Le Rhin est un fleuve d’Europe centrale et de l’Ouest long de 1233 kilomètres. Il occupe une place géographique clé au cœur du Vieux continent, au sens où il constitue la colonne vertébrale de l’Europe rhénane. En effet, cet espace est le plus dynamique d’Europe et l’un des lieux d’exercice de pouvoirs mondiaux.

Il est également au cœur d’un espace plus large, la mégalopole européenne. En ce sens, son bassin comprend la majeure partie de la Suisse et de l’Autriche, le Liechtenstein, ainsi que des régions allemandes, françaises et néerlandaises, et même une petite partie de l’Italie. Il a d’ailleurs donné son nom à la Rhénanie du Nord et à la Rhénanie-Palatinat en Allemagne, et au Haut-Rhin et au Bas-Rhin en France.

En quoi, avec à la fin des conflits en Europe, le Rhin est-il devenu un enjeu surtout économique et environnemental à l’heure actuelle ?
Nous étudierons l’histoire européenne du Rhin, puis les différentes politiques d’aménagement dont il fut l’objet. Enfin, nous verrons les défis économiques et environnementaux qu’il fait apparaître.

Le Rhin, une histoire européenne

Le fleuve est cité par les auteurs antiques comme un fossé séparant la Gaule de la Germanie. C’est donc une coupure que transgressent en premier les tribus venues de l’Est pour envahir l’Empire romain à partir du IIIe siècle av. J.-C., puis Charlemagne quelques siècles plus tard pour étendre son pouvoir jusqu’à l’Elbe. Cette époque carolingienne est celle d’une nouvelle définition du couloir rhénan qui devient un axe majeur nord-sud entre Aix-la-Chapelle et l’Italie. Dès le Moyen Âge, le chapelet de villes longeant le Rhin devient un enjeu majeur de domination : Bâle, Strasbourg, Spire, Coblence… Ces villes forment des ligues qui assurent la paix publique. La batellerie et le commerce public créent un espace commun porteur de richesse.

L’Humanisme, l’imprimerie et l’art de la Renaissance apportent une nouvelle vitalité à cette région, notamment avec Érasme qui visite Strasbourg, Fribourg et Bâle où il meurt. Paradoxalement, c’est à cette époque que le fleuve retrouve son image de frontière, avec Henri II par exemple. De même lorsque Louis XIV et Vauban définissent le fleuve comme une frontière. Cette situation persiste jusqu’à aujourd’hui.

Les guerres ont accru l’enjeu stratégique du fleuve. En effet, sa place centrale au sein de l’Europe continentale a rendu primordiale sa domination durant les différents conflits ayant opposé la France et l’Allemagne à partir du XIXe siècle et jusqu’aux deux guerres mondiales du XXe siècle. La traversée du Rhin ou opération Plunder du 22 mars au 1er avril 1945 est d’ailleurs une phase majeure de la reconquête de l’Europe par les troupes alliées. Il s’agissait de la première traversée du Rhin par une armée depuis l’époque de Napoléon Bonaparte.

Pour autant, la traversée du fleuve n’est pas interrompue ni sa navigation. En revanche, la canalisation en modifie les conditions naturelles. Les habitants doivent désormais composer avec le courant qui, modifié, isole la région bâloise.

Cette situation où le fleuve est partagé entre des puissances aux intérêts généralement divergents pousse dès 1815 les puissances européennes à s’entendre. Dans cette logique naît à cette date la Commission pour la navigation du Rhin.

L’aménagement progressif du fleuve

Le Rhin est le premier fleuve d’Europe occidentale avec un bassin de 185 000 km2. Le segment supérieur s’écoule entre Bâle et Mayence. Les objectifs d’aménagement du Rhin ont été la protection des populations contre les inondations, la protection sanitaire des populations, la fixation d’une frontière fixe, l’amélioration des conditions de navigation et d’agriculture, et la production d’hydroélectricité.

La correction en 1840 et 1876 a consisté à raccourcir et fixer le lit mineur du fleuve (espace linéaire où l’écoulement s’effectue la majeure partie du temps) entre des digues submersibles, et à délimiter un nouveau lit majeur (partie inondée uniquement en cas de crue majeure) par des digues insubmersibles espacées de un à deux kilomètres. De 1906 à 1960 a lieu la période de régularisation : on implante des épis délimitant le chenal, suffisamment profonds pour permettre la navigation dans le lit mineur. Enfin, la canalisation de 1928 à 1977 a consisté à construire dix usines hydroélectriques sur des portions canalisées du fleuve.

Les objectifs de ces aménagements ont été globalement atteints. Les riverains sont à l’abri des inondations et les conditions de navigation sont satisfaisantes. De plus, la production d’électricité atteint les 8,5 giga-watts par an : les potentialités énergétiques du fleuve sont donc largement exploitées.

Toutefois, ces travaux ont un certain nombre de conséquences néfastes : enfoncement du fond vers Neuf-Brisach, disparition du tressage du fleuve, c’est-à-dire de la multiplicité des canaux formant des connexions entre ses bras, suppression drastique des zones inondables, accélération des crues, élévation des pics de crue à l’aval du secteur canalisé. Ainsi, la protection contre certaines crues n’est plus assurée et seules les crues dont la fréquence est de 60 ans peuvent encore être contenues. Les problèmes sont donc à la fois hydrologiques, écologiques et économiques (les dommages des crues de 2004 par exemple s’élèvent à 6 milliards d’euros sur le Rhin Supérieur).

Pour supprimer ces effets pervers, un programme franco-allemand a été mis en place en 1982 afin d’écrêter les ondes de crues. L’objectif est de renforcer la sécurité des populations riveraines à l’aval du Rhin canalisé. On a assisté par exemple à la création de polders ou à l’arrêt du turbinage de certaines usines afin de faire basculer les eaux vers l’ancien lit et de créer un effet de rétention.

Le Rhin, un fleuve aux enjeux surtout économiques et environnementaux

La fin des conflits directs en Europe et la construction européenne ont fait du fleuve un enjeu économique et environnemental majeur. Le Rhin est en effet depuis le Moyen Âge un vecteur important de commerce. Actuellement, le trafic de marchandises sur son lit est le même que celui d’une autoroute chargée de camions. Le volume de marchandises transportées atteint les 300 000 tonnes par an. Le seul port de Strasbourg est responsable de 13 000 emplois directs et probablement autant d’indirects. La tendance actuelle est à la massification afin de réduire les coûts de transport.

Bien que l’allemand soit la langue de travail sur le Rhin, la logique portuaire n’est pas rhénane mais plutôt anglo-saxonne et mondialisée. Les chauffeurs routiers viennent principalement d’Europe de l’Est (Moldavie, Ukraine) tandis que les marins sont philippins et les bateliers néerlandais.

Parmi les grands acteurs privés, EDF joue un rôle capital dans le transport de marchandises en sa qualité de gestionnaire du pilotage des écluses. L’entreprise est le deuxième employeur d’Alsace avec 3000 salariés pour une centaine de métiers et environ 200 recrutements par an depuis 2010. L’économie locale, fortement tributaire des flux de marchandises transitant dans les ports, peut être sensiblement entravée par les pannes des écluses qui causent un blocage du trafic fluvial.

Sur le plan écologique, la navigation intérieure est largement gagnante sur les autres modes. Cet avantage va s’accroître avec l’introduction rapide de nouvelles technologies (suivi de bateaux, développement du transport du gaz naturel liquéfié…). Néanmoins, le Rhin comme tout cours d’eau est affecté par le changement climatique, comme en témoigne le dernier épisode de basses eaux qui a engendré lors de l’hiver 2015 une réduction des capacités de transport et fait exploser les prix à la tonne.

Conclusion

Le Rhin est donc un fleuve fondamental en Europe de par sa position géographique qui lui permet d’être un vecteur de vie et de commerce pour l’Europe rhénane. La plupart des pays que son bassin recouvre appartiennent à l’Union européenne ou sont des pays développés, ce qui a permis de l’aménager au fil du temps afin de le rendre plus efficace pour le transport de marchandises et pour la production d’électricité. Il subit comme tout fleuve l’impact du changement climatique, ce qui constitue un réel défi pour sa gestion future.