À chaque tir de missile balistique de l’armée nord-coréenne, les médias du régime communiste, comme l’agence KCNA, s’empressent de diffuser les images et de présenter cet évènement comme une avancée majeure du programme nucléaire. Ces médias sont un élément central de la stratégie nord-coréenne, à la fois vis-à-vis de la population du pays et du reste du monde.

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Les médias nord-coréens relaient activement la mise en scène de leur leader

Cet exemple, certes extrême, montre que les médias peuvent être utilisés comme leviers d’influence par les États. Les groupes de presse, de télévision ou de radio sont des relais d’information qui permettent de mettre en avant certaines actions et opinions. Contrôler les médias permet d’empêcher la diffusion de faits dérangeants et d’analyses contraires à la vision et à l’idéologie promues par l’État. Pourtant, certains États préfèrent ne pas exercer ce contrôle : est-ce un sacrifice au nom des valeurs ou une autre manière de mettre à profit la manne médiatique ? Ainsi, une question se pose : comment les États utilisent-ils les médias dans leurs stratégies d’influence ?

I – Le contrôle étatique de l’information

La démarche la plus évidente pour utiliser les potentialités des médias est sans doute d’instaurer un contrôle étroit de l’information. Pour cela, les gouvernements placent des proches du pouvoir à la tête des groupes de médias, exercent des pressions sur les chaînes ou journaux réfractaires et condamnent, voire éliminent, les journalistes.

En Russie, l’agence Roskomnadzor fait office de gendarme de l’information et ferme les sites qui critiquent trop ouvertement le gouvernement, comme celui d’Alexeï Navalny, principal opposant politique de Vladimir Poutine.

Parallèlement à cette censure, l’État promeut ses propres médias, comme le groupe CCTV (China central television). Celui-ci est le premier en termes de téléspectateurs et le principal diffuseur d’actualités, de téléfilms et de documentaires dans le pays.

Mais cette stratégie rencontre des limites évidentes. D’abord, le manque d’objectivité et le conservatisme de tels médias peuvent lasser le public et susciter un désintérêt pour les séquences d’information. La censure et la répression peuvent aussi faire naître des contestations et paradoxalement renforcer le soutien aux opposants politiques. Enfin, les médias qui défendent un discours officiel peinent à se développer à l’étranger, car ils se fondent moins aisément dans un autre contexte culturel et politique.

II – L’autonomie des médias

Compte tenu de ces limites, d’autres pays, principalement occidentaux, ont choisi de laisser une plus grande autonomie à leurs médias. Ce n’est pas seulement un choix idéologique, mais aussi une stratégie payante. En favorisant (parfois directement par le biais de subventions publiques) le développement de médias libres, ils favorisent le débat et la recherche de solutions. Des journalistes étrangers rejoignent souvent ces pays pour bénéficier d’une autonomie qu’ils ne trouvent pas chez eux. À titre d’exemple, la chaîne qatarie Al Jazeera attire des journalistes saoudiens qui refusent les tabous imposés dans leur pays. Cette chaîne relativement autonome jouit d’ailleurs d’une influence notable dans le monde arabe. De la même manière, les médias les plus influents sont souvent ceux qui sont les plus libres et pluriels, à l’instar de la BBC.

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Le siège londonien de la BBC, un média qui diffuse des informations dans plus de 30 langues

Les grandes agences de presse et les médias internationaux comme l’AFP, Reuters ou The New York Times sont majoritairement occidentaux. Ils constituent des atouts pour leurs pays d’origine, car ils diffusent la culture et la langue nationales et constituent de puissants outils d’expression pour leurs dirigeants.

Mais la liberté des médias peut aussi nuire aux États. Les investigations menées par les journalistes débouchent parfois sur des révélations qui les fragilisent. L’affaire du Rainbow Warrior de 1985  illustre bien ce risque. Après avoir envoyé deux agents de la DGSE couler le navire de Greenpeace, le gouvernement français nie toute implication et cherche à étouffer l’affaire. Ce sont les révélations de la presse et l’insistance des médias qui le contraignent finalement à avouer, deux mois plus tard, la responsabilité des services secrets, entraînant la démission du ministre de la Défense.

Enfin, la liberté médiatique permet à des acteurs privés d’acquérir des journaux et des chaînes de télévision. La concurrence d’Internet et des réseaux sociaux fragilise certains médias et les pousse à faire appel à des fonds privés. Ce contexte économique difficile favorise également les fusions entre les acteurs et ainsi la concentration du secteur de l’information. Des entreprises ou de riches hommes d’affaires dirigent de véritables empires médiatiques allant de la chaîne de télévision au magazine thématique, comme le groupe TF1 possédé par l’industriel Bouygues.

Dès lors, ces conglomérats peuvent promouvoir les intérêts de leurs propriétaires, parfois en contradiction avec ceux des États. Aux États-Unis par exemple, le lobby des armes dispose de sa propre chaîne de télévision NRATV. Ce média représente un obstacle pour tout gouvernement souhaitant une législation plus stricte sur le port d’arme, comme ce fut le cas sous la présidence de Barack Obama.

III – La liberté laissée aux médias est en fait une variable d’ajustement pour les États

Si ces deux positions comportent leurs avantages et inconvénients, l’importance des médias varie en fonction du contexte politique et historique des pays. Il ne s’agit donc pas de choisir une option plutôt que l’autre, mais d’évaluer le bénéfice au regard du contexte.

Durant les deux guerres mondiales, les États ont incité les médias à suivre leur discours au nom du patriotisme et ceux qui ne coopérèrent pas furent rapidement présentés comme des traîtres à la nation.

Durant ces deux conflits, les médias occidentaux ont relayé une propagande visant à diaboliser l’ennemi allemand et à promouvoir l’effort de guerre. Les journaux diffusent alors des affiches présentant les soldats ennemis comme des bêtes sanguinaires. Enfin, les victoires sur l’ennemi sont embellies alors que les défaites ne sont que brièvement abordées, voire passées sous silence. Cette subjectivité est d’autant plus marquée que les journalistes sont alors dépendants des informations fournies par l’État.

Affiche américaine de propagande diabolisant les nazis et les Japonais

Le contexte de guerre peut donc engendrer un changement d’attitude des États vis-à-vis de leurs médias : des pays aux valeurs démocratiques et libérales choisissent d’imposer (de manière plus ou moins visible) leur point de vue pour parvenir à la victoire militaire.

Enfin, la liberté des médias est rarement uniforme et varie en fonction du sujet abordé. En Chine par exemple, la censure se concentre sur quelques sujets tabous comme les « trois T » : Tibet, Taïwan et Tiananmen.

Conclusion

Contrôler les médias permet de sélectionner les informations et les opinions diffusées à la population. Cette stratégie trouve ses limites dans la contestation de la censure et dans le désintérêt pour des points de vue uniformes. À l’inverse, garantir la liberté des médias favorise l’émergence de groupes de médias critiques et s’exportant plus facilement, au risque de les voir dénoncer les actions de l’État.

Cependant, les États, même s’ils défendent certaines valeurs, ne se restreignent pas à l’une ou à l’autre de ces deux positions. Ils préfèrent ajuster la liberté des médias en fonction de leurs priorités. Les sujets qui touchent à l’unité, voire à la survie de l’État et de son modèle politique, sont ainsi plus étroitement contrôlés. C’est cette agilité qui leur permet d’exploiter au mieux les médias pour servir leurs stratégies de puissance.