méditerranée

La Méditerranée est depuis l’Antiquité le point de contact et de rupture entre l’Orient et l’Occident. Cet espace a ainsi cristallisé de multiples tensions et rivalités au cours de l’histoire. Samuel Huntington, dans Le choc des civilisations publié en 1996, décrivait la Méditerranée comme point de confrontation, voire d’affrontement, entre cultures. Selon lui, « dans le monde de l’après-guerre froide, les distinctions les plus importantes entre les peuples ne sont pas idéologiques, politiques ou économiques ; elles sont d’ordre culturel ». Aujourd’hui, la Méditerranée reste une zone de fracture importante. Elle se retrouve au cœur du différend gréco-turc, en témoigne le Conseil européen extraordinaire du 1er et du 2 octobre.

Dès lors, quels sont les différents enjeux économiques, géopolitiques et géostratégiques en Méditerranée ? Quels acteurs et quelles puissances se confrontent aujourd’hui ?

Un espace historiquement instable

Depuis l’Antiquité, la Méditerranée est source de puissance, par sa position géostratégique, ses dynamiques économiques et ses ressources. Dominée tout d’abord par l’Empire romain, transformant cet espace en Mare Nostrum, la Méditerranée a ensuite été sous le contrôle de l’Empire ottoman jusqu’à la Première Guerre mondiale. La bataille des Dardanelles, affrontement de la Première Guerre mondiale qui opposa l’Empire ottoman aux troupes britanniques et françaises en 1915, marqua le début de l’ascension de Mustafa Kemal. Elle fut un élément fondateur dans l’identité nationale turque. Cette référence au kémalisme est d’ailleurs omniprésente dans le discours de la Turquie d’Erdogan. Il aspire à étendre sa puissance en Méditerranée.

La mer Méditerranée est ensuite devenue un théâtre de la confrontation Est-Ouest pendant la guerre froide. Le sujet de Géopo ESSEC 2020 était d’ailleurs « Le bassin méditerranéen : un espace de crises et de rivalités internationales depuis la fin de la guerre froide ». Tu peux retrouver le sujet dans son intégralité ici, ainsi que son analyse. Dans le cadre du Containment, la Grèce et la Turquie ont rejoint l’OTAN en 1952. Cependant, alors qu’elle n’était plus un espace stratégique majeur depuis 1991, l’intervention de la Russie et de la Turquie en Libye et surtout la militarisation de la Méditerranée orientale depuis juin 2020 ont entraîné une escalade violente des tensions.

La Méditerranée orientale, convoitée pour ses ressources

Depuis l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan en 2014, la Turquie souhaite étendre son emprise territoriale en Méditerranée orientale. En effet, le pays revendique l’héritage de l’Empire ottoman et de son vaste territoire altéré par le traité de Lausanne en 1923. Il souhaite s’accaparer les ressources en hydrocarbures appartenant à la Grèce.

Le 11 août dernier, le déploiement par la Turquie d’un navire de recherche sismique a provoqué l’ire des Grecs. Escorté par des frégates militaires, le bâtiment avait pour mission d’effectuer des recherches de gisements d’hydrocarbures, dans une zone revendiquée par Athènes, au large de l’île de Kastellórizo. La Grèce, qui a rapidement condamné cette violation territoriale, a donc déployé des unités de la marine et de l’armée de l’air dans la zone.

Tensions en Mer Méditerranée

Les tensions actuelles résultent en grande partie d’un différend historique entre Athènes et Ankara. Celles-ci concernent les délimitations de leurs frontières maritimes. Les deux pays s’étaient déjà retrouvés face à face lors de deux crises, en 1987 et en 1996. En effet, la Turquie n’a jamais signé la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982) qui définit les limites des eaux territoriales. La convention de Montego Bay avait notamment octroyé différentes îles, dont celle de Kostellórizo, à la Grèce, bénéficiant ainsi d’une vaste ZEE. Or, la découverte ces dernières années de vastes gisements gaziers en Méditerranée orientale a justement aiguisé l’appétit de la Turquie, puissance militaire émergente.

Mais après les efforts intensifs de l’UE et de l’OTAN pour apaiser les tensions, Athènes et Ankara ont fini par annoncer, mardi 22 septembre, une reprise du dialogue sur leurs différends maritimes. Recep Tayyip Erdogan s’est même dit prêt à rencontrer le Premier ministre grec Kyriákos Mitsotákis, afin d’accorder intérêts turcs et grecs.

Une confrontation de multiples acteurs

La Turquie d’Erdogan a mis à profit la paralysie des États-Unis et de l’Union européenne par l’épidémie de Covid-19 pour multiplier les coups de force au mépris du droit international. Confrontée à l’érosion de son leadership, elle aspire à investir la Méditerranée orientale dans le but de renverser les rapports de forces historiques. En juin 2020, un accrochage entre un navire turc et une frégate française avait provoqué une escalade des tensions au sein de l’OTAN, qui avait finalement conforté la puissance turque. Dans cette Realpolitik, la Turquie apparaît ainsi d’autant plus forte qu’elle jouit d’une forme d’impunité au sein de l’OTAN, face à la Grèce, également membre de l’organisation. La crise actuelle en Méditerranée orientale traduit alors l’affaiblissement et l’impuissance de l’organisation transatlantique.

Dès lors, quel rôle pour l’Union européenne en Méditerranée orientale ? L’UE éprouve des difficultés à s’unir, afin de faire entendre sa voix face à une puissance transgressant le droit international. La Turquie cherche en effet à tester l’unité et la volonté des démocraties européennes à défendre leurs valeurs et leur souveraineté, afin d’exercer plus d’influence sur les renégociations des accords migratoires. Toutefois, dans le cadre de l’Initiative quadripartite de coopération (QUAD), Chypre, la Grèce, la France et l’Italie tentent d’accélérer la prise de conscience des Européens sur les enjeux de sécurité autour des frontières de l’Union. De plus, l’Europe communautaire a finalement décidé de se réunir en urgence à Bruxelles. Les 1er et 2 octobre, les dirigeants de l’UE débattront des affaires étrangères, en particulier des relations avec la Turquie et de la situation en Méditerranée orientale.