science philosophie

La philosophie de la connaissance occupe une partie importante du champ de la philosophie. Il est donc incontournable d’avoir des connaissances solides dans ce domaine. Des connaissances précises, qui s’appuient sur des noms d’auteurs, de livres et des exemples pertinents, vous aideront à faire la différence. Presque chaque sujet peut être étudié sous l’angle de l’une de ces catégories : le vrai, le bien (la morale) et le beau (l’art). Dans la première catégorie, on peut réfléchir plus particulièrement à la philosophie de la science. Dans un premier temps, on peut définir comme scientifique ce qui répond à quatre critères :

  • La volonté d’expliquer le réel
  • L’objet d’étude : des phénomènes réguliers et reproductibles
  • La valeur prédictive
  • Le fait d’être mesurable et réfutable par l’expérimentation

Dans cet article, vous pourrez trouver des auteurs à mobiliser pour la première de ces catégories : Auguste Comte, Bertrand Russell, Gaston Bachelard et Karl Popper.

Auguste Comte (1798 – 1857) et le positivisme

Selon Auguste Comte, trois stades de la connaissances se succèdent : le stade théologique, le stade métaphysique et le stade scientifique. L’esprit doit nécessairement passer par ces trois stades. Comte appelle le stade scientifique le « positivisme ». Ces stades correspondent à trois manières d’expliquer les phénomènes, qu’il décrit dans le Discours sur l’esprit positif.

La théologie a été la première façon d’expliquer le monde, jusqu’à l’Ancien Régime. Autrement dit, les phénomènes naturels, comme la foudre, étaient rapportés à des décisions et des comportements divins, par exemple les colères de dieux Grecs.

La métaphysique renvoie à des entités abstraites telles que l’ « âme » et la « nature ». Elle correspond à l’époque des Lumières. Les philosophes de l’époque métaphysique raisonnent de façon abstraite, notamment aux causes premières, au lieu de penser les lois générales qui régissent les rapports physiques. Par exemple, Rousseau prend comme point de départ de sa réflexion une société pré-culturelle abstraite pour élaborer l’idée du contrat social.

Comte disqualifie les deux premiers états, qui ne doivent être que transitoires. Seul le positivisme propose des théories explicatives qui rendent compte du réel. Au stade positif sont élaborées des lois qui organisent les rapports du vivant, à partir de réactions et de relations cause-effet. Il ne faut s’attacher à rendre compte que du connaissable. Ainsi, renoncer à la métaphysique n’est pas une perte, car pour Comte, il ne faut pas chercher à comprendre ce qui ne peut pas être compris par la raison.

Russell (1872 – 1970) et la culture scientifique

Dans L’Esprit scientifique et la science dans le monde moderne, le mathématicien et philosophe britannique Bertrand Russell affirme que la science est un fait culturel. L’avènement de l’esprit scientifique est historiquement daté et se caractérise par de nouvelles normes. C’est un phénomène récent qui marque une rupture avec les millénaires de culture préscientifique précédents.

L’influence de cet esprit scientifique s’observe concrètement par un changement de mœurs et une augmentation des champs d’étude de la science. Pour Russell, il se caractérise avant tout par une méthode fondée sur l’observation et la généralisation. Autrement dit, le scientifique peut élaborer une loi générale à partir de faits particuliers. En effet, une théorie scientifique se construit par l’observation de phénomènes répétés, à partir desquels on recherche une loi explicative. La valeur prédictive de cette loi est testée par l’expérimentation. Si elle n’est pas réfutée, elle peut être raisonnablement généralisée jusqu’à buter sur des faits contradictoires.

Cette méthode se retrouve désormais dans notre façon de penser quotidienne. Par exemple, c’est en observant de façon répétée que l’on se brûle en touchant les flammes qu’on en déduit que le feu brûle. Pour Russell, ce raisonnement est caractéristique d’une entrée dans le monde moderne et scientifique.

Mais selon lui, la méthode scientifique est mathématique plus qu’expérimentale. C’est par exemple le cas dans l’expérience d’Archimède consistant à mesurer le volume et la masse d’une couronne afin de vérifier qu’elle était faite d’or. Il effectue ces mesures sur ordre de Hiéron, tyran de Syracuse, qui voulait s’assurer qu’un orfèvre ne l’avait pas dupé. Archimède procède par déduction à partir des mesures observées, en les comparant à la masse volumique de l’or.

La méthode scientifique est ainsi héritée des Grecs. Elle n’a en elle-même pas d’époque historique, c’est son influence généralisée sur la société et les institutions qui constituent un fait historique.

Bachelard (1884 – 1962) et l’esprit scientifique

Contrairement à Comte, Gaston Bachelard pense que le stade positif n’est pas une conquête définitive. Le scientifique doit faire un effort pour se maintenir dans l’esprit scientifique, par opposition à l’esprit commun. Bachelard l’explique dans La Formation de l’esprit scientifique.

Bachelard distingue trois époques de la pensée scientifique : l’état pré-scientifique jusqu’au XVIIIe, puis l’état scientifique, enfin le nouvel esprit scientifique à partir du début XXe. Dans l’état pré-scientifique, l’esprit s’arrête aux phénomènes sensibles, qu’il observe avec curiosité. Il s’agit de l’état « concret ». A partir du XVIIIe, les scientifiques décryptent les expériences concrètes à partir de réflexions abstraites, en s’appuyant sur la géométrie. L’abstrait permet de mieux comprendre le concret, de fonder les intuitions sensibles.

Le nouvel esprit scientifique commence avec la théorie de la relativité générale d’Einstein. Elle remet en doute des intuitions auparavant considérées comme sûres. Cela montre que le scientifique ne peut pas toujours faire confiance aux intuitions qu’il élabore à partir des observations concrètes. Au contraire, la réalité peut être contre-intuitive. Le scientifique doit donc sans cesse remettre en doute les théories établies et volontairement élaborer des théories contre-intuitives.

Ces trois stades correspondent à trois états d’âme : l’âme puérile ou mondaine, l’âme professorale et la « conscience scientifique douloureuse ». Là où l’âme professorale cherche à enseigner avec dogmatisme et se tient sûre de ses connaissances, l’âme scientifique fait l’effort de remettre en doute les théories établies. Elle ose élaborer des théories sans préjugés, même sans « support expérimental stable » lui permettant d’avancer avec sûreté.

En cela, le véritable esprit scientifique construit la connaissance par opposition aux connaissances antérieures et à l’opinion commune. Selon Bachelard, « l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas ; elle traduit des besoins en connaissance ». L’opinion endort l’esprit. Il ne faut pas la rectifier, mais la supprimer, car sa façon de fonctionner est en elle-même mauvaise. La suppression de l’opinion est la première étape de la connaissance scientifique.

Popper (1902 – 1994) et le critère de falsifiabilité

Traditionnellement, une caractéristique de la science est qu’elle est empirique. Autrement dit, serait scientifique l’énoncé confirmé par des expériences scientifiques observables. Avec ce premier critère, on peut facilement opposer la science à la métaphysique, car la métaphysique ne s’appuie pas sur des observations concrètes. En réalité, ce critère ne suffit pas, car des théories non scientifiques s’appuient sur des observations, par exemple l’ufologie, c’est-à-dire la science des extraterrestres.

Dans Logique de la découverte scientifique, le philosophe autrichien Karl Popper propose un nouveau critère. Il introduit la « falsifiabilité » comme critère de démarcation entre la science et la non-science. Une théorie est scientifique non pas à condition qu’on puisse la vérifier par l’expérience, mais à condition qu’on puisse la réfuter par l’expérience. En effet, il n’est jamais possible de confirmer définitivement une théorie, même si plusieurs expériences concordent. La répétition d’un même résultat à l’issue d’une expérience ne garantit pas que ce résultat continuera à se répéter. En revanche, si une seule expérience contredit une théorie, la théorie est fausse. Une théorie est donc scientifique si elle peut être infirmée par une expérience scientifique.

Pour Popper, on peut qualifier de scientifique un ensemble de propositions cohérentes non contredites par l’expérience, mais qui pourraient l’être. Il pense qu’un scientifique doit chercher sans cesse les failles de sa théorie. L’attitude du scientifique consiste à éprouver la validité de sa théorie. Le scientifique est capable de mettre en doute ses théories de façon systématique. Au contraire, celui qui affirme la validité de sa théorie sans la mettre en doute et veut la prouver à tout prix n’a pas un esprit scientifique.

Que retenir ?

Les exemples de ces quatre auteurs montrent d’abord que la définition de la “science” ne fait pas l’unanimité. De même, savoir distinguer le “scientifique” du “non scientifique” pose problème. Si vous êtes confrontés à un sujet portant sur la vérité, pensez à vous demander comment cette vérité est atteinte : est-ce par une méthode scientifique ? Qu’est-ce qui caractérise cette méthode ? Est-elle propre à une époque, à une façon de penser ?

D’autre part, on peut retirer quelques caractéristiques communes de ces quatre auteurs. Notamment :

  • La méthode scientifique fonctionne par observation, expérimentation et généralisation. Elle repose sur une part d’abstraction.
  • Le scientifique doit remettre systématiquement en doute les théories précédentes, afin de construire la connaissance sans se laisser enliser dans l’opinion. Il doit aussi remettre en doute ses propres théories par l’expérimentation.