« Le déplacement majestueux de l’iceberg est dû au fait qu’un neuvième seulement se laisse voir à la surface de l’eau. ». Ernest Hemingway ne pouvait pas avoir des mots plus justes. L’Arctique est la région entourant le pôle Nord de la terre. Fragilisé par le réchauffement climatique, il est devenu le théâtre de rivalités autour de l’exploitation potentielle de ses richesses naturelles encore piégées sous la glace. Toutefois ces richesses naturelles sont menacées par la pollution nucléaire dans la zone.  Il s’agit alors d’en identifier les origines et les conséquences.

La guerre froide, un tournant dans l’activité nucléaire de la région

Du côté du bloc occidental, le Camp Century
Le Camp Century dissimulé depuis six décennies sous les glaces de l’Arctique serait en train d’émerger et devrait faire surface aux alentours des années 2090 avec des conséquences environnementales dévastatrices.

Il est le produit du projet « Iceworm » (ver de glace), projet de l’US Army secret datant de la guerre froide. Il prévoyait de forer la calotte glacière du Groenland pour mettre le territoire soviétique à portée des missiles américains (officieusement ce sont 4000 kilomètres de galeries capables de stocker 600 missiles qui devaient être creusées).  Ce projet étant inconnu de tous, même de l’allié Danois à l’époque souverain sur la zone, aucune mesure n’a été prise. Ce d’autant plus qu’il avait été abandonné dès 1967. En effet des travaux avaient été lancés –officiellement pour établir des laboratoires de recherche- mais alors qu’une église, un cinéma, une sorte de petit village avait été organisés, alimentés par un petit réacteur nucléaire mobile, la glace semble moins stable que prévu. Le réacteur est extrait, pas les déchets qui demeurent piégés sous la glace… jusqu’à quand ?

Du côté soviétique, la Russie et l’armement nucléaire
Depuis le début de la guerre froide, la Russie n’a cessé de développer son activité nucléaire (à la fois civile et militaire).  Les autorités mondiales ont fermé les yeux sur cette activité particulièrement intense et à risque dans la partie du Nord-Ouest de la Russie, alors même que la Russie déverse ses déchets dans la péninsule de Kola et dans la mer de Kara. Encore récemment, la Russie a construit des sous-marins nucléaires et des brise-glaces dans la zone. La prolifération de tels engins avait été encouragée par les politiques de désarmement et la guerre froide. À elle seule, la course à l’armement de l’époque de la guerre froide avait engendré 91 essais nucléaires dans la zone.  Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 200 navires nucléaires qui sont abandonnés dans la péninsule de Kola et qui n’ont pas été démantelés. Et la mer de Kara contient environ deux tiers des déchets radioactifs enfouis dans le monde ! Aujourd’hui la Russie, malgré les risques évidents, continue de développer cette activité et son armée devrait moderniser progressivement vingt sous-marins nucléaires, dont cinq sont à Mourmansk, le plus grand port dédié à cette activité.

Des conséquences néfastes tant au niveau géopolitique que sanitaire et environnemental

Des tensions diplomatiques et géopolitiques d’un genre nouveau
Les enjeux autour du nucléaire dans l’Arctique ont engendré des tensions diplomatiques d’un genre nouveau.  Par exemple qui, dans le cas de Camp Century, paiera le prix ? Certes les Etats-Unis  reconnaissent « la réalité du changement climatique et les risques qu’il pose » dans cette affaire et vont continuer à  examiner le dossier en étroite collaboration avec Copenhague et les autorités du Groenland. Mais le prix de la récupération de ces tonnes de déchets sous plus d’une trentaine de mètres de glace demeure exorbitant. Les Etats-Unis se montrent concernés par le sujet  et ils ont signé en 1951 un accord avec le Danemark. Néanmoins, cet accord ne fait pas mention de missiles et de facto, aucune règle internationale n’oblige les deux pays à dépolluer l’ancienne base militaire. En ce qui concerne l’activité Russe, une faune et flore exceptionnelles à disposition des scientifiques du monde entier sont mises en danger et comme ce fut le cas après la catastrophe de Tchernobyl, les vents dans la région contribuent à propager des particules radioactives regroupées en nuages dans les régions alentours.  Et comme les nuages ne s’arrêtent  ni en bordure des villes fortement peuplées, ni aux frontières finlandaises et norvégiennes, mettant en danger notamment la population Sami, des tensions émergent.

De graves conséquences pour la santé et l’environnement

Dès les années 1950 les autorités ont conscience  des dangers que représente une telle activité. En 1955 toute la population  de Novaya Zemlya est déplacée afin de ne pas être affectée par les tests nucléaires soviétiques ! Pourtant, l’usage sans précaution des déchets nucléaires dans le Nord-Ouest de la Russie a eu des conséquences désastreuses en matière de santé publique, ce d’autant plus que cette zone industrielle à fort besoin de main d’œuvre est plus densément peuplée que ses alentours. Entre 1978 et 1991, le nombre de cancers a été multiplié par vingt dans la région et l’effectif des personnes souffrant de maladies orphelines ne cesse de croître. Cette situation est rendue encore plus tragique par l’absence d’un véritable système étatique de santé russe.

Des prescriptions peu respectées

La tentative de prise de mesures


Aujourd’hui c’est justement à cause de tels risques que de plus en plus de mesures sont prévues. L’ONU, organisme mondial théoriquement le plus puissant, se montre de plus en plus concerné et directif dans ce dossier. Dans les années à venir, la route de l’Arctique est en effet amenée à devenir une route maritime majeure  et il ne faudrait pas que le commerce soit compromis  par la présence de déchets dangereux pour la santé des marins  et les bateaux eux-mêmes. Comme le prouve la Convention de Londres de 1975, les mesures prises ne sont pas toujours un gage de changement. La Russie avait signé cette convention interdisant le déversement de tout déchet dans l’océan, ce qui ne l’a pas empêché de continuer à polluer fortement la zone, dans la mesure où rien n’avait été clairement défini à propos de la pollution des côtes ou provoquée par l’extraction.

Des mesures parfois non solvables et qui se soldent par des échecs
L’ONU avait par exemple incité la Russie à vendre ses excès en matière de production d’électricité issue du nucléaire à l’U.E. –qui s’était aussi engagée à aider techniquement et financièrement la Russie- dans une démarche environnementale et renouvelable. Ceci a été compromis par la crise ukrainienne qui a altéré les tensions avec l’U.E.. Cette crise a aussi eu pour conséquence de décourager les voisins à contribuer financièrement à la décontamination très coûteuse de la zone car difficile d’accès. Ce sont notamment les espoirs d’une collaboration particulièrement étroite avec la Norvège, et qui aurait dû engendrer des relations au sens large, plus amicales qui ont été remis en question.   On notera que la tentative russe de suivre les conseils internationaux et développer les énergies renouvelables (vent, énergie géothermale et hydraulique) est un échec. De telles énergies ne représentent que 1% de la production d’électricité russe si bien que les énergies fossiles et nucléaires constituent de loin la principale source d’électricité dans le pays.

On retiendra ainsi que :
• L’Arctique renferme des déchets radioactifs très néfastes pour la santé et l’environnement qui refont surface peu à peu avec le changement climatique, ce qui engendre des tensions diplomatiques et des coûts importants.
• Peu à peu les autorités internationales cessent de fermer les yeux sur ce dossier et tentent de prendre des mesures.
• Mais ces mesures sont souvent inefficaces car contournées ou compromises par des questions géopolitiques et financières.