec, moderne ou contemporain, chaque homme, chaque femme évolue dans le monde, y participe, le vit et y contribue. Une des exigences de cette année sera donc de penser le rapport du sujet au monde.

La pensée phénoménologique, de Merleau-Ponty à R. Barbaras, en passant par Heidegger et Husserl ou encore Lévinas – auteurs parmi lesquels vous pouvez puiser à votre guise – permet de penser la place du sujet au sein du monde.

D’ailleurs, ce sujet n’est pas nécessairement humain : l’escargot et la tique, par exemple, n’ont-ils pas un monde, leur monde, puisqu’ils ont un milieu ? D’où l’aspect crucial et contemporain du thème : le monde donne à penser l’environnement. Mais il faudra comprendre les différences entre toutes ces notions (monde, milieu, environnement, espace), aussi bien que leurs correspondances.

L’impact de l’Homme sur le monde, ou le(s) monde(s) possible(s)

Ce rapport au monde n’est pas seulement celui du sujet, mais également des sujets. Voilà donc un autre axe de réflexion : le rapports non pas du sujet au monde, mais de l’humanité au monde. Il faudra donc réfléchir à la capacité qu’a le sujet d’avoir un impact sur le monde.

Cet axe concerne aussi bien les philosophies politique et éthique que la littérature. Pensons à tous les poètes qui défendent le rapport singulier du poète au monde : que ce soit en tant que prophètes ou êtres supérieurs en tout genre (les Romantiques, Baudelaire), ceux qui nous font parcourir le monde (Homère, Virgile, Du Bellay, Rimbaud), ou encore les peintres du monde quotidien (Apollinaire, Ponge).

Les fictions romanesques ou cinématographiques, elles, sont autant de mondes fictifs dont les portraits éclairent le monde réel, permettant ainsi de nous demander si nous vivons dans le meilleur des mondes (Voltaire, Orwell, Huxley, M. Atwood), ou s’il ne faut pas au contraire le quitter.

C’est une bonne occasion pour réfléchir avec Kubrick, en (re)visionnant son intemporelle Odyssée de l’Espace, d’autant que le sujet de la conquête spatiale est plus que jamais d’actualité. Profitez-en pour vous documenter à ce sujet ; lisez quelques articles de vulgarisation résumant les dernières découvertes en astrophysique. La notion de multivers, par exemple, permet de penser une vraie pluralité des mondes.

IV/ Le monde comme notre monde

Mais ces mondes lointains, situés “par delà le confin des sphères étoilées“, ne doivent pas nous faire oublier le nôtre. La singularité du thème de 2023 est en effet de nous parler du monde, et non pas des mondes.

Le défi est donc de penser un monde unique et unifié, alors qu’il est peuplé par autant d’individus singuliers, qu’ils soient humains ou animaux. Deux axes différents permettent alors d’aborder, de penser et surtout de problématiser cette unité du monde.

Le monde peut-il être cosmopolite, ou est-ce un idéal ?

D’abord, ce monde est celui du genre humain ; or, comment penser le monde par delà les différences politiques, culturelles, religieuses qu’il enferme ? Comment ces différences peuvent-elles cohabiter, faire un monde ? Peut-on penser une gouvernance mondiale qui régirait l’humanité entière, et si oui sous quelle forme ? Une telle gouvernance est-elle seulement souhaitable ?

Loin de n’être que de simples questions éthiques et politiques, ces questionnements donnent à conceptualiser davantage le monde, tout en mettant en exergue les problématiques sociales, politiques et morales qu’une telle notion, unificatrice par essence, pose.

Le monde intérieur et ses idéaux

Ensuite et enfin, ce monde unifié et unitaire peut également désigner notre monde, au sens du possessif, ou de l’expression “être dans son monde” : le monde intérieur.

Nos propres pensées, parmi lesquelles on peut se perdre, qu’elles soient sous la forme des “vastes palais de la mémoire” évoqués par Saint Augustin ou du flux intérieur incessant évoqué par Bergson, ne nous appartiennent qu’à nous. En ce sens peut-être nos pensées forment-elles cette totalité close qui définit un monde. Emma Bovary, perdue dans ses songes, en perd le sens du monde réel, auquel on peut donc opposer le monde extérieur.

Mais il faudra encore questionner cette opposition : notre monde intérieur est-il réellement opposé – c’est-à-dire hermétique – au monde extérieur ? Nos pensées ne sont-elles pas constamment dérivées des évènements du monde, dans lequel nous sommes jetés depuis le commencement ? Et si ce monde intérieur ne constitue donc peut-être jamais une totalité entièrement close, en quoi est-ce tout de même un monde à part entière ?

Le mot de la fin : le monde comme totalité

Il faudra donc travailler cette opposition entre intérieur/extérieur, en plus de celles que l’on a déjà citées : cosmos/chaos, fini/infini, sujet/monde, humanité/monde.

Si la préparation d’une épreuve de Lettres et Philosophie portant sur “le monde” nécessite donc de maîtriser de telles déclinaisons conceptuelles, ainsi que ses définitions historiques – les premières dépendant toujours des secondes -, la notion de monde porte toujours en elle une même caractéristique : celle de la totalité. A vous de vous approprier ses différentes conceptualisations.

Vous pouvez également vous aider du plan de travail de l’année pour organiser vos révisions, ainsi que notre liste de sujets possibles pour réflechir aux grands axes de réflexion sur ce thème.

Enfin, n’hésitez pas à parcourir notre podcast, ainsi que les différents articles que nous vous proposons sur la notion ; ils résument des oeuvres clefs du programme, mais également des références plus originales, qui étayeront vos argumentations.