Tu es en A/L et les écoles proposées par la BEL ne te sont pas complètement familières ? En cette période de rentrée, nous te proposons le témoignage d’Éloi, entré major à Saint-Cyr en 2020 par le concours lettres et classé également neuvième à l’École normale supérieure de Lyon en série sciences humaines. Retour sur son parcours, sa vocation et sa stratégie qui lui ont permis de réussir aussi brillamment. Merci à lui d’avoir partagé son expérience et bonne lecture !

Tout d’abord, peux-tu te présenter et nous détailler ton parcours scolaire ? (Lycée, filière et options, idem pour la prépa.)

Je suis entré en classe de seconde au lycée français du Caire. J’y ai poursuivi ma scolarité en première L. J’ai passé un bac L spécialité droit et option grec ancien au lycée La Bruyère de Versailles. Puis, j’ai eu l’opportunité de rejoindre les classes préparatoires AL du lycée Fénelon, Paris VI. Je rentre donc en hypokhâgne en septembre 2018. L’année suivante, je choisis la khâgne moderne spécialité histoire-géographie.

Avais-tu avant d’entrer en prépa le projet d’intégrer l’École spéciale militaire (ESM) de Saint-Cyr ? Si oui, pourquoi ne pas avoir intégré une classe préparatoire au sein d’un lycée militaire ?

Oui, j’y pensais déjà depuis longtemps. J’avais demandé plusieurs classes préparatoires en lycée militaire, en fin de terminale. Je n’étais pas complètement certain de mon choix. La voie militaire est une authentique vocation qui implique de se poser les bonnes questions avant de s’engager. Pour garder un maximum de portes ouvertes et par goût pour les humanités, j’ai choisi finalement d’aller en hypokhâgne. Avec le recul, je ne regrette absolument pas ce choix.

Peux-tu nous parler de cette école ? Quels en sont le mode de fonctionnement, les spécialités et l’ambiance ?

L’École spéciale militaire de Saint-Cyr a été créée en 1802 par le Premier Consul Bonaparte. Elle est installée au camp de Coëtquidan en Bretagne depuis 1945. On y forme les officiers de l’Armée de terre depuis maintenant plus de 200 ans. Si ce n’est pas l’unique voie pour le devenir, l’ESM prépare tout particulièrement ses élèves à devenir des officiers d’active appelés à prendre des responsabilités importantes au sein des forces armées françaises.

La scolarité dure trois ans, durant lesquels les élèves-officiers reçoivent une double formation académique et militaire. Nous sommes préparés à devenir des chefs de section, à commander une trentaine d’hommes quand nous quitterons l’école et que cette première formation s’achèvera. Les cours académiques permettent de nourrir la réflexion des futurs officiers qui seront amenés un jour à prendre des décisions importantes. Les élèves du concours lettres suivent les cours de la filière sciences sociales et politiques, spécialité relations internationales. Les cours sont divers.

À la fin de ces trois années, les désormais officiers-élèves sont classés selon leurs résultats et en fonction de ces derniers, ils choisissent leur arme (infanterie, cavalerie, artillerie, train, matériel…). Cette spécialisation prolonge d’un an encore la formation dans l’école d’application de l’arme choisie. Suivant le même système de classement, nous choisirons le régiment dans lequel nous désirons servir.

L’ambiance est très différente de celle que l’on peut trouver dans d’autres écoles. Le cadre militaire est un univers difficilement comparable. L’accent est mis sur l’esprit de corps et la cohésion. La camaraderie s’y développe donc très vite. On vit pleinement durant trois ans avec les mêmes personnes.

Pourquoi avoir choisi de poursuivre ta scolarité dans cet établissement ? Était-ce ton objectif premier lorsque tu as passé les concours ?

Entrer à l’ESM de Saint-Cyr, c’est s’engager dans l’armée et donc accepter d’y servir un certain nombre d’années. Si j’ai choisi de poursuivre ma formation, c’est que je me suis rendu compte que c’était bien sûr ce que je recherchais. Oui, au moment où je passe les concours, Saint-Cyr est bien mon objectif.

Comment as-tu vécu tes années de prépa ? Quels sont pour toi les atouts d’une telle formation pour intégrer cette école ?

J’en garde un excellent souvenir. Bien que ces deux années soient connues pour être éprouvantes moralement et physiquement, du fait de la charge de travail et de l’exigence, je suis heureux d’être passé par une hypokhâgne-khâgne. Je me rends bien compte aujourd’hui de la richesse des enseignements dispensés et de l’utilité des méthodes de travail que l’on finit par acquérir. Les classes préparatoires AL, plus précisément la khâgne moderne spécialité histoire-géographie, offrent un solide bagage en histoire et géographie, particulièrement bienvenu à Saint-Cyr. Le goût de l’effort et la persévérance ne sont pas les dernières des qualités requises dans une formation exigeante comme celle de l’ESM. Il existe bien d’autres voies pour intégrer cette école, filières scientifiques et économiques, mais la formation humaine de la khâgne est un plus non négligeable, pour ceux qui aspirent à avoir un métier, comme officier, qui repose principalement sur des relations humaines.

Toutefois, il faut se préparer quasiment seul aux oraux (pour certaines épreuves), ainsi que pour le sport qu’il ne faut surtout pas négliger !

Comment s’organise le concours d’entrée, notamment via la Banque d’épreuves littéraires (BEL) ? Quelles sont les modalités ainsi que les épreuves qui lui sont spécifiques ?

Les écrits du concours lettres de l’ESM de Saint-Cyr sont communs avec ceux de l’ENS de Lyon en spécialité histoire-géographie. Cette spécialité est donc la voie royale pour s’y préparer, mais n’importe qui peut s’inscrire et passer les écrits, parfois avec brio. J’ai des camarades qui étaient en khâgne classique. Cela demande toutefois plus de travail personnel. En revanche, pour les oraux, si certaines épreuves sont communes (même si les attentes ne sont pas forcément les mêmes que pour le jury de l’ENS de Lyon), d’autres sont propres à Saint-Cyr. Il y a notamment un oral de mathématiques ou, c’est au choix, d’une langue ancienne (latin, grec). Puis finalement, il y a les épreuves sportives.

Comment as-tu préparé les concours ?

Si chacun trouve pour lui sa méthode et son rythme, la clé est la régularité et le repos. Je me souviens m’y être mis en avance pour ne jamais me sentir submergé. Je travaillais beaucoup dans la journée (de longues heures), mais le soir je me changeais radicalement les idées. Il faut aussi prendre des jours entièrement consacrés au repos. Rien de pire que d’arriver fatigué et de ne pas avoir les idées claires. Pour le reste, on peut compter sur la qualité des cours reçus qui font la moitié du travail. Il faut donc les apprendre et les enrichir. La réflexion naît de l’entraînement constant durant deux années, voire plus, de classes préparatoires.

Des épreuves sportives étant requises, de quelle manière as-tu travaillé ces dernières tout au long de ta prépa ?

Le plus difficile a été la préparation sportive car elle a complètement été laissée à ma charge. Je devais trouver seul la motivation de m’entraîner et d’aménager comme je pouvais un emploi du temps déjà chargé. Il faut cependant s’y mettre tôt (dès l’hypokhâgne). Certaines épreuves sportives demandent un entraînement long et des infrastructures (natation, sprint et 3000 m). Je prenais ce temps le week-end. Le reste (tractions et abdominaux), je le faisais le soir de temps à autre.

Les études à l’ESM de Saint-Cyr te plaisent-elles ? Pourquoi ?

Oui beaucoup, car elles allient une solide formation humaine, militaire et intellectuelle. Notre temps se partage entre le sport, les études académiques et la vie militaire. Nous partons régulièrement sur le terrain, où nous apprenons le cœur de notre métier de soldat. C’est un quotidien fait d’expériences fortes et d’aventures dans un bel esprit, très épanouissant. Nous n’avons pas le temps de nous ennuyer. Les semestres sont très denses.

As-tu des engagements associatifs ou activités extrascolaires que tu peux poursuivre ou reprendre après la prépa ?

Avec le statut militaire, nous ne pouvons pas toujours nous engager dans toute vie associative. Qui plus est, nous avons peu de temps pour nous y consacrer pleinement. Toutefois, il existe sur le camp diverses associations sportives qui évoluent principalement dans un cadre militaire. Le choix des armes est un engagement si grand et l’armée offre tellement de possibilités que généralement on peut reprendre (ou découvrir) des activités que nous avons pu avoir (sport, musique…).

De quelle manière se déroule ce cursus ?

Les trois années passées au camp de Coëtquidan sont divisées en semestres. Les premier et dernier semestres sont consacrés à la formation militaire (même si elle est plus ou moins présente chaque semestre). Les autres semestres sont dédiés à la formation académique, dont un passé à l’étranger. La destination dépend du sujet du mémoire préalablement choisi. Une notation suit les élèves-officiers durant toute leur scolarité.

Quel est le contenu de la formation que tu suis ? En quoi consiste-t-elle ?

La formation est double, militaire et académique, pour une même finalité, être un officier de l’Armée de terre compétent et opérationnel.

Les cours de formation militaire sont communs à tous. On y apprend les bases du combat, à tirer… et aussi à commander des hommes. Le sport est omniprésent. Les élèves-officiers reçoivent aussi des cours de droit des conflits armés, de formation au comportement militaire. Tout ce volet est très riche et dense.

Les élèves du concours lettres suivent les cours de la filière sciences sociales et politiques, spécialité relations internationales. Les cours sont divers. En plus des relations internationales, nous avons des cours de géopolitique, d’histoire militaire, de sociologie militaire, de communication, de droit (histoire des institutions), de langues (anglais obligatoire et LV2 au choix). Durant les trois ans, nous serons amenés à choisir des options et spécialités dans ces différentes matières. Le sport occupe une place très importante qu’il ne faut pas sous-estimer. Il vaut mieux avoir une bonne condition physique. Certains élèves peuvent s’externaliser, sur demande et autorisation, et donc suivre des cours dans des universités ou écoles qui ont des partenariats avec l’ESM (la Sorbonne, Assas, écoles de commerce…). Cela dure généralement entre un et deux semestres.

Quels sont les débouchés de cette école ?

On entre à l’ESM pour devenir officier, tout d’abord lieutenant à la tête de sa section. On sort de Saint-Cyr diplômé selon la filière dans laquelle nous étions. L’essentiel demeure le choix de l’arme (la spécialité) qui déterminera la carrière suivie dans l’Armée de terre. Cela dépend du classement, les premiers choisissant d’abord (il y a un certain nombre de places par arme). Il y a donc un seul débouché, même si la formation est très riche.

Vers quel parcours te diriges-tu cette année ? (Exemples : inscriptions parallèles en master, parcours spécifique ?)

Je n’ai pas fait le choix de l’externalisation. Je souhaite demeurer sur le camp et rester avec ma promotion. J’ai par ailleurs demandé une spécialisation en relations internationales.

Comment envisages-tu les deux années qui viennent ?

Je vais suivre le cours de la formation en espérant pouvoir choisir l’arme que je veux à la fin. Sinon, je n’ai pas encore d’idées précises pour mon mémoire du cinquième semestre qui déterminera la destination à l’étranger. Je suis globalement confiant. Même si la formation est parfois dure et toujours exigeante, j’ai bien l’intention de m’y accrocher, vivre pleinement ces années et ne rien regretter.

Vers quel domaine/secteur souhaites-tu t’orienter ? Quels sont le ou les projets professionnels qui t’attirent ?

Comme tout le monde à Saint-Cyr, j’aspire à devenir un bon officier. J’espère pouvoir poursuivre toute ma carrière dans les forces armées et remplir les missions qui me seront confiées. Dans l’immédiat, je souhaite choisir la cavalerie à la sortie de Saint-Cyr et plus particulièrement un régiment de cavalerie des troupes de marine.

Que retiens-tu de tes années de classe préparatoire littéraire ?

Deux choses, principalement dans le contenu et la forme, d’une certaine manière. Tout ce que les sciences humaines m’ont appris sur l’être humain et qui me sera très utile dans ce métier d’officier, où l’homme est cœur. Puis, j’en garderai aussi cette endurance du travail, ne pas s’effondrer devant la fatigue, le dépassement de soi en fin de compte.

Pour finir, quels conseils pourrais-tu adresser aux préparationnaires en A/L qui hésitent à passer l’ESM de Saint-Cyr ? Conseillerais-tu cette voie ?

Je leur dirais qu’il est essentiel de se poser les bonnes questions avant de s’engager dans cette voie, pour en saisir tous les enjeux. Car il s’agit bien d’un authentique engagement. C’est une très belle vocation, mais il faut se sentir attiré par le service de son pays et des Français. Il faut bien se renseigner avant d’en franchir les portes (non seulement sur l’école mais aussi et surtout, sur le monde militaire en général). Il n’est pas possible d’y entrer par dépit, parce que l’on n’a pas eu telle ou telle école. Il faut être enthousiaste et garder un esprit de jeunesse plein d’entrain. Je ne peux conseiller qu’une chose, le discernement pour un choix éclairé. À la fin de sa formation d’officier, le Saint-Cyrien est responsable d’un certain nombre d’hommes. Comment mener la troupe si le chef n’a que des regrets ?