Cyberespace

Voilà un sujet qui était attendu depuis plusieurs années et qui a fait parler de lui. En effet, le cyberespace et sa géopolitique sont enfin tombés pour la première fois sous une forme inédite à Ecricome 2020 (La recherche et les nouvelles technologies introduisent-elles de nouveaux rapports de force mondiaux ?), puis à ESSEC 2021 (La maîtrise des espaces communs [maritime, aérien, extra-atmosphérique et numérique], enjeu de puissance par les États depuis 1945).

Ce sujet est d’autant plus d’actualité pour les concours de cette année après l’annonce de Facebook sur la création de son métavers à l’automne 2021. L’article que tu t’apprêtes à lire est justement là pour te donner toutes les clés de lecture géopolitique du cyberespace en prépa ECG !

Qu’est-ce que le cyberespace ?

Définitions 

Le cyberespace est un concept de William Gibson dans son ouvrage Neuromancien (1984) qui décrit un espace tridimensionnel s’apparentant au cyberespace technique tel qu’on le conçoit aujourd’hui. Ce terme ne date donc pas d’hier.

À y regarder de plus près, il s’agit d’un espace au caractère immatériel et fortement technique au vu de sa complexité. Il englobe totalement Internet. Il supprime toute notion de distance puisque cet espace intangible organise des échanges déterritorialisés entre citoyens du monde à une vitesse quasi instantanée. 

Olivier Kempf dans son Introduction à la cyberstratégie (2012) résume bien ce qu’est le cyberespace en le divisant en trois couches, à savoir la première couche dite physique (les infrastructures matérielles qui font fonctionner Internet), la deuxième considérée comme logique et applicative (les services permettant les transmissions de données comme les applications, les logiciels…) et la dernière qui est cognitive et sémantique (les internautes eux-mêmes).

L’avènement du cyberespace 

Depuis la création du World Wide Web par Tim Berners-Lee en 1991 (aussi appelé « la toile »), la société n’a fait que se numériser de plus en plus vite. Cela a été le point de départ d’un changement sociétal profond. En effet, la société s’est petit à petit connectée en temps réel avec l’arrivée de l’Internet mobile grâce à la création des smartphones.

L’émergence du « village global »

Le développement de l’Internet des objets (« IOT », Internet of Things) et aujourd’hui celui de la 5G font que de plus en plus d’appareils de tout type se connectent en réseau. La masse de données est donc en constante expansion. Ce contexte a ainsi permis l’émergence de ce que Marshall Mc Luhan appelle le « village global » (le monde globalisé). De fait, le cyberespace est la suite logique de la numérisation de la société. Le métavers en est l’étape à venir.

Dans un tel contexte, les prophètes comme Paul Virilio annonçaient en 1997 la fin de la géographie. C’est-à-dire l’avènement d’une nouvelle économie-Monde fondée sur l’essor d’Internet qui marque la disparition progressive de la géographie et de l’espace. La notion de territoire est donc fortement corrélée à celle du cyberespace et de la cybergéopolitique.

La cybergéopolitique implique également l’avènement des nouvelles technologies, qui est l’un des moteurs du capitalisme actuel. De fait, ce sujet est assez proche d’un sujet sur l’industrie. C’est pourquoi il convient de distinguer (notamment dans une partie historique) la troisième révolution industrielle (1970-2000, Jérémy Rifkin) de la quatrième révolution industrielle (2010 à aujourd’hui, Klaus Schwab) qui, elle, concerne surtout le cyberespace.

Le cyberespace, un territoire à maîtriser et à contrôler

Le cyberespace est-il une nouvelle forme de territoire ? Si oui, quelles en seraient la matérialité, les frontières ? Les limites de sa souveraineté ? Voilà une belle problématique sur un tel sujet de géopolitique. En effet, contrôler le cyberespace est désormais le fantasme de tout État.

Rappelons avant tout ce qu’est un territoire. C’est un espace géographique sur lequel on projette un projet politique, ce qui implique son appropriation, pour exercer une domination directe ou une influence indirecte. Le problème ici est que le cyberespace est un espace numérique sur lequel on peut très bien projeter un projet politique (filtrer les contenus Web qui favorisent l’image du gouvernement, comme c’est le cas en Chine par exemple). Cependant, la domination du cyberespace reste fortement floue étant donné qu’Internet peut être contrôlé par tous types d’acteurs à la fois, qu’il s’agisse de djihadistes tout comme d’États.

Les acteurs du cyberespace

Les acteurs du cyberespace sont multiples et variés. En effet, en plus des acteurs dits classiques (cf. infra), le cyberespace a créé l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène internationale, comme les proxies. Il s’agit d’individus isolés, des sortes d’hackers solitaires qui ne dépendent d’aucune organisation (à l’instar de Rabbin des bois, ancien hacker du site de Sciences Po), d’organisations hacktivistes (comme Anonymous, WikiLeaks…) agissant pour des motifs politiques, ou des cybercriminels motivés par le profit, ou même des sociétés militaires/de sécurité privée.

Les acteurs classiques sont bien évidemment les États et certains types d’acteurs non étatiques, comme les GAFAM, ou encore des organisations de cyberdéfense institutionnalisées, comme l’alliance Five Eyes.

Les cyberconflits, rivalités sur la datasphère

Le cyberespace n’est-il qu’un champ de bataille entre les grandes puissances ? Pas vraiment, car il est difficile d’introduire des normes internationales au cyberespace, comme le montre cette conférence du festival de géopolitique de Grenoble 2020. De ce fait, le cyberespace est capable de rééquilibrer les relations asymétriques du monde réel. C’est ainsi qu’une petite institution criminelle peut très bien s’attaquer à la première puissance mondiale et causer nombre de dégâts. En fait, le numérique possède un pouvoir égalisateur inédit en géopolitique internationale puisqu’il est capable de placer les groupes criminels sur un pied de quasi-égalité avec les plus puissantes FTN et les plus grands États.

On retrouve généralement quatre types de cyberconflits dans le cyberespace

Les conflits d’État à État sont assez nombreux

C’est lorsqu’un État décide d’affronter numériquement un autre État. Ce type de conflit est particulièrement dangereux pour la stabilité et la sécurité du système international puisque l’État peut réussir à masquer son attaque. De fait, nul ne saura qui et d’où a été lancée l’attaque anonyme. Parfois, le défenseur peut réussir à identifier son agresseur en utilisant beaucoup de moyens. Une telle attaque peut s’illustrer avec l’opération Olympic Games (2010) qui opposait l’Iran aux États-Unis et à Israël, qui avaient réussi à codévelopper un ver informatique nommé Stuxnet. Ce dernier s’attaquait aux centrifugeuses iraniennes et se multipliait partout. Cette attaque avait pour but de ralentir l’enrichissement d’uranium iranien.

Les conflits de proxies contre États sont également très prisés

Ils montrent à quel point le cyberespace peut être dangereux mais puissant, car il s’agit en général d’hackers qui s’attaquent à un État tout entier (exemple des cyberattaques en Estonie en 2007, qui avaient notamment touché le Parlement estonien).

Les conflits d’États contre des acteurs privés se font un peu plus rares

Ce type de conflits a notamment pu être observé lors de la cyberattaque massive qu’a subie Saudi Aramco en 2012. L’auteur de cette attaque pourrait être l’Iran, et il s’agirait en fait d’une riposte possible de Téhéran face au ver informatique Stuxnet.

Les conflits opposant des proxies à des proxies sont très opaques

En effet, ils relèvent de l’ordre du privé, donc ils ne sont pas forcément médiatisés. On peut toutefois citer les menaces de cyberattaques d’Anonymous contre l’État islamique. Menaces intervenant à la suite des attentats de Paris de 2015.

Enjeux et défis du cyberespace

On observe depuis peu une volonté de souverainiser le cyberespace par les grandes puissances. En effet, cet espace se transforme en un véritable Heartland 2.0 (par analogie aux thèses de H. J. Mackinder), dans lequel son contrôle total permet inévitablement à celui en sa possession de contrôler à la fois les mondes numérique et réel.

Le développement du cyberespace participe clairement à l’établissement d’une cyberdiplomatie, les puissances secondaires essayant de former des alliances numériques afin de devenir plus fortes. On peut citer la fameuse alliance Five Eyes qui regroupe les grandes puissances numériques mondiales, à l’instar des États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande et Canada.

La suprématie technologique américaine aujourd’hui remise en question par la Chine ?

La géographie de la maîtrise des nouvelles technologies reflète largement une hiérarchie héritée des grandes puissances industrielles. Cependant, cette hiérarchie et cette géographie se retrouvent de plus en plus bousculées par le rattrapage technologique de certains acteurs (à l’instar de la Chine), permis notamment par la recomposition de la géographie industrielle. De fait, ces recompositions suscitent des craintes et exacerbent des rivalités alors même que les technologies reposent sur des coopérations et des interdépendances fortes qui soulèvent des enjeux majeurs.

Des rivalités naissantes

Cette recomposition des puissances technologiques explique donc les rivalités naissantes dans le cyberespace. La Chine se pose en challenger des États-Unis pour la maîtrise du cyberespace. Aujourd’hui, il est de plus en plus difficile d’introduire des normes internationales au cyberespace (aujourd’hui, nul traité contraignant n’est capable de le régir), car à y regarder de plus près, il existe un fossé conceptuel séparant les Occidentaux (États-Unis, UE…) des Orientaux (Russie, Chine…).

On assiste en effet à la formation d’une double vision du cyberespace ou plutôt une bipolarisation du cyberespace. Elle oppose d’un côté la vision occidentale fondée sur la cybersécurité (NSA, alliance Five Eyes, réseau échelon…) et de l’autre la vision orientale qui privilégie la sécurité de l’information (et peut aller jusqu’à utiliser des moyens de censure, comme c’est le cas de la « grande muraille numérique » de Chine).

Dans un tel contexte, il convient de souligner que l’affaire Huawei de 2019, ayant opposé les États-Unis à la Chine dans une véritable guerre froide technologique, a traduit la fin de l’ère de la « global tech ». Le monde se dirigerait donc vers l’émergence de deux blocs géopolitiques distincts fondés sur des écosystèmes technologiques différents. D’un côté le bloc occidental centré sur les États-Unis, et de l’autre le bloc oriental que la Chine tente de constituer.

Une thèse pour faire la différence sur le cyberespace

La thèse de Shoshana Zuboff est fortement intéressante si tu souhaites faire la différence dans ta dissertation. Dans son ouvrage L’Âge du capitalisme de surveillance, elle démontre que les internautes sont les premières victimes de la maîtrise des NTIC et du cyberespace. En effet, les géants du Web, à l’instar de Google, Facebook ou Microsoft, ont fait du citoyen une véritable matière première, puisque ses données sont constamment utilisées pour le bénéfice même de ces compagnies. 

Voilà un article qui essaie de faire le tour de tous les enjeux géopolitiques du cyberespace. J’espère qu’il t’aura permis de mieux appréhender ce sujet assez peu abordé en prépa ECG et qu’il t’aidera à affronter la prochaine épreuve de la BCE sur le cyberespace ! N’hésite pas à approfondir la géopolitique des nouvelles technologies en t’intéressant aux enjeux de l’espace extra-atmosphérique et en particulier ceux de la course à l’espace.