« Zapad 2021 » c’est le nom donné aux exercices militaires qui se tiendront en automne prochain conjointement avec la Russie et la Biélorussie, des manœuvres qui suscitent toujours autant d’anxiété du côté des pays baltes. La Russie leur est à la fois proche géographiquement et lointaine dans leurs esprits, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie doivent composer avec la question épineuse de l’identité. Enjeu qui a pris une nouvelle forme avec l’intégration de ces pays à l’Union européenne et l’OTAN. Comment alors définir leurs rapports avec la Russie ? Avec l’Union européenne ? Nous tenterons à travers cet article d’éclairer les lignes directrices de la géopolitique de ces pays.

Genèse et histoire des pays baltes

Comment ces pays se sont-ils formés ?

Ces pays sont le fruit d’une histoire mouvementée et complexe qui explique notamment leur rapport à la Russie. L’année 2018 marque ainsi le centenaire de la naissance des trois républiques baltes. Ces pays, auparavant sous le joug de la Russie tsariste vont profiter de la révolution russe pour déclarer leurs indépendances et se constituer comme nation durant l’entre-deux-guerres. Selon Julien Gueslin, le but était de créer un sentiment national à travers « une réalité civilisationnelle ». Réalité qui va rapidement se traduire en illusion. Le pacte germano-soviétique entérine tout espoir d’indépendance et voit l’URSS envahir ces pays. Après être occupé par l’Allemagne nazi jusqu’en 1944, ils sont à nouveau annexés par le bloc de l’Est pour devenir des républiques soviétiques. Ce n’est qu’en 1991 qu’ils seront libérés du fardeau de l’occupation.

Parler « des pays baltes » est donc paradoxal puisque c’est un concept récent. En effet, il n’existe pas (ou de manière marginale) de sentiment d’unification balte à proprement parler.

Le problème de la langue

La langue constitue une question centrale pour ces pays. De fait, les minorités russophones ont gardé une place de taille dans la zone baltique. Celles-ci qui représentent respectivement 27% de la population en Lettonie, 25% en Estonie et 7% en Lituanie, restent mal perçues par une partie de la population. Sous la domination soviétique, l’envoi de Russes dans ces régions permettait de répondre à une double logique, d’abord stratégique (afin de mieux contrôler ces territoires) et de domination. À titre d’exemple, en 2006, le démantèlement d’une statue de bronze (à Tallin en Estonie) commémorant les victimes soviétiques a été à l’origine de tensions notamment dans ces minorités russophones. Loin d’en faire une généralité, cet exemple montre toutefois la persistance d’un sentiment de méfiance à l’égard de la Russie dans la mémoire collective de ces pays. Selon Marek Tamm, en Estonie, « la question linguistique est souvent à l’origine de problèmes sociaux ». De fait, en 2012 le référendum en Lettonie dont l’objectif était de statuer le russe comme une langue officielle a suscité de vifs débats.

La méfiance russe : matrice géopolitique de ces États

Des pièces maîtresses dans la stratégie de l’OTAN ?

Il y a de quoi avoir peur. La guerre de Géorgie en 2008 puis l’invasion de la Crimée en 2014 n’a que fait renforcer la crainte qu’ont développé les pays baltes à l’égard du voisin russe. Leur adhésion à l’OTAN en 2004 s’inscrivait déjà dans cette pensée. L’objectif étant pour les États-Unis de disposer d’un avant-poste face aux possibles politiques agressives russes. En outre, cela donne à l’Alliance un champ de vision sur la mer baltique, passage de transit du gaz russe (Nordstream) et zone d’influence russe (enclave de Kaliningrad).

Ce goût pour un atlantisme prononcé s’exprime par la présence de troupes de l’OTAN dans la région. Présence qui s’est accentuée au fil des années avec la création de l’EFP (Enhanced Forward Presence) décidé à la suite du sommet de Varsovie en 2016. 4500 soldats sont ainsi déployés sur cette zone pour protéger les frontières de l’Alliance atlantique. Ainsi, la France au travers de la mission Lynx envoie des contingents militaires français qui stationnent dans les pays baltes.

De la même manière, la mission « Baltic air policing » (de l’OTAN) a pour objectif d’assurer la police du ciel dans l’espace aérien balte. Une sécurité qui est perçue comme insuffisante par ces pays qui souhaiteraient davantage de moyens consacrés à cette défense. Il faut aussi souligner que ces pays ne disposent pas d’une propre architecture de défense (en raison d’une faible démographie et de la conjoncture historique). L’OTAN apparaît donc comme une alternative au maintien de leur sécurité stratégique.

Relations avec la Russie

Après la chute de l’URSS, les États baltes ont cultivé une vision particulière de leur voisinage oriental. La Russie en tant qu’héritière de l’URSS et de la Russie tsariste demeure une puissance menaçante dont il faut à tout prix s’éloigner. Selon Andres Kasekamp « l’approche estonienne de l’Union européenne est basée sur les leçons de l’histoire et sur la première période d’indépendance avant la Seconde Guerre mondiale qui vit le pays annexé par l’Union soviétique en dépit de la politique de neutralité ». La double adhésion à l’Union européenne et l’OTAN vient conforter cette idée.

Cependant, d’un point de vue économique, les pays baltes restent dépendants de la Russie. En effet, en 2019 la Lituanie était le 1er partenaire commercial de la Lituanie, le 3ème de l’Estonie et de la Lettonie. Même si un conflit direct paraît démesuré, la Russie utilise des moyens hybrides (cyberattaques fréquentes, désinformations, stratégies d’influence) pour déstabiliser ses voisins baltes.

Quel bilan économique ?

Dans ce bilan, le premier paramètre à prendre en compte est l’intégration à l’UE. En effet, ce processus a été dans un premier temps un accélérateur de croissance. L’Estonie affiche en 2005 un taux de croissance de 10,5% en jouant sur l’exportation de nouvelles technologies ce qui lui valait l’appellation du « tigre de la baltique ». C’est ainsi que l’« e-stonie » (Toomas Hendrik Ilves) a vu naître plusieurs entreprises majeurs comme Skype ou Taxify.

Cependant, certains déséquilibres économiques viennent remettre en question ce bilan. La région a été particulièrement touchée par la crise de 2008. Avec une récession frôlant les 15% en 2009, et un taux de chômage qui explose (20%), la Lettonie sort de la crise avec des difficultés économiques plurielles.

À ajouter à cela, des inégalités persistantes au sein de la société lettone avec un coefficient de Gini qui se dégrade d’année en année. Si la situation a eu tendance à s’améliorer, la crise du Covid-19 n’a pas épargné la région baltique. Les taux de croissance ont en effet à nouveau chutés. Par ailleurs, l’éloignement géographique avec le cœur européen semble se conjuguer avec une distance en termes d’initiatives. Leur poids démographique et économique au sein de l’Europe reste assez faible.

Conclusion

Penser cette région sans son histoire semble impossible, tant la question de l’identité demeure un enjeu crucial pour ces nations. Leur histoire, si elle varie selon ces trois pays, définit en grande partie leur vision vis-à-vis de la Russie. La coopération régionale, aujourd’hui restreinte semble être le défi majeur pour arriver à arrimer ces pays au navire européen, une stratégie inaugurée par la création en 1992 du Conseil des Etats de la mer baltique (B7).