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Avec le réchauffement climatique et la croissance démographique continue, l’accès à l’eau, ressource indispensable au développement des sociétés, et son utilisation, sont au centre des litiges et des tensions qui peuvent exister entre États. Le Nil, long de 6671 km (plus long fleuve du monde) n’échappe pas à la règle, d’autant plus que les pays qu’il traverse comme l’Égypte ou l’Éthiopie font face à d’importants défis de développement. Dans quelle mesure les impératifs de développement des États que le fleuve traverse accroissent-ils la pression sur ses ressources ?

Nous étudierons un fleuve vital pour tout un ensemble régional qui fut dans un premier temps mis en valeur par l’Égypte ; on verra ensuite les nouvelles revendications des États sur le fleuve qui complexifient la situation.

I – Le Nil, un fleuve vital pour toute une région

Situé dans une zone sèche et très aride à l’extrême nord-est de l’Afrique, le fleuve est vital pour la majeure partie des pays qu’il traverse : Éthiopie, Érythrée, Soudan, Soudan du Sud, Égypte, Rwanda, Tanzanie, Ouganda, Burundi, République démocratique du Congo et Kenya.

En effet, au-dessus du Soudan, il tombe moins de 200 mm de pluie par an. Même si certaines zones du bassin du Nil bénéficient de pluies conséquentes, comme la région des Grands Lacs ou le sud-est du Soudan, la zone aride au nord du fleuve est fortement peuplée. Au nord de Khartoum, on estime aujourd’hui que plus de 90 millions de personnes sont presque entièrement dépendantes des eaux du fleuve. L’apport des différents affluents dans le débit total qui arrive en Égypte est inégal : les sources éthiopiennes représentent 86 % de l’apport annuel tandis que le Nil blanc, embranchement du Nil traversant l’Ouganda, le Soudan et le Soudan du Sud, représente les 14 % restants.

L’Égypte, l’une des principales puissances régionales, est en première ligne des pays dépendants de l’écoulement des eaux du Nil. En effet, depuis l’Antiquité, la vie des Égyptiens est rythmée par le fleuve : les crues d’été sont d’une importance capitale : elles déposent des limons et permettent ainsi aux terres de rester fertiles. Le Nil a toujours été exploité par l’homme et après la Seconde Guerre mondiale, les grands projets d’aménagement ont débuté.

Toutefois, la situation tend à se dégrader actuellement. Du fait de la croissance démographique, la disponibilité en eau réelle devrait passer de 922 m3/hab. en 1990 à 337 m3/hab. en 2025. Du côté de l’agriculture, les superficies cultivées ont pu augmenter jusqu’à présent grâce aux progrès de l’irrigation et à la maîtrise des eaux, et le système de la double récolte (deux fois par an) a pu se développer.

Cependant, l’augmentation rapide de la population entraîne un empiétement urbain sur les terres agricoles et une hausse de la consommation d’eau. Ainsi le taux d’autosuffisance alimentaire diminue régulièrement et l’Égypte est obligée d’importer toujours plus de denrées alimentaires. Aujourd’hui, elle est le troisième importateur mondial de céréales.

Logiquement, cette situation a fait naître des tensions entre les États dès la mise en place des projets d’aménagement sur le lit du fleuve.

II – Le Nil, un fleuve d’abord largement exploité par l’Égypte

Les principaux projets d’aménagement du fleuve débutèrent en 1956. C’est en effet à cette date que le colonel Nasser décida de la construction du barrage d’Assouan. Ils s’agissait de développer économiquement le pays par la production massive d’hydroélectricité. Dans la logique de politique de développement par substitution aux importations, cet apport en électricité devait alimenter l’industrie du pays. D’autre part, ce barrage permettait de régulariser le cours du fleuve et d’éliminer les crues pour constituer un réservoir en cas de sécheresse.

Cette nouvelle politique qui visait à s’émanciper de l’influence des deux grands dans le contexte de la Guerre froide est également à mettre en lien avec le processus d’indépendance du Soudan, acquise cette même année aux dépens de la Grande-Bretagne. Effectivement, le barrage permit la sauvegarde des intérêts vitaux de l’Égypte face au nouvel État voisin.

Pendant longtemps, l’Égypte ne s’est pas préoccupée de ce qui pouvait se passer en amont du fleuve. Lorsque les Britanniques commencèrent à explorer les eaux du fleuve dans les années 1920, la question se posa. Un premier accord est signé en 1929, instaurant un partage des eaux entre Égypte et Soudan britannique ; après l’indépendance, un second traité est signé en 1959, largement favorable à l’Égypte. Le traité ne faisant pas mention des pays en amont, ces derniers le considèrent nul et non avenu.

Ce traité a permis de lancer des projets en commun comme la construction du canal de Jonglei en 1983. Toutefois, l’instabilité politique due à la guerre civile au Soudan a freiné les aménagements et conduit les autorités des deux pays à abandonner la construction aux deux tiers. Dans les années 2000, de nouveaux projets sont relancés, notamment grâce aux capitaux chinois : le barrage de Merowe au nord de Khartoum, achevé en 2009.

L’Éthiopie, quant à elle, a tardé à exploiter ses ressources hydrauliques qui contribuent pourtant à 86 % au débit du Nil. La fin de la guerre contre l’Érythrée en 2000 remet au goût du jour les projets de développement des ressources, notamment en raison de la croissance démographique et des sécheresses accumulées.

Face à ce nouveau rival pour la gestion des eaux du Nil, l’Égypte milite de son côté pour la reconnaissance du statut international du fleuve afin de faire respecter le droit acquis de chacun des États de la vallée. L’Éthiopie s’y oppose sous prétexte qu’il n’est pas navigable sur toute sa longueur. Si elle obtient gain de cause, elle pourrait exploiter et aménager la partie du fleuve qui traverse son territoire sans rendre de comptes.

III – De nouvelles revendications qui complexifient la gestion des eaux du fleuve

Dans les pays de l’Afrique des Grands Lacs, des projets d’exploitation des eaux voient progressivement le jour. La Tanzanie envisage de pomper l’eau du lac Victoria pour irriguer 600 000 hectares de terres. Le Kenya a exprimé son rejet de l’accord de 1959 en 2004. L’Ouganda fait appel à l’aide israélienne pour mettre en place des projets d’irrigation.
L’Égypte voit d’un très mauvais œil ces divers projets puisqu’elle est dépendante des décisions de ces pays-là.

En 2010, l’Éthiopie, la Tanzanie, le Rwanda, le Kenya et l’Ouganda (puis le Burundi dans un second temps) ont signé un nouveau traité : l’accord d’Entebbe, qui a pour but de réorganiser la gestion des eaux du Nil. Il prévoit en outre la mise en place d’une commission chargée de valider ou de rejeter tous les projets hydrauliques ayant une conséquence sur le cours du Nil. Les États signataires contrebalancent ainsi le poids du traité de 1959 qu’ils ne reconnaissent pas. L’Égypte (tout comme le Soudan, d’ailleurs) ayant refusé de signer ce traité car le jugeant dangereux pour son économie se voit privée d’un droit de regard sur les grands aménagements sur le fleuve. Le litige sur l’utilisation des eaux du Nil perdure donc : l’Égypte et le Soudan se posent en contestataires du dernier accord et fondent leurs revendications sur des « droits historiques » tandis que les autres pays demandent un juste partage entre les États.

Mais encore plus récemment, c’est le « barrage de la Renaissance » qui cristallise les tensions. Avec un réservoir de 75 milliards de mètres cubes d’eau, il devrait permettre à l’Éthiopie de devenir le premier producteur d’électricité en Afrique. Depuis le début de la construction en 2013, les tensions sont vives avec l’Égypte car cette dernière considère que son voisin assèche illégalement les eaux du Nil. L’ancien président égyptien Mohamed Morsi s’était d’ailleurs déclaré prêt à une intervention militaire. L’accord d’Entebbe a par ailleurs poussé le Soudan, allié historique de l’Égypte, à se rapprocher de l’Éthiopie pour développer de nouvelles structures hydrauliques.

Dernière discorde en date : le refus en janvier 2018 de l’Éthiopie de confier l’arbitrage du très controversé barrage de la Renaissance à la Banque mondiale.

Conclusion

Le Nil, le plus grand fleuve du monde, est donc une ressource primordiale pour de nombreuses populations qui dépendent presque intégralement de ses ressources en eau. Le fleuve traversant un grand nombre de pays, la gestion de celles-ci est donc logiquement conflictuelle. L’Égypte fut la première puissance régionale à lancer une politique de développement volontariste grâce aux aménagements sur le fleuve. C’est pour cette raison qu’elle s’oppose actuellement aux États qui souhaitent un partage plus juste et plus équitable afin d’eux-mêmes subvenir à leurs besoins dans un contexte de pression démographique de plus en plus importante et de réchauffement climatique.