L’Auteur:

Zaki Laïdi est un politologue français, enseignant et chercheur à Science Po Paris. Il travaille sur de nombreux thèmes comme la politique étrangère américaine, les Printemps Arabes, et surtout l’Europe, et particulièrement sa place dans le système international. Il est également conseiller « stratégie, études, prospectives » au cabinet du Premier ministre Manuel Valls depuis 2014. Ses ouvrages aux théories novatrices sur la puissance européenne font aujourd’hui autorité et sont devenus une référence incontournable.

Grâce à l’aimable contribution des éditions SciencePo PressesMajor-Prépa vous présente un résumé des principales thèses de Zaki Laïdi sur la puissance européenne, à travers une fiche de deux de ses ouvrages majeurs. Essentiel à toute bonne copie sur le sujet !

La norme sans la force, l’énigme de la puissance européenne 2005

D’après les définitions de Joseph Nye :

  • Hard Power = Etre capable de recourir non seulement à la force mais à la coercition. Puissance que l’on craint.
  • Soft Power= Etre capable de convaincre les autres acteurs d’accepter ses propres préférences. Puissance que l’on ne redoute pas.

L’Europe dispose de deux ressources du Hard power :

  • L’accès très règlementé à son marché.
  • L’accès conditionnel à son système institutionnel au travers du processus d’adhésion.

Mais l’Europe ne sera jamais une grande puissance au sens politico-militaire, car ce serait s’exposer à reproduire à l’échelle européenne ce que les Etats se sont efforcés de combattre entre eux : l’idée d’une puissance comme suprématie. (Thèse qui s’oppose à celle de Robert Kagan qui dit que si !, l’Europe devrait investir dans le Hard Power et assumer ses responsabilités).

Dès lors, une seule possibilité de puissance s’offre à l’Europe : Une puissance normative : qui est la « capacité à produire et mettre en place à l’échelle du monde un dispositif de normes capables d’organiser le monde, de discipliner le jeu de ces acteurs, d’offrir à ceux qui s’engagent sur cette voie, et notamment les plus faibles, la possibilité au moins partielle de rendre ces normes opposables à tous, y compris aux plus puissants ».

Sa stratégie passe alors par :

  1. Une préférence pour la généralisation de règles comportementales pour les Etats, et qui sont:
    • Négociées, non imposées.
    • Légitimées par des instances internationales représentatives
    • Opposables à tous les acteurs du système international, indépendamment de la hiérarchie.
  2. La promouvence de valeurs fondamentales:
    • Démocratie.
    • Justice sociale.
    • Droits de l’homme.

« La norme est ce qui permet de dépasser la souveraineté des Etats sans l’abolir ».

Le reflux de l’Europe 2013

Plutôt que de parler de déclin, il est plus juste de parler de relativisation du poids de l’Europe.

  • Une Europe qui pèse toujours: 1ère puissance commerciale. L’érosion de ses parts de marché depuis 10 est négligeable. Déficit commercial quasiment nul alors que celui des USA s’est beaucoup dégradé. Elle est le soutien et la source de légitimité n°1 des USA, notamment lorsque ces derniers veulent intervenir sans l’aval de l’ONU.

Mais, on assiste bien à un reflux de l’Europe qui s’illustre par une perte de confiance en l’Europe, à ses yeux comme à ceux du monde, et passe actuellement par deux choses :

     1. Avec la crise, l’Europe devient pour la première fois un risque pour les autres:

La crise a révélé les béances institutionnelles de l’UE (pas de solidarité financière, pas de possibilité d’action pour la BCE, politiques budgétaires toujours nationales…). La temporalité politique de l’Europe se trouve toujours décalée avec celle des marchés, lenteur de réaction.

L’habitude de gouverner par la norme et les procédures ne fonctionne plus quand il s’agit de faire face à l’impasse actuelle. Conséquence terrible : cette crise introduit le doute profond sur la viabilité d’une construction politique inédite.

Les problèmes actuels de l’Europe :

  • Faible croissance économique.
  • Incapacité institutionnelle à régler ses propres problèmes.
  • Introversion la détournant de ses responsabilités mondiales.
  • Risque systémique pour le reste du monde.

L’Europe a été depuis Maastricht désireuse d’organiser le monde autour de principes de régulations pour réduire les risques mondiaux. Or, avec la crise de l’Euro elle devient elle-même un risque pour les autres ! Habituée à ouvrir la voie et à faire la leçon aux autres, elle se trouve aujourd’hui en difficulté.

Remarque ironique d’un représentant chinois: « Ayant été pendant longtemps un élève de l’occident, la Chine est en droit de se demander « pourquoi le professeur s’est-il tant trompé ? » »

Enfin pour Laïdi: « Si l’UE était un Etat ou si elle était entièrement fédéralisée, la crise n’existerait pas. »

     2.  Le reflux de l’Europe sur la scène mondiale, illustré par le reflux du multilatéralisme:

Décennie 1990 : L’Europe croit son heure arrivée avec la fin de la Guerre Froide et veut mener le développement du multilatéralisme. Entre 1990 et 2005, 75 traités internationaux signés. L’UE parvient à exercer un vrai leadership international dans beaucoup de domaines.

Depuis le milieu des années 2000 : La dynamique des rapports mondiaux évolue profondément. Le poids de l’UE et des USA diminue largement avec le développement des émergents. L’avènement d’un monde multipolaire a paradoxalement fait reculer le multilatéralisme. On assiste à un blocage des grandes négociations multilatérales :

  • Commerce (Doha depuis 2001)
  • Climat (Copenhague en 2009).

Or, affaiblissement du multilatéralisme = affaiblissement de l’Europe (voir La norme sans la force).

« Toute la question est de savoir si l’UE est capable d’enrayer ce processus ou d’explorer des voies alternatives comme la recherche d’accords bilatéraux sur le plan commercial. L’enjeu n’est pas trivial dès lors que le multilatéralisme a permis de cimenter les Etats européens entre eux sur tous les registres su Soft Power. Que ce ciment vienne à s’effriter, c’est la cohésion politique des Etats européens qui se trouve remise en question. ».

Donc contrairement aux USA qui disposent eux d’une puissance politico-militaire et qui ont de ce fait tout avantage au bilatéralisme, l’UE n’a clairement pas le même poids dans des négociations bilatérales et devrait tout faire pour préserver le multilatéralisme.

Guillaume Hénault

Major-Prépa