Chaque présidence de la Vème République a dû faire face à des affaires et des scandales qui ont été mis au jour par le journalisme d’investigation. Ne pouvant pas tous les traiter dans un article, j’ai fait le choix d’en analyser 3 ayant pour point commun de mettre en relation la France et l’Afrique.

Sous la 5ème République, la France et l’Afrique continuent d’entretenir des liens privilégiés. Jacques Foccart, figure centrale de la « Françafrique » entre 1960 et 1974, en est le symbole. Malgré la fin de l’Empire français qui devient palpable avec les dernières décolonisations des années 60, une coopération politique, militaire et monétaire se maintient avec le continent. La France possède en effet de nombreuses bases militaires en Afrique, au Gabon et au Tchad par exemple, et est souvent qualifiée comme le « gendarme de l’Afrique ». Elle jouit d’un accès privilégié à certaines matières premières (Areva au Niger) et sa culture s’y déploie sous l’action de son héritage colonial et linguistique (création de la Francophonie en 1970). Une coopération monétaire se met également en place avec le franc CFA (« Communauté Française d’Afrique ») dès 1945 : ce sont 15 Etats africains qui ont une monnaie avec une parité fixe vis-à-vis du franc. Les 3 Affaires que je vais mentionner ici sont donc à replacer dans ce contexte.

1er scandale : l’Affaire Ben Barka

Point de départ 

Le 29 octobre 1965 est enlevé à Paris Mehdi Ben Barka, leader exilé en France du premier parti d’opposition au roi marocain Hassan II (l’Union nationale des forces populaires du Maroc). Mehdi Ben Barka est un personnage clef : il prend part au sommet des Etats non-alignés et fait figure de symbole pour les pays du tiers-monde.

Eclatement du scandale 

Grâce aux révélations du journal L’Express, il apparaît que Mehdi Ben Barka aurait été tué par les services secrets marocains avec l’intelligence des services français. C’est l’un des plus gros scandales de la gouvernance gaullienne.

Déroulement chronologique de l’enlèvement et du meurtre 

Ben Barka est tout d’abord invité dans une brasserie parisienne sous prétexte de la réalisation d’un film sur la décolonisation. Deux policiers, à la demande des services secrets français (eux-mêmes aux services du Ministre de l’intérieur marocain le général Oufkir), l’arrêtent sur le trottoir avant qu’il ne puisse entrer dans la brasserie et le conduisent au sud de la région parisienne dans la villa d’un malfrat. Ben Barka y est maintenu en attendant l’arrivée du général Oufkir venant de Rabat qui veut directement interroger son opposant politique. Tabassé sauvagement, ficelé à une chaise puis tailladé au couteau par le Ministre marocain en personne, Ben Barka est tué et son corps dissimulé. Tout ceci est raconté en détail dans l’article de l’Express : « J’ai vu tuer Ben Barka », publié en 1966.

Conséquences de la publication de l’article

Les auteurs de l’article sont accusés de diffamation et l’affaire fait la une du journal pendant 5 semaines. Le général de Gaulle intervient : il rompt diplomatiquement avec le Maroc, il purge la SDECE (ancien nom de la DGSE) et fait une conférence de presse pour dénoncer l’affaire. Plusieurs protagonistes sont condamnés en justice mais le dossier est toujours en cours. En 2007, de nouveaux rebondissements apparaissent dans l’Affaire. En s’intéressant au passé de Ben Barka, l’Express découvre que cet homme de gauche aurait collaboré avec les services secrets tchécoslovaques entre 1961 et 1965 (dans un contexte de guerre froide). Il aurait agi ainsi dans le but de trouver des soutiens internationaux.

Petit historique sur les relations diplomatiques entre la France et le Maroc

Cette affaire nous invite à nous pencher sur les relations diplomatiques entre les deux pays. A l’époque gaullienne, la France a besoin du soutien du Maroc car elle a des contentieux avec d’autres pays africains : en Algérie avec l’Algérie indépendante, En Egypte avec le président Nasser suite à la crise de Suez de 1956 et avec la Tunisie de Bourguiba. D’autre part, le Maroc a également besoin du soutien de la France car c’est une période où les monarchies arabes sont fortement contestées. Ce premier reproche néanmoins toujours à la France d’avoir laissé à l’Algérie des terres du Sahara qu’il considère comme marocaines. Les deux pays entretiennent donc des relations diplomatiques importantes, en témoigne la réception chaleureuse par le général de Gaulle d’Hassan II en France avec ces mots : « ici, vous êtes, Sir, par excellence, le bienvenu ! ».

Avec l’Affaire Ben Barka, le général de Gaulle rompt diplomatiquement les liens avec le Maroc d’Hassan II dont le procès organisé en 1966 pointe sa responsabilité dans le scandale.

Cependant, la France et le Maroc entretiennent des relations tellement importantes que les tensions vont rapidement s’atténuer. Certes, d’autres crises diplomatiques vont venir interférer dans les relations entre les deux pays, mais les intérêts supérieurs vont toujours finir par l’emporter.

2ème scandale : les diamants de Bokassa

Objet du scandale

Un article du Canard enchaîné, publié le 10 octobre 1979, révèle que le président Valéry Giscard d’Estaing (VGE) aurait reçu en 1973, alors qu’il était ministre des Finances, des diamants en cadeau de la part du dictateur centrafricain Jean-Bedel Bokassa. L’article ne dénonce pas seulement VGE mais aussi plusieurs hommes politiques qui auraient reçu des cadeaux de la part du dictateur Bokassa. Le scandale prend de l’ampleur et pose la question des rapports entre l’argent et la politique.

Dénouement

VGE va devoir vendre les diamants, d’une valeur de 120000 francs, pour le bénéfice d’œuvres humanitaires centrafricaines. L’image du président est fortement entâchée par ce scandale, notamment avec l’autoproclamation de Bokassa en tant que « empereur de Centrafrique » le 4 décembre 1977. La France va finir par se désolidariser du dictateur en provoquant un coup d’Etat en septembre 1979 (comme pour anticiper le scandale) qui va le chasser du pouvoir (opération Barracuda). Le 17 décembre 1980, Bokassa confirme, depuis sa résidence forcée d’Abidjan, l’authenticité des documents qui ont été utilisés par le Canard enchaîné et décrivant la transaction de ses cadeaux.

Relations diplomatiques entre la France et la République centrafricaine

La France dispose d’une ambassade en RCA et elle est le seul pays européen à en avoir une. La France, forte de ses anciennes relations importantes avec la RCA, souhaite accompagner les autorités élues du pays pour les aider à le développer durablement. La France agit également de manière multilatérale avec la RCA. Elle est par exemple à l’origine de la création du fonds européen « Bêkou » avec d’autres pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas en accord avec la Commission européenne. Créé en juillet 2014 et aujourd’hui doté d’un budget de 116 millions d’euros, ce fonds est destiné au développement et a déjà permis la mise en œuvre de projets dans des secteurs très variés : la sécurité alimentaire, la santé, la relance économique, la construction d’infrastructures.

La France soutient également la RCA auprès des grandes institutions internationales avec, par exemple, l’obtention d’une facilité élargie de crédit de la part du FMI en 2009.

L’intensité des relations entre les deux pays est illustrée par la fréquence des visites bilatérales. Quelques exemples : François Hollande est allé à Bangui le 10 décembre 2013, le 28 février 2014 et le 13 mai 2016.

D’un point de vue économique, les relations commerciales ont pâti de la crise et les échanges demeurent modestes. Pour autant, la France reste le premier pays investisseur en RCA.

D’un point de vue militaire et civil, la France a accordé plus de 76 millions d’euros d’aide civile au pays entre 2014 et 2016, sans compter les dépenses militaires engendrées par l’opération Sangaris (du 5 décembre 2013 au 31 octobre 2016, opération qui a mobilisé 2000 hommes) et par les appuis bilatéraux aux opérations de l’Union européenne, l’ONU, l’Union africaine etc.

Le 17 novembre 2016, lors de la conférence des donateurs à Bruxelles, la France a annoncé qu’elle allait accorder 85 millions d’euros d’aide sur 3 ans dont 15 millions d’euros pour le fonds européen « Bêkou ». Cette aide irait principalement vers un soutien à la gouvernance, l’économie nationale, l’éducation, la santé. 38 millions d’euros ont déjà été octroyés en 2017.

3ème scandale : l’Angolagate

Point de départ

Deux juges mènent une enquête en 2000 sur un blanchiment d’argent qui se serait fait au bénéfice d’Arcadi Gaydamak et de son associé Pierre Falcone (industriel spécialisé dans le commerce international de vente d’armes). L’enquête met au jour un dossier sulfureux mêlant politique, trafic d’armes et corruption en Angola qui fut pendant longtemps le théâtre d’une guerre civile.

Explication du scandale

En 1992, le président de l’Angola Eduardo Dos Santos fait face à une situation dramatique : son armée est encadrée par les rebelles de l’Unita et le pays est en manque de médicaments, nourriture et surtout d’armes. Pierre Falcone va proposer de venir en aide au président en lui fournissant des armes. Pour ce faire, il va s’adresser à Arcadi Gaydamak, un homme d’affaires qui a fait fortune sur les ruines de l’ex-URSS (lieu d’où proviennent les armes). Deux gros contrats sont signés avec le président angolais en 1993 et 1994 respectivement pour des montants de 47 et 463 millions de dollars d’armes. L’enquête des juges révèle que 42 personnalités françaises importantes dont des politiciens auraient bénéficié de cet argent grâce à un montage financier complexe : le parti de Charles Pasqua (RPF), Jean-Christophe Mitterrand, l’écrivain Paul-Loup Sulitzer entre autres. Ces versements ont été faits depuis des comptes mystérieux situés à l’étranger.

Quels sont les reproches faits à Falcone et Gaydamak ?

Tout l’objet du procès est de savoir si l’on peut qualifier ces ventes d’armes de « commerce illicite ». Les deux protagonistes se sont-ils rendus coupables d’un délit en ne demandant pas une autorisation au ministre de la Défense pour vendre ces armes ? Certains soutiennent que la France n’est pas concernée par cette affaire car les armes proviennent de Russie et n’ont jamais transité par la France. Ce point de vue n’est pas partagé par les juges car les ordres de paiements de Falcone proviennent eux bien de Paris.

Décisions du procès

Le 27 octobre 2009, le tribunal correctionnel de Paris condamne 36 personnes soit pour organisation de ce trafic soit pour avoir bénéficié de l’argent. Ainsi, les deux hommes d’affaires prennent 6 ans de prison ferme, 2 ans pour Jean-Christophe Mitterrand et 5 ans pour Paul-Loup Sulitzer par exemple.

Relations diplomatiques entre la France et l’Angola

L’Angola est un pays africain d’avenir. Récemment sorti d’une guerre civile en 2002, le pays affiche aujourd’hui de très bonnes perspectives. Bien que le pays soit toujours en restructuration, il a affiché entre 2003 et 2012 un taux de croissance de 9% (même si aujourd’hui les chiffres sont beaucoup moins bons en raison d’une baisse des cours du pétrole et d’une mauvaise gouvernance). Le pays est également riche en hydrocarbures et son potentiel agricole n’est pas totalement exploité puisque 5 millions d’ha de terres agricoles sur 58 millions d’ha sont encore inexploitée. Son littoral long de plus de 1400 km lui permet également d’envisager un avenir dans l’énergie hydroélectrique.

La France a bien compris l’immense potentiel de l’Angola et c’est pour cela qu’elle a souhaité approfondir ses relations avec le pays dès 2013. Quelques faits en témoignent : venue à Paris d’une délégation de gouverneurs angolais en septembre 2013 invitée par le Medef, visite le 31 octobre 2013 à Luanda du ministre des affaires étrangères, venue à Paris du ministre angolais des affaires étrangères le 6 décembre 2013.

Les intérêts économiques de la France en Angola sont représentés par environ 70 entreprise, surtout dans le domaine du pétrole. Les objectifs français en Angola de ces dernières années ont été de diversifier les partenariats avec le pays dans les domaines de l’eau, de l’agriculture, des énergies renouvelables avec le développement de l’hydroélectricité, des télécommunications, des transports avec la construction de plateformes logistiques et de terminaux maritimes par exemple.

La France ne reste aujourd’hui malgré tout que le 8ème partenaire économique de l’Angola, à la fois comme fournisseur et comme client.