Étudiant en prépa littéraire (aussi bien en A/L qu’en B/L), tu as forcément entendu parler de l’École normale supérieure (ENS) de Paris-Saclay (anciennement Cachan), de Paris (rue d’Ulm), de Rennes, de Lyon. Intégrer une de ces ENS par concours implique un certain nombre d’avantages et te confère un statut particulier, mais pas sans contreparties. Il s’agit de ce que l’on appelle « l’engagement décennal », que nous te proposons d’analyser dans cet article.

Différents statuts d’étudiants dans les ENS

Tout d’abord, entrer à l’ENS (quelle que soit la voie, littéraire ou scientifique) peut se faire par le biais de plusieurs voies. Nous considérerons ces différents statuts sous le prisme de la prépa littéraire, mais les informations qui suivent concernent également tous les préparationnaires des autres filières qui ont la possibilité d’intégrer cette École.

Ainsi, la première voie d’accès est celle de l’entrée sur concours en fonction de la spécialité de ta filière (par exemple, « langues vivantes » si tu es en espagnol ou « lettres et arts » si tu es en musique). Si tu intègres l’ENS de cette manière, c’est-à-dire à l’issue de deux ou trois années de prépa littéraire, et après avoir été admis sur concours, tu seras « normalien élève ». Être élève normalien implique de te voir appliquer le statut de fonctionnaire stagiaire et, par voie de conséquence, la soumission à l’engagement décennal.

Ensuite, une procédure de recrutement parallèle aux concours a lieu dans les ENS. Il s’agit de la candidature sur dossier des élèves de classes préparatoires. Si ces derniers sont acceptés, ils suivront la même scolarité de quatre années que les normaliens élèves, mais sans être fonctionnaires stagiaires. Ils sont désignés sous le nom de « normaliens étudiants » et ne sont pas soumis à l’engagement décennal.

Les auditeurs sont quant à eux des étudiants qui suivent une formation spécifique dans une ENS (un master le plus souvent) et n’y étudient que pour la durée de cette formation, soit un ou deux ans. Ils ne sont ni normaliens élèves ni normaliens étudiants, et ne sont pas inscrits au diplôme de l’ENS qui s’effectue en quatre ans avec des composants spécifiques à valider. Les profils sont divers car ouverts aux étudiants de l’Université.

Être fonctionnaire stagiaire : les avantages

Si tu as intégré une ENS via la procédure de recrutement sur concours, tu es donc fonctionnaire stagiaire. Dès la fin du mois de septembre qui suit ton intégration, tu recevras, et désormais pendant une durée de quatre ans, un traitement, c’est-à-dire un salaire mensuel équivalent au SMIC. C’est une chance incroyable : être indépendant financièrement pendant toute la durée de tes études, sans avoir à travailler à côté pour les financer et prendre en charge toutes tes dépenses quotidiennes, est un cas de figure relativement unique en France.

Tu es donc payé pour étudier, quel que soit le parcours que tu choisis de suivre pendant quatre ans ! Notons que tu pourras également bénéficier de diverses aides, notamment l’Aide personnalisée au logement (APL). Ce système te permet une grande liberté et te donne la possibilité de te consacrer pleinement à tes études. Si tu souhaites passer l’agrégation par exemple, pas besoin de te soucier de tes revenus.

Notons que ce statut est commun aux élèves de l’École polytechnique, à ceux de l’École des chartes, aux élèves officiers de l’armée (École spéciale militaire de Saint-Cyr, École navale, École de l’air), ou encore aux élèves de l’École nationale d’administration (ENA).

Être normalien élève : des contreparties à ce statut

Si les conditions particulièrement favorables énoncées plus haut sont aussi avantageuses que confortables, il ne faut pas oublier que ce droit implique des contreparties, qui se manifestent à travers certains devoirs à respecter. Ainsi, avant même de t’inscrire pour ta formation dans cette École, on te demandera de signer un document (le « PV d’installation »), qui acte le fait que pendant les dix prochaines années (les quatre années de scolarité à l’ENS comprises), tu t’engages à travailler au service de l’État. Il s’agit d’un véritable et authentique engagement : tu t’obliges à l’issue de ta scolarité payée, à rendre à l’État ce qu’il t’a donné en le servant.

À défaut, tu devras rembourser les traitements qui t’ont été versés pendant cette période de quatre ans, dans les conditions définies ci-dessous.

Voici le texte qui régit ce fonctionnement et qui figure dans les règlements intérieurs des ENS : « Tout ancien élève de l’ENS doit attester chaque année auprès de l’École de sa qualité soit d’étudiant, soit d’agent public, soit de contractuel de droit privé, soit de sans-emploi. Cette information doit être faite, avant le 31 décembre de l’année en cours, soit par lettre adressée à l’ENS soit sous forme dématérialisée via le site web de l’ENS. Tout défaut d’information équivaut à une rupture de l’engagement décennal et entraîne automatiquement la mise en œuvre de la procédure individuelle de demande de remboursement. »

Le cumul d’activités pendant la scolarité

Par ailleurs, pendant ta scolarité et dans la mesure où l’État te paie déjà pour tes études, tu ne peux pas percevoir de gratifications pour les stages que tu effectues dans le cadre et même en dehors de ta scolarité si tu es fonctionnaire stagiaire.

De la même manière, si tu souhaites exercer une activité secondaire, par exemple donner des cours particuliers, des khôlles, faire du baby-sitting ou travailler pour un job d’été, tu devras soumettre au préalable une demande d’autorisation de cumul auprès de l’administration de ton ENS. Ainsi, exercer l’activité que tu envisages implique l’accord de ton tuteur de formation, du directeur du département dont tu dépends (sciences humaines, sciences sociales, etc.) et enfin de la vice-présidence de ton ENS.

De plus, cette activité est réglementée : à l’ENS de Lyon par exemple, tu dois respecter un quota d’heures annuel (64 heures) et/ou une limite de rémunération annuelle équivalente à 3 200 euros bruts. Enfin, elle doit être cohérente avec tes études (les activités pédagogiques sont acceptées, mais obtenir une autorisation pour travailler dans un fast-food est plus difficile à obtenir).

Comment respecter l’engagement décennal à l’issue de la scolarité à l’ENS ?

Tu l’as lu plus haut, si tu es normalien élève, tu dois te soumettre à l’obligation décennale en travaillant pour le secteur public. Dès lors, tu te demandes sûrement de quelle manière tu peux satisfaire à ces conditions, quels que soient tes projets professionnels futurs. Toujours d’après le site des élus étudiants de l’ENS de Lyon : « Selon les termes du décret statutaire, les emplois respectant l’engagement décennal sont :

  • les services d’un État membre de l’Union européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, de leurs collectivités territoriales ou de leurs groupements, ou de leurs établissements publics ;
  • les entreprises du secteur public d’un tel État ;
  • le statut de journaliste pigiste pour une entreprise de l’audiovisuel public étant accepté si la quantité de travail cumulée pour une ou plusieurs de ces entreprises équivaut à au moins un mi-temps ;
  • les services de l’Union européenne ou d’une organisation internationale gouvernementale ;
  • les institutions d’enseignement supérieur ou de recherche.

Si vous voulez être sûr.e de remplir votre engagement décennal, le plus ‘stable’ reste donc la fonction publique. Être professeur de l’Éducation nationale, par exemple, le remplira à coup sûr. Les postes d’ATER [Attaché temporaire d’éducation et de recherche], de PRAG [Professeur agrégé de l’enseignement du second degré français], les post-docs (et autres postes académiques) respectent aussi systématiquement l’engagement décennal. »

Il est donc relativement aisé de respecter cette obligation décennale à laquelle sont soumis les normaliens élèves : les domaines sont aussi vastes que divers et les missions confiées le sont tout autant.

Modalités de remboursement éventuel

Si l’obligation n’est pas respectée, l’élève fonctionnaire stagiaire devra rembourser sa « pantoufle », c’est-à-dire « la totalité de l’argent qui [t’]a été versé par l’ENS, au pro rata du nombre de mois qu’il [te] reste à remplir, c’est-à-dire :

Total à payer = traitement total perçu × nombre de mois d’engagement restant à remplir/120 mois d’engagement au total

Par exemple, si [tu fais] 4 années à l’ENS puis que [tu te trouves] en rupture, [tu devras] rembourser : 60 % (la proportion de l’engagement décennal non réalisée) du traitement perçu sur 4 ans (environ 72 000 €), soit environ 40 000 €. » (Selon le site des élus de l’ENS de Lyon. Si les modalités de l’engagement décennal t’intéressent, ou si tu es concerné par cette situation, nous t’invitons à consulter leur page dédiée à cette question.)

Enfin, si tu ne respectes pas cette obligation, la somme que tu dois rembourser peut être payée par une entreprise qui décide de te recruter. Dans la mesure où ces sommes sont relativement conséquentes, il s’agit d’un investissement important de la part de l’organisme privé recruteur.

Pour conclure, être élève dans une ENS est un privilège, tant du point de vue de la qualité de la formation reçue que de celui de la situation indiscutablement confortable que le statut de fonctionnaire stagiaire confère. Il justifie donc pleinement la contrepartie d’un service dû à l’État pendant une durée de dix ans.