L’ultime souffle de l’URSS

Le 11 mars 1985, alors qu’il accède au poste de Secrétaire général du Parti communiste, Mikhaïl Gorbatchev tente d’insuffler une nouvelle jeunesse à l’URSS. Il se recentre sur les problèmes internes, en retirant les soldats d’Afghanistan et en normalisant les relations avec la Chine et les Etats-Unis. Il lance ensuite deux plans de réforme :

  • La glasnost (transparence en russe), une politique de liberté d’expression et de la publication d’informations. L’objectif est de recevoir des critiques pour prendre conscience des problèmes et bâtir un socialisme plus réaliste.
  • La perestroïka, une restructuration pour éliminer les faiblesses de l’URSS, sans toutefois que les moyens soient assez précis.

De réelles possibilités d’autogestion et une décollectivisation des terres agricoles sont mises en oeuvre. Les particuliers ont l’autorisation de créer des entreprises unipersonnelles ou des coopératives, et les grandes entreprises d’Etat initient une tentative de libéralisation de leur activité.

Gorbatchev souhaite transformer l’économie de l’URSS en économie socialiste de marché, sans remettre en question les fondements du communisme – mais son plan est brouillon. L’ancien système s’effondre mais le nouveau, tiraillé par l’absence d’Etat de droit et la dérive mafieuse du Parti communiste, ne fonctionne pas encore.

Il souhaite également démocratiser le pays et crée la fonction de président en 1988, puis des élections en 1989 pour élire le Parlement. Toutefois, une rupture entre lui et l’opinion publique russe s’observe. Les critiques permises par la glasnost ne sont pas constructives mais en grande partie négatives, ce qui produit un effet corrosif auprès de la population.

En parallèle de ces réformes intérieures contestées, Gorbatchev met fin à la doctrine de souveraineté limitée de Brejnev. En 1987, il évoque à Prague la « maison commune européenne », désavouant le rideau de fer. Les démocraties populaires en profitent pour reprendre peu à peu leur indépendance, pour une transition qui est résumée par la formule suivante : « Pologne, 10 ans ; Hongrie, 10 mois ; Allemagne, 10 semaines ; Tchécoslovaquie, 10 jours ». Le délitement de l’union soviétique est achevé avec le constat de la disparition de l’URSS à Minsk, et la démission de Gorbatchev le 25 décembre 1991.

Eltsine et la thérapie de choc : une spirale infernale pour la Russie

Des premières mesures qui font l’effet d’une tornade

Dès décembre 1991, Boris Eltsine, nouvel homme fort de la Russie après avoir mené la résistance, prend ses fonctions de Président de la République dans un Etat post-soviétique. Les débuts sont difficiles car la Nomenklatura conservatrice, encore majoritaire au Parlement de 1989, bloque l’action gouvernementale. Eltsine parvient finalement à dissoudre le Parlement en 1993 et à instaurer une nouvelle Constitution, approuvée par 58% des votants.

La situation économique de la Russie est préoccupante en 1991, si bien que la thérapie de choc apparaît comme la seule solution pour rétablir une relative stabilité. Elle est menée par l’économiste et ancien Premier ministre, Egor Gaïdar, surnommé le « père du capitalisme russe ». Elle consiste en une libéralisation des prix, de l’activité, du change, ainsi qu’une restriction du déficit budgétaire et l’accumulation de la masse monétaire. Il n’y a plus de contrôle des taux de change. 95% des entreprises sont libéralisées en l’espace de 3 ans : l’objectif est la création de « propriétaires effectifs », c’est-à-dire d’une propriété privée.

En 1991, la hausse des prix en Russie est de 160%, en 1992 de 2 500%. L’inflation anéantit l’épargne de millions de Russes de la classe moyenne, les salaires réels diminuent significativement. Entre 1991 et 1995, le PIB russe se rétracte de 34,6%. 1/3 de la population vit sous le seuil de pauvreté en 1992.

Une économie artificielle se met en place avec la distribution de « bons de privatisation » aux ressortissants russes, vite réduits à une valeur modeste à cause de l’inflation galopante. Cette privatisation ne profite dès lors qu’à l’ancienne élite de la Nomenklatura, qui se reconstitue sous une autre forme.

De plus, la thérapie de choc est incomplète avec des entorses au libéralisme dans certains secteurs. Le secteur énergétique et les biens de première nécessité sont encore réglementés. Des subventions publiques sont accordées aux entreprises non rentables pour éviter une crise sociale trop importante. Or, ces mesures s’avèrent trop coûteuses.

Une société à la dérive

Une étude publiée par le journal médical indépendant « The Lancet » soulève la question des conséquences économiques et sociales de cette thérapie de choc. Elle aurait provoqué en Russie un accroissement du taux de mortalité de 13% en Russie, et une diminution de 5 ans de l’espérance de vie entre 1991 et 1994. Ces chiffres seraient liés à l’augmentation du taux de chômage dans les pays de l’ex-URSS, souvent accompagné d’une perte de l’accès aux soins et au logement.

La société russe perd ses repères. Les recompositions sociales sont illusoires : la Nomenklatura se mue en oligarchie, les anciennes élites cumulent différentes fonctions. Chômage et inflation ébranlent les promesses de « bien-être social » et de prospérité assurés par le socialisme, tandis que le gouvernement semble se désengager de plus en plus de ces combats. Le bouleversement économique conduit à des pénuries chroniques en biens de première nécessité.

La stabilisation russe

A partir de 1994, des politiques monétaire et budgétaire restrictives sont menées pour diminuer progressivement l’inflation. De plus, le gouvernement tente de stabiliser le taux de change par rapport au dollar. Une économie parallèle se développe à côté de ces efforts. Le volume des transactions en troc augmente de 100% entre 1995 et 1997, tandis que l’inflation diminue jusqu’à 12% en 1997.

En 1996, le gouvernement ouvre le marché aux capitaux étrangers avec des taux d’intérêt lucratifs, or la crise asiatique de 1997 pousse les investisseurs à retirer leurs fonds pour les rediriger vers des marchés plus fiables. La stabilisation russe s’achève en août 1998 avec l’effondrement financier, dû à un retrait rapide des fonds d’investisseurs, qui force le gouvernement à dévaluer le rouble et à suspendre les paiements en devises étrangères par les agents privés.

Les quelques succès sur le plan diplomatique, comme l’entrée de la Russie au G7 en 1998 ou les multiples rencontres avec des chefs d’Etat étrangers, ne suffisent pas à adoucir la foule de problèmes rencontrés. En 1999, Eltsine déclare lors de sa démission : « Je veux vous demander pardon pour tous les rêves qui ne se sont pas réalisés ».

La Russie de Poutine

Le 26 mars 2000, Vladimir Poutine est officiellement élu président de la Fédération de Russie, et s’emploie à faire du pays une “puissance retrouvée” (Atlas de la Géopolitique russe, Pascal Marchand).

Peut-on réellement parler de renaissance ?

Un des postes de dépenses privilégié par Vladimir Poutine est le secteur militaire. Dans les années 90, il est négligé par Eltsine pour éviter la formation d’un contrepouvoir : les crédits à l’armée sont supprimés et il n’y a pas de modernisation. Les dépenses militaires redémarrent en 2000 et des commandes sont lancées. La Russie fait également preuve d’une capacité technologique dans le secteur nucléaire avec la firme Rosatom. Elle parvient ainsi à regagner une crédibilité dans la région et dans le monde par ses capacités de modernisation.

Pour assurer sa renaissance, la Russie doit également faire face à de nombreux défis structurels, notamment à la maîtrise de son territoire. Les transports sont peu développés, bien que le territoire dispose de multiples atouts : la Russie est le 2e producteur mondial de pétrole et de gaz, et le 5e producteur sidérurgique. Les hydrocarbures représentent près de 16% du PIB. Ces ressources justifient le rétablissement depuis 2000 de ce que le conseiller de Poutine, Gleb Pavlovski, appelle la “verticale du pouvoir”. Cette politique consiste en une reprise en main des régions quasi-autonomes qui sont aussi les lieux de production des matières premières – et donc un renforcement des réseaux et une reprise des échanges.

L’Etat russe se renforce ainsi par la rente pétrolière (280 milliards de dollars en 2011). Encore interventionniste, il s’appuie sur des groupes d’envergure mondiale comme Severstal ou Gazprom. Cette instrumentalisation permet à l’Etat de contrôler 85% de la production gazière. Toutefois, cette économie de rente sur laquelle mise la Russie est volatile : le pays, très sensible aux variations des prix du pétrole, a souffert de la baisse de ces prix ces dernières années.

Après plusieurs années de décélération du taux de croissance, les statistiques officielles russes annoncent 0,5% de croissance au premier trimestre 2017, soit le meilleur résultat de l’économie depuis fin 2012. La production industrielle affiche également des résultats en hausse, notamment pour le fret ferroviaire et les industries de transformation. La population souffre néanmoins d’un mal-être hérité des années 90, encore visible, avec près de 500 000 décès par an liés à l’alcool, ou encore une fracture marquée entre la classe moyenne émergente et urbaine, et la Russie profonde qui subit une forte déprise rurale.

La priorité est surtout donnée à l’image internationale

La Russie et ses voisins  

Obésédée par la gestion de ses marges” (Nous ne sommes plus seuls au monde, Bertrand Badie), la Russie cherche à étendre son influence à plusieurs niveaux :

  • “L’étranger intérieur” (notamment dans le Caucase).
  • “L’étranger proche” via la CEI, en maintenant une pression sur l’Arménie et les Républiques d’Asie centrale, sur le plan militaire et commercial.

L’influence de la Russie est en partie assurée dans sa sphère d’influence historique. Pourtant, d’après Poutine, le pays est encerclé et menacé – notamment pas l’Union Européenne.

La Russie profite de son statut de fournisseur de matières premières pour exercer une pression sur les potentielles sources de menace. En 2014, elle augmente d’1/3 le prix du gaz vendu à l’Ukraine, avant d’annexer la Crimée. En Géorgie, elle intervient pour soutenir les désirs de sécession interne en Abkhazie et en Ossétie du Sud.

Cette ingérence dans les crises internes de pays européens explique la dégradation des relations russo-européennes. En parallèle, Poutine définit de plus en plus son pays comme eurasiatique. La Russie souhaite ainsi s’affirmer comme puissance pivot entre l’Europe et l’Asie, un mouvement initié par la création en 2012 d’un espace économique commun avec la Biélorussie et le Kazakhstan, ou encore le développement de relations avec la Chine pour des échanges d’hydrocarbures.

La Russie dans le monde : un leader crédible ?

La politique internationale, au-delà de la sphère régionale, se veut désormais pragmatique pour faire face à “l’incomplétude de la puissance” russe. La Russie a su depuis 2000 réactiver ou obtenir des statuts internationaux, avec sa contribution sur le dossier nucléaire iranien, son soutien à Bachar Al-Assad en Syrie ou plus simplement son siège au Conseil de Sécurité. L’aura de Vladimir Poutine, systématiquement mentionné lors d’élections d’envergure mondiale comme les élections américaines ou françaises, est également croissante.

Le pays mise de plus en plus sur le soft power pour consolider sa renaissance, avec par exemple l’envoi d’IDE ou de touristes et hommes d’affaires à travers le monde. Pour autant, sa puissance normative est très faible. La Russie joue surtout un rôle de perturbateur de l’ordre occidental à l’échelle mondiale, sans rechercher d’adhésion à un modèle précis et sans proposer de construction nouvelle. Elle tient surtout à poser des bornes à l’Ouest et au Sud pour contrebalancer l’influence européenne et américaine.

Conclusion

Le renforcement des capacités militaires de la Russie lui permet désormais de reconstruire son influence mondiale, en dégageant une image de puissance. Menaçante pour ses voisins, parfois inquiétante pour le monde, la Russie bénéficie de bons résultats quant à sa visibilité internationale. Pour autant, le bilan interne n’est pas très positif.