GUERRE

Ne cherchez à obtenir que ce qui est possible, compte tenu des véritables intentions de chacun. Vous savez aussi bien que nous que, dans le monde des hommes, les arguments de droit n’ont de poids que dans la mesure où les adversaires en présence disposent de moyens de contrainte équivalents et que, si tel n’est pas le cas, les plus forts tirent tout le parti possible de leur puissance, tandis que les plus faibles n’ont qu’à s’incliner.

                Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, V, 89. Discours des Athéniens.

La guerre est d’une importance vitale pour l’Etat. C’est le domaine de la vie et de la mort : la conservation ou la perte de l’empire en dépendent ; il est impérieux de le bien régler. Ne pas faire de sérieuses réflexions sur ce qui le concerne, c’est faire preuve d’une coupable indifférence pour la conservation ou pour la perte de ce qu’on a de plus cher, et c’est ce qu’on ne doit pas trouver parmi nous.

                Sun Tzu, L’art de la guerre.

Définitions :

Les rivalités de pouvoir sur des territoires entre des acteurs étatiques ou non  peuvent revêtir des formes et une intensité très variées. Il conviendra donc d’être particulièrement vigilant sur le vocabulaire utilisé. Tous les conflits ne sont pas des guerres, toutes les guerres ne mobilisent pas des armées conventionnelles et l’opinion internationale.

Guerre : si, au sens figuré, la guerre est toute espèce de combat, de lutte, il conviendra d’en retenir un sens plus restreint en géopolitique. La guerre est une lutte opposant des forces armées, dans le cadre d’un conflit situé dans l’espace et le temps.

Conflit : le terme est plus large. Il renvoie à des rapports de force et/ou de concurrence entre des acteurs. Il y a toute une échelle de la conflictualité des simples litiges -on pourra alors parler de tensions  qui renvoient à des discordes, une situation tendue, un désaccord –  à des conflits d’abord latents, sous la forme de revendications, puis manifestes avec des oppositions qui peuvent être diplomatiques et enfin armées. Le terme de conflits est ainsi à réserver à de vigoureuses oppositions, un choc, entre acteurs (origine étymologique du terme : le latin conflictus, choc).

La distinction entre conflit de haute intensité  et de basse intensité donne lieu à plusieurs interprétations.

Lorsqu’il s’agit de guerre civile, la distinction porte sur l’atteinte plus ou moins vitale à la souveraineté de l’Etat en place. Dans les conflits internationaux, on aura tendance à parler de conflits de haute intensité lorsqu’ils risquent d’entraîner une déstabilisation régionale et l’intervention de puissances militaires de premier rang, les conflits de basse intensité étant alors des conflits régionaux, à la portée limitée.

Enfin une guerre en soi comporte des phases de haute intensité et d’autres de basse intensité en fonction de la violence des combats.

Cyber guerre : conflit ayant pour territoire les réseaux informatiques mondiaux. Les soldats de cette guerre sont des experts informatiques (hackers) , leur arme la plus connue le virus informatique.  L’Estonie en 2007 a subi une attaque qui réduisit l’accessibilité de très nombreux sites web et paralysa momentanément l’activité économique du pays. Le virus le plus connu fut le virus Stuxnet injecté à la fin des années 2000 dans les systèmes de contrôle des centrifugeuses du site nucléaire de Natanz en Iran afin de ralentir le programme nucléaire iranien.

Cybersécurité : recherche d’un état dans lequel sont garanties, par des moyens notamment techniques la confidentialité, l’intégrité et l’accessibilité des données informatiques.

 

 Guérilla : opérations militaires menées par des forces irrégulières le plus souvent, contre des armées régulières et visant à compenser l’infériorité militaire par la concentration des forces dans un temps et un espace donné, en s’appuyant notamment sur le soutien réel ou supposé de la population civile et sur la connaissance du territoire des opérations.

 

Conflit ou guerre  asymétrique : conflit opposant deux adversaires différents par leurs moyens et leurs méthodes de combat, en général une armée régulière c’est-à-dire étatique, et des groupes armés divers.  La plupart des armées occidentales sont confrontées à ce type de conflit. La détermination et la volonté politique des groupes armés font que si la nation dominante n’est pas vaincue, elle peut néanmoins ne jamais gagner.

La guerre couverte : lorsque le conflit utilise des moyens militaires, économiques et psychologiques sous le seuil de l’intervention déclarée.

Armes de destruction massive (AMD) : traduction de l’expression américaine Weapons of Mass Destruction. On limitera cette expression à l’utilisation d’armes non conventionnelles, les plus inquiétantes, à savoir les armes nucléaires, radiologiques, bactériologiques  et chimiques.

Guerre civile :  lutte opposant des forces armées issues d’un même Etat.

Guerre économique : Conflit entre des acteurs ( entreprises, territoires, Etats) pour conquérir les marchés et les ressources indispensables à l’économie. Attention à ne pas galvauder le terme, on ne parle de guerre  économique que si des pratiques déloyales et illégales ont lieu, si des mesures de rétorsion unilatérales sont décidées. Toute compétition n’est pas guerre.

Guerre totale : guerre mobilisant la totalité des forces vives du pays : population, capitaux, entreprises, capacité de recherche, médias…  pour abattre l’adversaire. Les deux guerres mondiales en sont les archétypes. Clémenceau n’annonçait pas autre chose dans son discours de mars 1918 : « Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c’est tout un. Politique intérieure ? Je fais la guerre. Politique étrangère ? Je fais la guerre. Je fais toujours la guerre. »

Guerre des Étoiles : Surnom donné à l’Initiative de Défense stratégique lancée par le président Reagan en 1983 qui annonce le développement d’un couverture antimissile complète . Si ce projet se réalisait, les États-Unis en se protégeant des missiles balistiques soviétiques obtiendraient un avantage décisif.

Terrorisme : emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique ; l’objectif recherché, au delà de dommages purement physiques, est un effet d’intimidation psychologique en semant l’effroi, la terreur.

Enjeux :

Le développement de la mondialisation, concomitant à la fin de la guerre froide, est-il porteur de paix ?

La mondialisation conduirait à des interdépendances porteuses de paix, la guerre économique, pour le contrôle de marchés aurait remplacé les luttes idéologiques ou territoriales. La phrase de Montesquieu qui affirmait « Partout où il y a du commerce, il y a des moeurs douces » (L’esprit des Lois)  a-t-elle du sens aujourd’hui ?  La globalisation a des vertus pacificatrices : les Etats devraient avoir plus à perdre qu’à gagner à des logiques de conflits alors que leur économie, leur développement, leurs populations dépendent d’un marché mondial ouvert.  Mais cette espérance bute sur les faits. L’après guerre froide rime avec conflits : guerre du Golfe au Koweit, conflits dans les Balkans, au Congo, en Afghanistan, en Irak, en Crimée, au Soudan etc.  Il n’est pas difficile de trouver que la mondialisation est aussi facteur de conflits : elle aiguise les appétits et les convoitises  en permettant à tous d’être les spectateurs des modes de vie les plus aisés ; elle favorise la dissémination des armes, la circulation de l’information, les réseaux mafieux ; elle conduit à des réflexes identitaires. Cette réinvention des différences à l’heure de la mondialisation passe par de pacifiques revendications, mais peut aussi conduire à l’expression d’un anti-occidentalisme virulent et armé.

 

Les transformations de l’art de la guerre aboutissent-elles à concentrer les capacités militaires sur peu d’États ?

Les progrès technologiques conduisent  à un phénomène d’inflation militaire. Si la nature des dangers ne permet pas de se passer des capacités classiques, la puissance impose de maintenir une avance technologique. C’est par exemple le défi de la France qui cherche à conserver un outil militaire performant : cyber sécurité, forces spéciales, connaissance et anticipation, drones sont définis comme prioritaires, tout en préservant un outil militaire conventionnel crédible et en modernisant ses forces militaires. Maîtriser la bataille du futur  implique des moyens formidables et déconcentrés de collecte de l’information (SEE), une centralisation poussée,  structurelle, une fusion des données collectées pour définir une stratégie (SHAPE) puis des moyens d’action (SHOOT). Peu d’Etats en sont capables et les capacités militaires demeureront concentrées sur un petit groupe d’Etats. Par contre, cette puissance peut être mise en déroute par une action terroriste ; face à la violence et à la détermination du faible, cette puissance peut être décalée, inefficace, impuissante.  Les rapports de force sont complexes et les conflits de plus en plus asymétriques.

 

Le nucléaire est il une arme de paix ?

Au cours de la guerre froide, elle est une arme de dissuasion, elle favorise la puissance défensive de certains Etats peu nombreux, qui se trouvent sanctuarisés de fait . Elle encourage du coup ces Etats à reporter leurs actions sur des conflits périphériques qui testent leur validité militaire. Au milieu des années 1980, il y avait plus de 60 000 têtes nucléaires déployées. Elle est une arme de paix en ce sens qu’elle empêche un conflit direct entre les deux Grands.

A la fin de la guerre froide, les arsenaux nucléaires apparaissent comme les reliquats d’une époque révolue. Leur rôle étant d’empêcher la guerre totale entre deux idéologies adverses. De fait les arsenaux nucléaires diminuent, une décélération qui était anticipée par les accords signés dans les années 1970 (SALT 72) qui avaient plafonné les arsenaux. Ce désarmement débute avec le traité de Washington en 1987, puis les accords START en 91, 93, 97… New Start en 2010. Aujourd’hui il y a moins d’armes nucléaires que par le passé. Il y a 15700 armes nucléaires estimées dans le monde en 2015, environ 10 000 déployées et 5000 en attente de démantèlement. 4100 sont directement opérationnelles.

Le nucléaire est il pour autant une arme strictement défensive ?   Elle s’intègre dans une stratégie militaire plus globale désormais. Elle est un formidable outil de statu quo politique. Mais le fait de sanctuariser ainsi son territoire national permet d’accroître la liberté d’action extérieure des puissances expéditionnaires. Enfin l’arme nucléaire est devenue une arme de contestation de l’ordre établi, dans la redistribution en cours de la puissance. ( cf l’étude de ce thème dans un prochain concept)

Repères :

 Source SIPRI

La puissance militaire se mesure classiquement aux chiffres des dépenses militaires. Le SIPRI en publie un recensement annuel. Ces chiffres ne disent pas tout.

 La hiérarchie des puissances militaires est instable. Les grandes évolutions -montée en puissance des armées des pays émergents, maintien du potentiel américain, déclin du hard power européen-, permettent de parler de nouvelles puissances militaires révisionnistes. La Chine, la Russie, voire la Turquie contestent à l’Occident sa domination militaire. Les trois premières puissances sont les Etats-Unis, la Chine et la Russie avec respectivement en 2013 : 640, 188 et 87 milliards de dollars de dépenses militaires.

Il n’y a pas de puissance militaire sans volonté politique. Une volonté politique à toute épreuve peut compenser une infériorité militaire manifeste, à l’image des talibans afghans.  Des puissances militaires «  révolutionnaires » n’apparaissent pas dans ces classements :  Daech, le Hamas, le Hezbollah, Boko Haram…

Les pays occidentaux se trouvent donc dans une situation d’infériorité dans la mesure où leurs adversaires actuels et potentiels doutent de leur volonté et – quand elle existe- de leur capacité politique à soutenir un engagement dans la durée.

 

Les dépenses militaires mondiales en 2014 et en milliards de dollars.

Afrique 50 ; Amériques 705 ; Asie et Océanie : 439 ; Europe 386 ; Moyen-Orient : 196.

L’accroissement des dépenses militaires. Évolution moyenne des dépenses entre 2001-2013 :

Moyenne mondiale + 49 %

Chine  + 277 % ; Russie + 152 % ; Arabie +114 % ;, Afrique +114 %

Asie Orientale + 99 % ; Inde +72 % ;  Moyen-Orient + 59 % ; États-Unis + 56 % ( mais en baisse régulière depuis 2011)

Europe occidentale :  -3 %

 

Quelques références:

Bruno Tertrais, La guerre,  Que sais-je ? PUF, 2010.

Stephan Rosière, Géographie des conflits armés et des violences politiques, Ellipses, 2011.

Collectif. L’art de la guerre, De Sun Tzu à de Gaulle. Librio, 2014 ( recueil d’extraits de Sun Tzu à Liddell Hart en passant par Machiavel, Napoléon, Clausewitz ou De Gaulle ).

Questions Internationales, N°73/74. La puissance militaire. 2015.