Depuis les années 90, nous assistons à une multiplication d’accords commerciaux régionaux (Mercosur en 1991, ALENA 1992, UE entrée en vigueur en 1993, CEMAC en 1994). En 2016, on comptait 625 notifications d’ACR faites au GATT/OMC depuis 1947 mais la moitié des ACR notifiés aujourd’hui furent conclus après les années 90. Ce regain des ACR est paradoxalement concomitant à l’hyper mondialisation de ces dernières décennies et à la baisse des barrières douanières puisque les tarifs douaniers ont été divisées par 10 depuis 1945.

Un ACR est défini comme un accord commercial réciproque entre au moins 2 pays et est autorisé par l’Organisation Internationale du Commerce. D’un simple accord de libre-échange portant sur les marchandises (ASEAN) et à une gouvernance régionale (U.E) en passant par une intégration en profondeur (ALENA), le degré d’intégration régionale est plus ou moins profond. Mais confondre régionalisation et régionalisme serait manquer de rigueur. La régionalisation est la concentration des flux économiques au sein d’une zone géographique donnée (réalité économique) et le régionalisme la réalité institutionnelle, une construction politique menée par les Etats et matérialisée par un accord.

On parle d’intégration régionale quand les deux phénomènes sont présents : le phénomène institutionnel et économique. Les ACR sont présentés par certains comme un risque  de fragmentation de l’espace économique mondial ; par d’autres comme un moyen d’approfondir le libre-échange et d’aller plus loin. Les deux réalités s’affrontent et la question de la complémentarité ou non du régionalisme avec la mondialisation est reposée aujourd’hui à l’occasion des projets du TAFTA et du CETA. Il s’agit donc d’un sujet qui pourrait tomber aux concours et qui est déjà tombé à l’ESCP en 2011 (« Les Unions Économiques Régionales ont-elles été et sont-elles encore un moyen de contourner le libre-échange ? »).

La prolifération des accords commerciaux régionaux est-t-elle vraiment compatible avec la mondialisation et le multilatéralisme ? Y a-t-il des perdants à l’intégration régionale ?

Cette question a alimenté la littérature économique (partie I et partie II) mais n’a pas forcément trouvé de réponse même si les derniers travaux récents sur le sujet affirment que le régionalisme irait de pair avec la mondialisation (nouvelle vague du régionalisme avec Figuère et Guilhot) et avec la dérégionalisation des accords commerciaux actuellement (III).

I – Un régionalisme et une mondialisation qui ne vont pas de pair et qui ne suivent pas les mêmes buts

Le libre-échange est la philosophie de la mondialisation, c’est un jeu à somme positive pour les détracteurs du libre-échange à la RICARDO. Pour l’OMC, la théorie des avantages comparatifs est la théorie la plus brillante de la science économique (site OMC). Et ainsi, conclure un accord de commerce régional reviendrait à faire une distorsion de concurrence et conduirait à une mauvaise allocation des ressources à l’échelle mondiale.

En effet, la mondialisation et les accords régionaux ne vont pas vraiment de pair pour les adeptes du libre-échange pur. Bien que l’OMC autorise les ACR par des traités et que PASCAL LAMY les considère comme du « piment dans le curry multilatéral », les ACR dérogeraient au principe de la clause de la nation favorisée et de la règle fondamentale de non-discrimination (principe communautaire). En effet, selon l’OMC, tous les pays doivent bénéficier d’une égalité de traitement. Mais ces ACR, discriminant les pays tiers, créeraient plus d’effets de détournement que de création de trafic. En effet, on parle de création de commerce quand une production nationale est remplacée par les importations d’un pays membre de l’union douanière dont les coûts sont inférieurs, et de détournement de commerce quand une importation du reste du monde est remplacée par celle d’un pays membre dont les coûts sont supérieurs et pour VINER l’effet de détournement l’emporterait sur l’effet de création et cette supériorité des effets de détournement serait plus grande d’autant que l’ACR concerne peu de pays.

Et, pire encore, à long terme le risque est que ces pays se replient sur eux-mêmes  et constituent des blocs forteresses (KRUGMAN/SUAREZ) et pratiquent un régionalisme défensif et un protectionnisme de zone (JEANNENEY) comme l’a fait l’Amérique latine dans les années 1960 avec une stratégie de développement autocentrée et de déconnexion du marché mondial substituant une production nationale à leurs importations. Et on voit le résultat, l’échec de cette stratégie de développement et la portée au pinacle de la stratégie de développement extravertie par les grandes instances internationales…

Actuellement, et même d’après les expériences historiques, cette constitution de blocs régionaux suit une logique géopolitique plutôt qu’une volonté de s’exclure du jeu de la mondialisation. Le régionalisme de ces deux dernières décennies est plutôt un régionalisme avec des blocs régionaux centrés chacun sur un pays leader qui s’affrontent (USA de l’ALENA vs l’UE avec l’Allemagne qui mène le tango) à coups d’arsenal juridique, de Super301… La hausse des litiges déposés à l’ORD de l’UE et de l’ALENA sur des dossiers portant sur les barrières non tarifaires l’atteste.

De plus, pour certains pays, l’ACR permet de réduire la dépendance vis-à-vis des Etats-Unis qui édictent leurs lois et dirigent le jeu de la mondialisation.

Le régionalisme peut être vu aussi comme un refus de la mondialisation et comme un rempart. En effet, les pays ont développé un régionalisme monétaire pour se protéger des risques liés à la sphère financière et à l’accélération des capitaux. L’exemple européen illustre bien ce fait, après la fin du système de Bretton-Woods et de ses parités fixes, l’Europe a voulu se protéger des perturbations sur les marchés des changes en créant le Système Monétaire Européen avec son système de changes fixes. Le régionalisme monétaire est ici vu comme un refus de supporter les conséquences de la mondialisation. On voit comment les économies sont intégrées financièrement aujourd’hui et qu’une crise financière dans un pays peut se propager facilement à l’échelle internationale par différents canaux.

II – Deux phénomènes qui vont de pair

MEADE est moins pessimiste que VINER et montre que l’intégration régionale est un optimum de second best, l’optimum serait le libre-échange mais on voit qu’à 164 pays à l’OMC, il est difficile d’avancer.

Le régionalisme serait d’abord l’aboutissement d’une régionalisation existante, par exemple avant la signature du traité de Rome, les échanges entre les 6 membres fondateurs étaient déjà intenses. Il y aurait ainsi peu d’effets de détournement (KRUGMAN). Cela permettrait aussi à un petit pays, par exemple, de s’insérer progressivement dans l’économie mondiale en stimulant ses échanges intra-régionaux avec des voisins proches. Le régionalisme pour les PED est un moyen de se mouiller avant de se jeter dans le gigantesque bain multilatéral en leur offrant un meilleur cadre pour l’exploitation de leurs avantages comparatifs.

Sans être seulement une étape vers le multilatéralisme, le régionalisme constitue un moyen d’approfondir le libre-échange et de répondre aux carences du multilatéralisme et à l’impasse du cycle de Doha de 2001, cycle dont un des objectifs par exemple est d’améliorer l’accès des pays en développement aux marchés des pays riches, notamment en ce qui concerne les produits agricoles. Ainsi le but du régionalisme est d’aller plus loin sur les dossiers qui sont au point mort (LAWRENCE (1991)). Le nombre d’acteurs étant limité, il est possible avec l’accord de s’intégrer en profondeur, d’harmoniser les politiques et d’établir des standards communs et le régionalisme serait « un laboratoire institutionnel » : terrain d’expérimentation et d’avancées normatives.

Ainsi, comme MITTELMAN le disait, le régionalisme est une composante de la mondialisation et une réponse à celle-ci (2001).

III – La nouvelle vague de régionalisme et le multilatéralisme

On assiste, de plus en plus, à un effet domino où tous les pays voudraient conclure un ACR (BALDWIN). Selon cet économiste, la création d’un accord régional entraînerait un effet d’attraction sur des pays tiers. En effet, un pays peut, dans un premier temps, ne pas souhaiter signer d’accord avec un Etat partenaire. Or, si ce dernier conclut des accords avec d’autres parties, le premier pays peut changer d’avis et conclure un ACR pour ne pas voir sa compétitivité s’amoindrir. Mais par-dessus tout, on assiste à une dérégionalisation des accords commerciaux régionaux.

En effet, l’UE a ratifié des accords avec l’Afrique du Sud et le Mexique (2000), la Corée (2011), la Colombie et le Pérou (2013). Les Etats-Unis négocient un partenariat transpacifique avec 10 pays dont le Canada, le Chili, l’Australie… tout en négociant le TAFTA avec l’UE. Ces phénomènes de dérégionalisation des accords et ces négociations rendent obsolètes la clause de la nation la plus favorisée aujourd’hui car à terme tous les pays seront concernés pas un accord régional. Et cette dérégionalisation « des accords commerciaux régionaux » avec notamment un régionalisme vertical Nord/Sud (HUGON, 2003) associant pays développés et pays en voie de développement (UE, ALENA, APEC) s’accompagne d’un élargissement des champs d’application des ACR avec des arrangements qui ne concernent plus seulement le commerce mais le droit du travail, la concurrence, les règles d’harmonisation, les marchés publics, la fiscalité, la gouvernance, les investissements, le développement durable, les services, l’agriculture, la propriété intellectuelle, grosso modo tous les dossiers où l’OMC n’avance pas.

Conclusion

Plus qu’une forteresse et un refus de la mondialisation, la nouvelle vague de régionalisme actuelle montre que les ACR cherchent à surmonter les carences du multilatéralisme, à aller plus loin, et tendent à se dérégionaliser comme le montrent les pourparlers concernant le TAFTA. Le seul risque, c’est que les accords commerciaux s’enchevêtrent et deviennent « un bol de spaghettis » (BHAGWATI) augmentant les coûts de transaction (COASE) sur le plan théorique et grippant la mondialisation dans la réalité.

Bibliographie:

Ecoflash (les accords commerciaux régionaux) de J.M Siroen

-Le nouveau régionalisme de Figuère et Guilhot

-Geography and Trade de Krugman (extrait, p. 72 à 78)

-Manuel d’ESH de Dunot Waquet (chapitre sur le régionalisme)

-Manuel d’ESH (collection Bréal) par Corpron (chapitre sur le régionalisme)

-Le régionalisme et le système commercial (rapport OMC 1995)

-Regionalism vs Multilateralism, The World Economy de Bhagwati (1992)

– A l’heure de la mondialisation, mondialisation et intégration régionale des dynamiques complémentaires de Françoise Nicolas, IFRI Université de Marne-la-Vallée

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