“Je suis venu vous le dire : l’Europe est de retour !”, écrivait en janvier 2018 Emmanuel Macron sur Twitter. Quatre mois plus tard, la BCE demandait aux candidats à l’ESSEC de composer sur le sujet suivant : “La construction européenne confrontée à la question de la nation (1951-2018)”, dont tu peux retrouver une analyse ici. Si ce n’est pas déjà fait, tu peux également consulter notre synthèse sur l’actualité estivale en Europe.

Tu le vois : l’Europe plaît aux correcteurs de la BCE et peut se décliner dans une large gamme de thématiques très transversales. On s’intéresse aujourd’hui à la question énergétique et à la géopolitique des tubes !

Des situations énergétiques contrastées

Quelques rappels généraux

Afin de comprendre les logiques qui président à la construction de gazoducs et d’oléoducs en Europe, il faut avoir les idées claires sur la situation énergétique du Vieux Continent.

Historiquement, la question énergétique est, depuis 1850, une pierre angulaire des relations géopolitiques entre nations européennes. Si les bassins houillers d’Alsace-Moselle, âprement disputés par la France et l’Allemagne, en sont l’exemple le plus criant, l’heure est aujourd’hui à la coopération. C’est dans cette optique que fut signé à Rome le traité Euratom en 1957,  en même temps que le traité fondateur de la CEE.

Avant de nous lancer dans les typologies pertinentes, rappelons quelques chiffres :

  • L’Europe, c’est 13 % de la consommation énergétique mondiale, pour environ 10 % de la population et 7 % de la production. Il s’agit du troisième consommateur énergétique après la Chine et les États-Unis.
  • Une fois déduites les faibles exportations, l’Europe importe 54 % de son énergie : 40 % de son charbon, 60 % de son gaz et plus de 80 % de son pétrole !
  • La répartition de cette consommation énergétique par secteur : 42 % pour le bâtiment, 32 % pour les transports, 24 % pour l’industrie et 2 % pour l’agriculture.

Les typologies pertinentes

Une fois ces données assimilées, il faut garder en tête quelques typologies pertinentes quant aux ressources énergétiques du continent européen.

Une dépendance énergétique inégale : Si l’Europe demeure un nain énergétique, tous les pays ne se trouvent pas dans la même précarité. On peut classer les pays en trois groupes : les pays très dépendants (> 60 % sur la carte ci-dessous), les pays dépendants (entre 40 % et 60 %) et les pays faiblement dépendants (< 40 %, auxquels on ajoute la Norvège).

Des mix énergétiques différenciés : après l’approche quantitative et la question de la dépendance, l’approche qualitative et l’approvisionnement. Là encore, on peut définir plusieurs groupes suivant leur ressource énergétique de prédilection. D’abord, les partisans des énergies carbonées (charbon, lignite…) : Allemagne, Pologne, dans une moindre mesure la République tchèque. Ensuite, les partisans des énergies renouvelables (éolienne, hydraulique, solaire…) : Portugal, Autriche, Danemark, Suède, Finlande, Estonie, Lettonie mais également Croatie. Finalement, les pays adeptes du nucléaire, de moins en moins nombreux : France, Belgique, Slovaquie, Ukraine. À noter également que l’Europe compte quelques grands producteurs d’hydrocarbures : la Russie largement en tête, le Royaume-Uni et la Norvège.

Des sources d’approvisionnement variables : compte tenu de leurs faibles ressources, les pays européens sont extrêmement dépendants de l’extérieur. Les partenaires privilégiés restent la Russie (40 % des importations de gaz de l’Union européenne) et le Moyen-Orient (45 % des importations). Cependant, l’histoire joue également son rôle et explique certaines variations nationales. À ce titre, Pologne et Ukraine cherchent à réduire leur dépendance gazière vis-à-vis de la Russie, l’une par le charbon et l’autre par le nucléaire.

Un élément clé des relations entre l’Union européenne et la Russie

Tu t’en doutes, géopolitique des tubes et relations UE-Russie sont inextricablement liées. À noter d’abord que la dépendance est réciproque : si l’UE dépend de la Russie pour son approvisionnement énergétique, la Russie a besoin de l’UE pour assurer ses recettes d’exportation. En effet, les 27 représentent environ 50 % des exportations russes. La question énergétique est donc l’occasion de collaborations ambitieuses entre les deux espaces.

Dans un second temps, à quoi fait-on référence lorsqu’on parle de “tubes” ? On traitera ici la question des gazoducs, qui véhiculent du gaz naturel, et celle des oléoducs qui conduisent du pétrole.

Des exemples de coopération UE-Russie

Dans cette catégorie, les exemples ne manquent pas tant les échanges gaziers entre l’UE et la Russie sont nombreux. L’exemple le plus célèbre demeure aujourd’hui le gazoduc Nord Stream qui relie la Russie à l’Allemagne par la Baltique. Lancé en 2005 par Gazprom, il permet à la Russie de contourner deux obstacles gênants : la Pologne et l’Ukraine. D’abord la Pologne parce que celle-ci lui est ouvertement hostile et bloque toute exportation vers l’Allemagne. Ensuite l’Ukraine parce qu’elle apparaît comme un nœud énergétique par lequel transite 80 % du trafic gazier vers l’UE.

Un nouveau projet est aujourd’hui à l’étude : le gazoduc Nord Stream 2 qui viendrait dédoubler son prédécesseur premier du nom. Lancé en 2012 par Gazprom, le projet est soutenu par cinq groupes gaziers européens (Shell, Engie, les Allemands Uniper et Wintershall et l’Autrichien OMW). Il se heurte successivement aux réticences des ex-PECO (Pologne en tête), puis des États-Unis qui voient leurs intérêts commerciaux vers l’Europe menacés. Aujourd’hui presque terminé, Nord Stream 2 fait toujours l’objet de négociations très tendues entre Berlin et Moscou d’une part, Washington et la Commission européenne d’autre part.

En ce qui concerne la Méditerranée, le gazoduc Blue Stream permet l’approvisionnement de l’Europe du Sud via la mer Noire, puis la Turquie. Lancé en 2003, il apparaît comme une pièce maîtresse du Grand Jeu énergétique russe en Europe.

Un secteur très sensible à l’évolution des relations géopolitiques

On l’a vu, le déploiement des gazoducs et des oléoducs russes porte à la fois le poids de l’histoire et celui de la géographie des ressources. Son fonctionnement est également le reflet des relations internationales qui lient les États européens. Le secteur est donc particulièrement sensible aux tensions géopolitiques qui peuvent survenir.

La dégradation des relations russo-ukrainiennes depuis le début des années 2000 est à cet égard exemplaire. En 2005, la Russie accuse l’Ukraine de voler une partie du gaz à destination de l’Europe et aligne le prix du gaz ukrainien sur le prix payé en Europe. Cette décision correspond à une multiplication par cinq du prix du baril, à laquelle l’Ukraine accède après que la Russie lui a coupé son approvisionnement. De 2007 à 2009, les tensions deviennent récurrentes quant au prix à payer et les gazoducs sont épisodiquement suspendus. Si l’Ukraine bénéficie finalement d’une réduction de 20 %, cet épisode affecte également les pays d’Europe de l’Ouest dépendant du nœud gazier ukrainien. À partir de 2013, les conflits gaziers reprennent suite au rapprochement amorcé entre l’Ukraine et l’UE. La crise de Crimée en 2014 achève de dégrader les rapports diplomatiques entre les deux États.

Des solutions qui contournent la question russe

Le TAP (Trans Adriatic Pipeline)

Projet lancé en 2013, cet oléoduc fait le lien entre la mer Caspienne et l’Europe en contournant les Balkans. Véritable alternative au gaz russe, cet oléoduc doit partir de Bakou en Azerbaïdjan. Il passe ensuite par la Turquie, la Grèce et finalement l’Italie. Il s’agit d’un projet novateur, le premier à être entièrement indépendant de la Russie et de l’Ukraine.

Le BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan)

À cheval sur l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie, cet oléoduc permet l’approvisionnement en pétrole de l’Europe du Sud. Lancé en 2006, il est aujourd’hui opérationnel et contourne les nœuds russe et ukrainien. Avec l’oléoduc Nabucco, le BTC constituait le principal rival du projet russe de South Stream. Si le projet Nabucco a été abandonné, c’est également le cas du South Stream auquel la Commission européenne a préféré le BTC et le TAP. Il s’agit donc d’un exemple intéressant permettant de nuancer la toute-puissance russe sur le marché européen des hydrocarbures.

On espère donc que cette fiche sur la géopolitique des tubes en Europe te sera utile pour tes concours ! L’énergie est un enjeu crucial, et il est probable qu’elle fasse l’objet de multiples sujets de concours dans les années à venir. Et si tu ne te sens toujours pas à l’aise sur cette thématique, je ne peux que t’inviter à consulter notre lexique sur l’énergie !