Début septembre, l’ESSEC a officialisé une mesure dans l’esprit similaire à celle que HEC annonçait au début de l’été : la mise en place d’un système de bonification au concours en faveur des étudiants issus de milieux modestes. 

Afin de mieux comprendre les motivations de l’école et les modalités précises de cette bonification, nous avons interrogé Felix Papier, le directeur du Programme Grande École de l’ESSEC Business School.

La mesure de bonification

Major-Prépa : Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Felix Papier :  Allemand d’origine, j’ai obtenu mon doctorat en 2007 et je travaille à l’ESSEC depuis 2010, après une expérience dans le cabinet de conseil en stratégie McKinsey & Company.  Je suis aujourd’hui directeur général adjoint de l’école et, par ailleurs, directeur du programme Grande École.

Avant de parler précisément des modalités de la bonification mise en place, quelle est l’origine de cette décision ?

Je voudrais d’abord rappeler qu’au-delà ce cette mesure, la question de l’égalité des chances nous préoccupe depuis plus de 20 ans déjà. En particulier, notre Centre Egalité des Chances a pour mission de sensibiliser et d’informer en amont, dès le collège, les élèves à l’intérêt de faire une classe prépa. L’objectif affiché est d’inciter les étudiants issus de milieux modestes à intégrer ces cursus d’excellence, en étroite collaboration avec les rectorats.

Pour ce qui est de la mesure de bonification maintenant : en 2019, le ministère de l’Enseignement supérieur a enjoint l’ESSEC, mais aussi HEC, ESCP, l’X et les quatre ENS à produire un rapport sur la diversité sociale, puis de formuler des propositions concrètes. Toutes les écoles se sont accordées pour dire que le manque de représentation dans nos écoles des étudiants issus des milieux modestes constitue un problème complexe. Naturellement, la solution la plus probante est l’accompagnement en amont de ses élèves, pour contrer l’asymétrie d’information et l’autocensure. Nous avons de ce fait renforcé encore davantage nos programmes de mentorat à destination de ce public en augmentant de le nombre de places de chacun de nos programmes d’accompagnement de 50%.

Lorsqu’on se focalise sur le concours cette fois, nous avons constaté que dans le cas de notre école, les épreuves écrites des concours discriminent bien plus que les épreuves orales : un candidat non-boursiers a 2,5 fois plus de chances d’être admissible qu’un boursiers à l’ESSEC (30% de boursiers candidats pour moins de 15% d’admissibles). Ce constat se vérifie également dans les meilleures prépas, preuve que le facteur confiance en soi reste prépondérant. 

En revanche, la proportion de boursiers admis correspond peu ou prou à celle des admissibles : nous en avons déduit que pour faire en sorte de rendre le concours plus juste, c’était sur l’écrit qu’il fallait agir. Pour autant, nous pensons cette mesure comme faisant partie d’un ensemble de décisions visant à rendre l’école plus ouverte socialement.

Vous êtes-vous concertés avec les autres écoles à ce sujet ?

Pour le concours 2022, à ma connaissance, seules HEC et l’ESSEC mettent en place ce type de dispositif (l’EDHEC compte le faire en 2023, ndlr). Dans la mesure où nos problématiques n’étaient pas identiques, nous avons opéré des choix différents. HEC a ainsi bonifié les carrés et les cubes boursiers à l’écrit et à l’oral, peut-être parce que ce dernier est également discriminant pour les boursiers, ce qui n’est pas le cas à l’ESSEC.

Le débat sur les points bonus au concours

Ce type de bonification a pourtant provoqué un tollé parmi les professeurs de prépa, et les boursiers eux-mêmes se déclarent en majorité hostiles à cette mesure selon une enquête menée par le Bureau National des Étudiants en école de Management (BNEM)…

En 2019, initialement, nous avions imaginé donner purement et simplement des points bonus à tous les étudiants boursiers.

À la lumière de nos échanges avec nos étudiants boursiers, nous avons abandonné cette idée de bonification directe pour limiter notamment les risques de stigmatisation de ces étudiants, ce qui a donc constitué un réel changement dans notre position.

Un autre risque est de voir de faux boursiers proliférer par effet d’aubaine : il faut rappeler que le statut de boursiers est donné par l’État, qui en est de fait le garant. Nous allons donc bien sûr être vigilants sur ce point pendant la phase de test de cette mesure.

En quoi consiste précisément ce principe de “double barre” pour les boursiers ?

Nous allons permettre à un maximum de 40 étudiants boursiers (tout échelon confondu) qui se trouvent au maximum 0,5 points sous la barre d’admissibilité de passer les épreuves orales. Une fois intégrés dans le processus des oraux, les jurés n’auront aucun moyen de les distinguer des autres candidats, et ce sera à eux de refaire leur léger retard.

En parallèle, nous allons augmenter de 10 places le nombre total de candidats admis, de 420 à 430.

Enfin, je tiens à signaler que nos étudiants, lorsque nous les avons sollicités à ce sujet, nous ont fait largement part du fait que la bourse d’État est un critère lacunaire pour rendre compte des inégalités entre les candidats et que, par exemple, l’éloignement géographique avec sa prépa devrait aussi peser dans la balance. Nous souhaitons donc faire en sorte que la bourse CROUS ne soit plus le seul critère de bonification à terme.

N’y a-t-il pas là un risque de ponctionner les boursiers des écoles moins bien cotées que l’ESSEC ?

Il faut rappeler que les CPGE voie économique et commerciale accueillent environ 28% de boursiers, qui trouvent pratiquement tous une place dans une Grande École de management à l’issue de leur prépa. L’idée de cette mesure est donc avant tout d’attirer plus de boursiers dans notre filière et, dans l’immédiat, de permettre une meilleure répartition des boursiers au sein des écoles. 

L’association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC) a critiqué le caractère tardif de cette annonce, que lui répondez-vous ?

Effectivement, l’APHEC aurait souhaité que les choses soient entérinées au début de l’été pour que les carrés le sachent avant de décider de cuber ou non. Plusieurs facteurs nous ont empêché de le faire, même si évidemment cela aurait été préférable. Nous n’avons pas souhaité repousser la mise en place de cette mesure à 2023 car nous l’avions déjà évoqué dans la presse avant l’été et que nous voulions la tester dès que possible. 

Par ailleurs, cette mesure ne change en rien la préparation des candidats au concours, ce qui aurait été pour le coup tout à fait inacceptable. Ici, il s’agit seulement de la barre d’admissibilité pour les étudiants concernés, qui de toute manière n’est pas connue à l’avance. En somme, nous avons fait cela dans l’intérêt de ces étudiants, même s’ils auraient été préférable de le dire avant.

L’engagement de l’ESSEC pour l’égalité des chances

Pour terminer, quelles sont les autres mesures que l’ESSEC va développer pour accroître la diversité sociale dans votre recrutement pour les années à venir ?

Notre stratégie va d’abord consister à maintenir notre recrutement au-delà de la classe prépa, avec les admissions parallèles dont la proportion de boursiers est supérieure aux prépas ; d’autant que l’étude des dossiers nous permet de tenir compte de l’origine sociale des candidats.

Par ailleurs, depuis 2014, nous poursuivons une politique de réduction des frais de scolarité pour les boursiers. C’est ainsi qu’un étudiant boursier échelon 7 sera totalement exonéré des frais de scolarité en première année et gardera des aides conséquentes par la suite. Cela s’inscrit en complément de notre politique de mentorat que j’ai mentionnée tout à l’heure.

Au niveau master, le développement de l’apprentissage – voie désormais suivie par environ 25% des promotions du PGE et la moitié des boursiers – constitue également une méthode de financement efficace pour les étudiants les moins aisés. Notre objectif est qu’un étudiant de l’ESSEC, quelle que soit sa situation personnelle, puisse pleinement choisir le parcours qui lui convient sans tenir compte de ses contraintes financières.