Même si peu de professeurs de prépa ECT évoquent cet auteur dans leur cours, Jean Tirole est pourtant une référence de poids dans une copie pour plusieurs raisons : La première est que c’est l’un des économistes français les plus influents de notre époque sur la scène internationale, avec un prix Nobel d’économie obtenu en 2014. Ensuite, celui-ci est mobilisé par peu de candidats, notamment parce que les professeurs ne l’abordent pas, ce qui en fait une référence qui apporte énormément de valeur ajoutée à la copie. Enfin, c’est un auteur dont les travaux et les œuvres sont très récents. Par conséquent, ils sont particulièrement ancrés dans l’actualité et les enjeux actuels et donc quel que soit le sujet proposé en QRA, qui s’inspirent toujours de l’actualité économique, il y a de grandes chances que vous puissiez mobiliser cet auteur.

Et c’est justement la polyvalence de cette référence qui est intéressante pour une question de réflexion argumentée en éco-droit. Avec son dernier livre Economie du bien commun (2016), tous les grands enjeux actuels sont abordés : le rôle de l’Etat, le fonctionnement des marchés, la globalisation financière, la crise financière de 2008, le chômage, la croissance, l’environnement, l’union européenne, l’industrie française, l’économie numérique… Dès lors, on se rend compte que le livre brasse la quasi-totalité du programme et surtout, que les sujets ESSEC de ces 5 dernières années ont abordé au moins un de ces chapitres. A quelques semaines des concours, c’est donc le moment parfait pour faire le point sur les chapitres les plus importants du programme.

Sortir du dualisme entre Etat et marché

« Le débat public oppose souvent le partisan du marché au partisan de l’Etat ; tous deux considèrent le marché et l’Etat comme concurrents. Et pourtant, l’Etat seul ne peut faire vivre correctement ses citoyens sans marché, et le marché a besoin de l’Etat ».

Le chapitre sur l’intervention de l’Etat en économie de marché sera parfait pour réviser son cours de première année. Jean Tirole commence en effet par rappeler que la concurrence pure et parfaite n’a quasiment jamais exister sur aucun des marchés. De fait, avoir une confiance aveugle en celui-ci et laisser l’allocation des ressources se faire uniquement par le marché ne peut pas conduire à un optimum de Pareto, ceux-ci étant biaisés. C’est pourquoi l’intervention de l’Etat est nécessaire.

Les défaillances des marchés sont nombreuses et les plus connues sont les externalités. Pour rappel, une externalité désigne le fait que l’activité de production d’un agent affecte celle d’un autre agent sans passer par le marché. Une externalité peut être positive ou négative selon que sa conséquence sur le bien-être est favorable ou défavorable. La pollution sous toutes ses formes est un exemple typique d’externalité négative : lorsqu’une usine rejette des déchets dans l’environnement, elle inflige, sans contrepartie, une nuisance aux habitants de la région. L’Etat doit alors intervenir pour corriger ces défaillances de marché. L’exemple le plus connu d’intervention de l’Etat est la taxe de Pigou du « pollueur-payeur » (Économie du bien-être, 1920). Cela consiste tout simplement à taxer les activités polluantes pour dédommager les victimes, ou au contraire récompenser les activités qui ont des externalités positives. L’autre action étatique la plus connue est l’instauration d’un marché « des droits à polluer » s’inspirant des idées de John H. Dales (Pollution, property and prices, 1968). L’Etat définie une quantité de pollution acceptable sur un territoire et un temps donnés et les entreprises doivent acheter des titres leur permettant d’émettre autant de rejets que leurs titres leur permettent. Pour Tirole cependant, le seul cas concret de marché à polluer qui n’ait existé, celui de l’UE crée en 2005, est un échec. En effet, l’offre de titres pour couvrir l’ensemble des territoires étant trop élevés, les prix des titres se sont effondrés, passant de 30€ en 2005 à 20 centimes en en 2007, le marché ne devenant plus du tout un moyen efficace de lutter contre la pollution. Suite à la réduction de titres émis, le prix est aujourd’hui autour de 6€ la tonne de CO2, ce qui est selon Tirole clairement insuffisant pour atteindre les objectifs de l’UE de réduire les émissions de gaz à effet de serres de 20% d’ici 2020 par rapport au niveau de 1990. Il affirme alors que pour que ce marché redevienne pertinent, il faut mettre en place un prix plancher aux alentours de 25€.

Cependant, l’Etat a lui aussi des défaillances. Les lobbies peuvent exercer un pouvoir important et l’école des Public Choice (Buchanan et Tullock, The Calculus of consent, 1960) nous a montré que les personnalités politiques peuvent faire passer leurs intérêts personnels avant l’intérêt général. Ils peuvent mettre en place des politiques favorisant l’amélioration économique conjoncturelle court-termiste pour favoriser leur réélection plutôt que d’entreprendre des mesures structurelles socialement mal vues mais qui, sur le long terme, sont nécessaires pour le pays. Par conséquent, si l’Etat ne peut plus être perçue comme une entité seulement là pour assurer les missions régaliennes, son intervention dans les marchés et plus globalement, dans l’économie, doit avoir uniquement pour but d’assurer les trois missions que Musgrave (The theory of public fiance, 1956) avait isolé, à savoir la régulation, l’allocation des ressources, et la redistribution, sans que les enjeux politiques ne viennent interférer.

L’enjeu climatique au niveau des entreprises et des Etats

En ce qui concerne le réchauffement climatique, Tirole est catégorique : au rythme actuel, atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 et de limitation de la hausse de la température (les fameux 2°C avant 2050) du GIEC est tout simplement impossible. Dès lors, c’est à la fois aux agents économiques et aux Etats de faire des efforts pour inverser la tendance.

Au niveau des entreprises, Tirole remarque que, de nos jours, de plus en plus d’entreprises mènent, de façon plus ou moins importante, une politique de responsabilité sociale d’entreprise. La vision de la gouvernance d’entreprise de Milton Friedman qui considérait le profit comme seule et unique raison d’être de l’entreprise afin d’assurer la rémunération des apporteurs de capitaux semble désormais dépassée. Dans son activité, l’entreprise cherche alors à concilier réalisation de profits et satisfaction des parties prenantes. Aujourd’hui, les entreprises sont presque contraintes, pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs en matière sociale et environnementale, ainsi que pour maîtriser un facteur clé de succès indispensable sur n’importe quel marché concernant l’image, de mettre en place de telles politiques. Jean Tirole rappelle que la RSE est l’application directe dans le monde de l’entreprise du concept de développement durable que le rapport Bruntland, dans Our Common Future (1987) définie comme « la capacité des générations actuelles à satisfaire leurs besoins en exploitant les ressources disponibles sans compromettre celle des générations futures ». La gouvernance moderne d’entreprise doit donc être en mesure de concilier trois finalités : les finalités sociales, environnementales et économiques.

Cependant, la mise en place d’une politique de RSE repose surtout sur la volonté de l’entreprise. Il n’existe aucune contrainte légale. L’Etat doit donc inciter les entreprises, via notamment la pratique du pollueur-payeur, à prendre en compte le défi climatique dans leur activité. Tirole déplore également le manque de contraintes juridiques dans les grands traités internationaux comme la COP21 en décembre 2015 par exemple. Si ce traité a été considéré par beaucoup comme un succès (au moins au niveau diplomatique) car il a été ratifié par 196 Etats, dont les Etats-Unis et la Chine, les deux plus gros pollueurs du monde, contrairement au protocole de Kyoto de 1997, l’auteur nuance ce succès en soulignant qu’aucun objectif concret n’a été pris par aucun Etat et qu’il ne reste qu’un accord vague non-contraignant. Et ce n’est pas la décision de Donald Trump de retirer les Etats-Unis de ces accords qui lui donnera tort.

Ainsi, Tirole peut être mobilisé sur un sujet sur le développement durable ou, plus globalement, sur l’écologie et les finalités de la croissance. Son analyse sur la RSE et les finalités de l’entreprise peut également être très utile en management, puisqu’il distingue les trois finalités des entreprises aujourd’hui : économique, sociale et environnementale (et on peut constater que la première question de stratégie en management ESC est très souvent de donner les finalités de l’entreprise).

Pourquoi la France a-t-elle un taux de chômage si élevé ?

Le constat peu folichon dépeint par l’auteur pourrait se résumer en un seul chiffre. Depuis les la fin des « Trente Glorieuses » (expression de Jean Fourastié), la France n’a jamais eu un taux de chômage au-dessous des 7%. Certes, actuellement, celui-ci est légèrement en baisse (autour de 9,3%) alors que lorsqu’il a écrit et publié son livre, il était à 10,5%. Mais le problème reste fondamentalement le même. Premièrement, la France se remet durement et à peine aujourd’hui, pourtant presque 10 ans après, de la crise de 2008. Là où des pays comme les Etats-Unis ou l’Allemagne sont parvenus, notamment grâce à des politiques de relance intensives pour soutenir l’économie à retrouver des taux de croissance aux alentours de 3% et des situations de plein emploi (le taux de chômage aux Etats-Unis est de seulement 4,1%), la France, elle, se réjouit en 2017 d’avoir enfin une croissance à 2%, car encore en 2016, elle n’était que de 1,1% et la menace de la déflation se faisait de plus en plus présente. Mais du fait de restriction budgétaire à cause du traité de Maastricht, qui impose aux Etats membres de l’UE de ne pas avoir une dette publique supérieure à 60% du PIB et un déficit supérieur à 3% du PIB, la France, déjà à presque 100% du PIB (95,6% en 2016) de dette publique et 2,9% du PIB de déficit public encore actuellement, n’a jamais pu mener ces politiques de relance keynésienne. De fait, La France n’a jamais pu profiter de la loi d’Okun, qui affirme une relation linéaire entre la variation du taux de croissance et celle du taux de chômage, et donc qu’une relance de la croissance aurait permis de faire baisser le taux de chômage.

Cependant, le chômage conjoncturel n’est qu’une petite partie du taux de chômage élevé de la France. Le fait que ce fléau frappe le pays depuis de nombreuses années montre bien que le problème est structurelle. En effet, le marché du travail français est aujourd’hui segmenté avec d’une part, les qualifiés qui ne sont quasiment jamais au chômage (les insiders) et d’autre part, ceux qui le sont beaucoup moins et qui enchaînent les emplois précaires. En 2016, on dénombrait 500000 emplois vacants, ce qui montre bien l’incapacité de la France à former la population de manière à ce qu’elle puisse répondre aux nouveaux emplois qui requièrent de nouvelles compétences, notamment en ce qui concerne les nouvelles technologies et l’économie numérique. De même, les taux de chômage des 18-25 ans et des plus de 50 ans sont particulièrement élevés. Enfin, l’effet d’hystérèse, qui fait qu’au plus un individu reste au chômage, au plus il aura du mal à retrouver un emploi, semble particulièrement important en France (600000 en 2015). On estime le chômage frictionnel de la France à 5% environ. Le niveau au-dessous duquel on commencerait à faire baisser le chômage structurel est lui estimé à 8%. Par conséquent, le problème de l’emploi en France ne pourra être véritablement résolu que par des mesures de réforme importantes, d’où le fait que les effets de la réforme du code du travail par Macron pour flexibiliser le marché du travail soient attendus au tournant.

Cette partie là est donc intéressante car elle englobe plusieurs points : le chômage évidemment, mais également le lien entre chômage et croissance, la différence entre le chômage conjoncturel et structurel, et l’impact de l’intégration européenne sur les politiques des Etats membres.

Pourquoi faut-il réguler le marché financier ?

Nous l’avons vu plus eu, la quasi-totalité des marchés ne sont pas purs et parfaits. En ce qui concerne le marché financier, Jean Tirole reprend l’affirmation de Frank Knight qui est que « la pire des situations pour un marché est l’incertitude ». En effet, contrairement au risque, l’incertitude n’est pas probabilisable puisque on se saurait même pas ce qu’on cherche à calculer, ce qui rend le marché particulièrement dangereux et imprévisible.  Or, le marché financier est le marché incertain par excellence. C’est d’ailleurs pour ça que beaucoup d’économistes considérait la crise de 2008 comme imprévisible. Cette incertitude pousse alors les agents à adopter des comportements irrationnels qui ne font que favoriser l’apparition de crises. Le premier est le fait que le marché est autoréférentiel, c’est-à-dire que si des agents commencent à vendre, tous les autres vont s’inquiéter, croyant une crise financière imminente, et vont donc à leur tour vendre. Or, ce comportement fait que la crise va bien avoir lieu, mais seulement parce que les agents ont agi, malgré eux, de sorte que cela se produise. On parle alors de crise auto-réalisatrice.

Mais surtout, on est en présence d’aléa moral sur le marché financier. Concrètement, selon le principe de Walter Bagehot (Lombard Street (1873)), l’Etat ne doit intervenir qu’en dernier recours pour sauver une banque. Or, Jean Tirole rappelle qu’aujourd’hui, certaines banques ont atteint une telle taille qu’elles sont devenues « systémiques », et dont la faillite pourrait entrainer des crises financières terribles. Elles sont « Too big to fail » et l’Etat interviendra malgré tout pour leur éviter la faillite. Cependant, les banques sachant qu’au final, l’Etat est là pour « assurer leurs arrières », elles se montrent alors beaucoup moins attentives et prêtent à des agents qui n’auront jamais la capacité de rembourser. C’est exactement ce qui s’est passé en 2008, les « subprimes » désignant ces ménages américains à qui on accordait des emprunts immobiliers tout en sachant pertinemment qu’ils n’étaient pas en mesure de les rembourser. C’est pourquoi Jean Tirole insiste sur le fait que la finance doit de nouveau subi une régulation importante pour que de tels évènements ne se reproduisent plus. Cela peut passer par exemple par la mise en place d’une taxe Tobin qui consiste à imposer très légèrement (0,001%) les transactions du trading haute-fréquence. Les accords de Bâle III à la suite de la crise de 2008, qui permettent de garantir un niveau minimum de capitaux propres afin d’assurer la solidité financière des banques sont un bon début selon Tirole, mais loin d’être suffisant.

Où en est l’industrie française ?

Le constat dressé par Jean Tirole sur l’industrie française peut sembler alarmant au premier abord. Le fameux chiffre des 1,5 millions d’emploi détruis dans le secondaire en 1980 et 2012 laisse souvent penser que la désindustrialisation de la France est un véritable fléau pour l’économie française. Pour autant, l’auteur nuance la situation. Déjà, la plupart des emplois détruis dans le secondaire sont en fait des postes qui sont externalisés par les entreprises et qui deviennent donc des services. On parle alors de tertiairisation de l’économie. D’ailleurs, aujourd’hui, le secteur tertiaire représente plus de 78% de la valeur ajoutée et 75% de l’emploi. Ces emplois ne sont donc pas vraiment détruits.

Ensuite, il est inutile de tenter de sauver un « Jurassic Park industriel » pour reprendre son expression, c’est-à-dire que l’économie française doit s’adopter et ne pas s’entêter à tenter de sauver des industries qui sont condamnées à disparaître mais elle doit plutôt faciliter la voie aux nouvelles entreprises qui représentent l’économie de demain : l’économie numérique : “La révolution numérique est riche en opportunités. Et que nous le voulons ou non, elle se produira quoiqu’il arrive. Tous les secteurs seront affectés. C’est pourquoi nous devons l’anticiper de façon à nous y adapter plutôt que de la subir. La confiance dans les plateformes du web, la confidentialité des données, le maintien de la solidarité dans nos systèmes de santé, les craintes devant l’émiettement du travail et le chômage sont autant d’enjeux que l’économie numérique pose.”  Pour cela, il faut pouvoir proposer des infrastructures et des politiques qui incitent les entreprises à être innovantes, le rapport Beffa de 2002 déplorant déjà à l’époque le manque d’innovation française et le rapport Gallois de 2012 fustigeant la faiblesse des investissements en recherche et développement. Si le CICE était une bonne initiative, Tirole affirme que la création de « cluster » (ou pôle de compétitivité en français) de type Silicon Valley serait beaucoup plus efficace. Ainsi, l’inauguration durant l’été 2017 de la Station F à Paris, qui regroupe de nombreuses start-ups, semble prouver que la France semble enfin amorcer la transition vers la nouvelle économie.