Une lutte pour le leadership régional est présente en Asie, notamment entre l’Inde, la Chine, le Japon, et à laquelle il est possible d’ajouter la Russie qui s’intéresse à l’Asie centrale. Cette lutte d’influence, se retrouve à travers les grands ensembles régionaux, qui se construisent très souvent autour d’une de ces 4 grandes puissances.

Construction des ensembles régionaux

Les premières formes de coopération multilatérale en Asie trouvent leur origine à la fin de la seconde guerre mondiale. En 1947, naît ainsi la CESAP (Commission Economique et Sociale pour l’Asie et le Pacifique), sous l’égide de l’ONU. Cette commission sera renforcée par la création en 1966 de la BAD (Banque Asiatique de Développement), dont le siège est à Manille. Cette coopération multilatérale entre pays asiatiques s’est donc construite initialement dans une logique de développement économique, les pays asiatiques étant très en retard par rapport à leurs voisins européens (le PIB de la Corée du Sud était, par exemple, inférieur à celui du Ghana en 1960). Seul le Japon, partiellement détruit par la seconde guerre mondiale, disposait dans les années 60 d’un niveau de développement comparable à celui des pays d’Europe Occidentale.

Rôle et objectifs

Très rapidement, les ensembles régionaux vont représenter non seulement des enjeux économiques pour le développement des pays asiatiques, mais également des enjeux politiques, et surtout des sphères d’influence. Il est alors intéressant de noter qu’en 1967 est fondée l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est dont les 5 pays fondateurs sont l’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, Singapour, et les Philippines, et qui seront rejoints plus tard par le Vietnam, le Cambodge, Bruneï, le Laos et la Birmanie). L’ASEAN, à l’origine, vise non seulement à s’assurer de la croissance économique de la région, mais également à la stabiliser afin de renforcer la souveraineté de ses états membres (lesquels, excepté la Thaïlande, viennent d’être récemment décolonisés, et disposent donc de systèmes régaliens fragiles). Enfin, il ne faut pas oublier que l’ASEAN est née en pleine guerre froide : cette organisation va donc chercher, dès sa création, à lutter contre l’influence communiste de la Chine et du Nord Vietnam.

La SAARC

La construction d’ensembles régionaux va alors poursuivre un double objectif : représenter à la fois un moyen de développement pour les régions, mais également un vecteur d’influence pour les grandes puissances. Ainsi, la création de la SAARC (South Asian Association for Regional Cooperation) fondée en 1985 autour de l’Inde, peut s’interpréter comme un moyen de développer une interdépendance économique entre les pays de la péninsule indienne en facilitant les échanges, mais également comme une volonté d’étendre l’influence de l’Inde sur cette même péninsule.

De même, l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation) instituée en 1989, et qui comprend une majorité de pays bordant l’Océan Pacifique, peut être considérée comme un moyen de maintenir une influence américaine en Asie. Enfin, la création en 2000 de la CEEA (Communauté Economique Eurasiatique), qui regroupe une grande partie des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale autour de la Russie, suivait le même objectif d’influence. Ainsi, cette lutte pour le leadership régional entre les grandes puissances asiatiques (Chine, Inde, Japon), la Russie et les Etats-Unis se poursuit toujours actuellement à travers les grands ensembles régionaux, lesquels constituent souvent bien plus des vecteurs de leur influence et de leur soft power, que des vecteurs d’intégration entre les états membres.

En effet, si la plupart des pays longeant le corridor maritime (corridor allant de la Corée et du Japon au Nord, à Singapour et au détroit de Malacca au Sud) sont aujourd’hui bien intégrés et interdépendants, cela ne relève pas uniquement de l’existence des grands ensembles régionaux. L’intégration de ces pays s’est faite grâce à la division internationale du processus de production qui a favorisé la coopération informelle et les échanges entre les Etats, en créant par exemple des triangles de croissance, comme celui de Singapour-Johore(Malaisie)-Riau (Indonésie), dénommé SIJORI. Chaque pays tire profit de ses points forts respectifs (ses avantages comparatifs) pour accueillir une partie du processus de production et pour se développer. Cette intégration économique est telle que François Gipouloux, directeur de recherche émérite au CNRS, n’hésite pas à qualifier ce corridor maritime de « méditerranée asiatique » (François Gipouloux, la Méditerranée asiatique).

Difficultés et défis

Les ensembles régionaux asiatiques souffrent en fait de tensions culturelles entre les Etats membres. C’est le cas de l’ASEAN, dont la pluralité ethnique est source de violences et de tensions à la fois au sein des états, mais également entre les états. Citons par exemple le cas des Rohingyas en Birmanie, population musulmane en proie à des violences de la part d’une majorité des peuples birmans. Outre ces tensions culturelles, le contexte historique est aussi source de défiance qui freine les ensembles régionaux : au sein de la SAARC, l’Inde et le Pakistan sont toujours en froid depuis 1947, et revendiquent tous les deux la région du Cachemire.

Enfin, un nouveau défi semble déstabiliser les ensembles régionaux asiatiques : la montée en puissance de la Chine. En effet, la Chine, devenue 2ème puissance économique mondiale en 2010, cherche à étendre au maximum son influence pour devenir le leader de la région. Le développement de son soft power régional passe par le développement économique (croissance des échanges avec le lancement de la nouvelle route maritime de la Soie, infrastructures construites pour offrir de nouveaux débouchés aux produits chinois, comme la route du Karakorum qui relie le Xinjiang au Pakistan), mais aussi par l’exportation de la culture chinoise via la création d’instituts Confucius un peu partout en Asie. La Chine essaye également d’asseoir sa position de leader militaire régional via la construction de bases militaires (le fameux « collier de perles chinois »), et en nouant des alliances stratégiques avec le Pakistan (la Chine finance ainsi l’agrandissement du port de Gwadar, lequel devrait devenir une base militaire chinoise) ou avec la Birmanie.

Face à l’appétit chinois, les grands ensembles régionaux ont dû mal à se positionner clairement. Si l’influence américaine pouvait auparavant contrebalancer l’influence chinoise, il semble qu’aujourd’hui la politique de Donald Trump, et notamment son retrait du traité transpacifique, ait laissé le champ libre à la Chine pour étendre son influence. Les pays asiatiques font alors face à un dilemme : d’un côté leur développement économique passe par l’accroissement des échanges avec la Chine, ce qui aggrave leur dépendance vis-à-vis du géant chinois ; de l’autre côté, ils expriment une volonté d’autonomie et d’indépendance géopolitique à travers par exemple la revendication d’îlots en mer de Chine.

La position des pays asiatiques face à la Chine varie d’un pays sur l’autre, et fragilise l’unité politique des ensembles régionaux : ainsi, au sein de l’ASEAN, si certains pays souhaitent durcir le ton face à Pékin (comme le Vietnam), d’autres (comme le Cambodge ou les Philippines) s’y opposent. La question chinoise, couplée au désengagement américain, déstabilise profondément les ensembles régionaux, et bouscule les alliances établies. De cette défiance vis-à-vis de la Chine, naissent de nouvelles coopérations fortes,  qui ne passent plus par des ensembles régionaux : le Japon et l’Inde ont ainsi renforcé leur coopération militaire en lançant des manœuvres conjointes au large de la Baie du Bengale.

Si les grands ensembles régionaux sont aujourd’hui des forums de discussion qui s’élargissent [l’ASEAN tient, par exemple, des rencontres avec le Japon, la Corée du Sud et la Chine (ASEAN +3)], ils sont surtout des vecteurs d’influence pour les grandes puissances qui sont à leur tête. Aujourd’hui, le défi chinois et la nouvelle politique américaine rebattent complètement les cartes en Asie et semblent ouvrir la voie à de nouvelles alliances politiques ou économiques ainsi, qu’à des risques de nouveaux conflits.