Depuis quelques mois, le ministère prévoit d’apporter des modifications à la réforme de la prépa EC de 2020, consécutive à celle du lycée, et qui avait substitué aux filières caduques ECS et ECE une filière ECG avec quatre parcours distincts. L’orientation que semble prendre cette “réforme de la réforme”, qui mobilise un comité de pilotage réunissant toutes les parties prenantes de la filière, suscite une vive inquiétude du côté des professeurs. Nous relayons dans cet article la lettre ouverte rédigée par ces derniers et signée par près de 400 d’entre eux.

La liste complète des signataires est à retrouver sur ce document : Liste des signataires – Lettre ouverte

La lettre ouverte des professeurs de CPGE ECG

Objet : “vive inquiétude des professeurs de CPGE face à un projet de réforme de la filière ECG qui la dénature et porte atteinte à l’intérêt des étudiants” 

Madame, Monsieur,

 

Nous, enseignants de Classes Préparatoires, souhaitons vous faire part de notre vive inquiétude au sujet du projet de réforme des CPGE ECG qui nous a été présenté le 19 janvier lors d’un Comité de Pilotage au Ministère de l’Education Nationale :

 

– annonce de la fragilisation des classes dont le taux de remplissage n’atteindrait pas 80% de la quantité souhaitée par le Ministère s’il n’y a pas de réforme ;

 

– dans les classes préparatoires ECG (aux grandes écoles de commerce et de management), division par deux de l’horaire de mathématiques et informatique, alors que la réforme du lycée entraîne la formation de groupes terriblement hétérogènes mêlant des lycéens ayant suivi 1h30 de mathématiques en première à ceux qui ont suivi 6 heures ou 9 heures (spécialité plus maths expertes) ;

 

– création d’une option « mathématiques avancées », qui ne serait pas proposée dans tous les lycées mais pourrait l’être dans les « grandes prépas ».

 

 La filière ECG repose sur quatre piliers : les langues vivantes, les lettres et la philosophie, les mathématiques et les sciences humaines. Les mathématiques permettent à nos étudiants de poursuivre leurs études en comptabilité, finance, contrôle de gestion, systèmes d’information, actuariat, mais aussi dans des masters qui nécessitent de plus en plus d’algèbre, de statistiques et d’informatique, en lien avec la gestion de données massives, les questions liées à l’intelligence artificielle ou encore la logistique. 

Ces poursuites d’études sont plébiscitées par beaucoup d’étudiants, et tout particulièrement par ceux dont les origines sont les plus modestes, du fait de la qualité et la sûreté des emplois qu’elles leur offrent. 

Dans ce contexte, comment ne pas être sidérés de voir le Ministère proposer un projet qui entre en totale contradiction avec la volonté affichée par le gouvernement d’ériger l’enseignement des mathématiques comme cause nationale ; en contradiction également avec l’inquiétude exprimée avec force, ces derniers mois, par les grandes entreprises sur les besoins importants de compétences mathématiques pour les entreprises ?

 

Comment ne pas être sidérés face à un projet qui risque de creuser fortement les inégalités? 

 

Inégalités de genre, d’abord : la filière ECG a la particularité d’être une filière d’excellence où la parité est quasiment toujours présente. La réforme du lycée a montré à quel point les systèmes modulaires peuvent creuser les inégalités, en particulier quand ils concernent le choix par les jeunes femmes de faire ou non des mathématiques. Comment ne pas craindre que le projet de réforme n’aboutisse à plus d’inégalités au détriment des femmes ?

 

Inégalités territoriales, ensuite : l’option « mathématiques avancées » ne serait pas proposée dans tous les lycées, mais pourrait l’être seulement dans les « grandes prépas », fermant ainsi peu ou prou aux élèves des « petites prépas » de province ou de banlieues l’accès aux écoles du top 5, ainsi qu’à la poursuite d’études dans les filières évoquées plus haut.

 

Quant à l’intention affichée de mettre un maximum d’étudiants dans les classes, ceci ne peut aboutir qu’à concentrer un peu plus l’offre de formation dans les grandes métropoles au détriment des territoires périphériques, en augmentant le prix des études et la précarité des étudiants. Comment ne pas nous interroger sur l’égalité des chances et sur la représentation géographique et sociale dans nos élites de toutes les composantes de la société ?

 

 

Nous alertons donc fortement sur les risques importants que le projet de réforme comporte, et nous contestons la méthode employée :

– réforme annoncée avant même la nécessaire évaluation de la précédente réforme de la filière, remontant à 2021, et dont la première promotion n’a même pas encore passé les concours ;

 – après avoir affirmé qu’il n’y avait pas de projet de réforme, puis nié que les projets qui circulaient étaient de vraies hypothèses de travail, la dernière réunion de COPIL (Comité de Pilotage de la réforme) a montré qu’il était bien prévu, depuis le début, de fermer certaines classes et baisser massivement l’enseignement de mathématiques en Classes Préparatoires ECG.

 

L’enseignement de culture générale (lettres et philosophie) a lui aussi fait l’objet de menaces de diminution de son volume horaire. A travers la culture générale, c’est notamment l’acquisition de compétences fondamentales qui est en jeu : la rédaction, l’argumentation, la structuration de la pensée, la problématisation, etc.

Cette menace sur le volume horaire se double d’une autre menace : celle de transformer la culture générale en un enseignement de questions contemporaines coupées des humanités, ce qui reviendrait à une mutilation portant atteinte aux ressources les plus vives de l’esprit critique. Ce serait là un pas inadmissible vers la superficialité. Généralement, les étudiants aiment cette matière et se souviennent ensuite avec bonheur d’avoir suivi un enseignement qui permet aux cadres qu’ils sont devenus d’avoir davantage de distance réflexive sur leur action et donc de mieux dominer leurs tâches.

  

Nous pensons qu’à rebours du projet annoncé, des parcours différenciés et ambitieux seraient préférables à un tronc commun qui nivelle par le bas, et des spécialités faméliques qui ne permettent pas d’atteindre le niveau de compétence nécessaire pour poursuivre des doubles diplômes et des masters exigeants proposés en Ecoles de Management.

 

Nous sommes convaincus que les CPGE ont toujours un rôle à jouer, tant pour la promotion de l’égalité des chances que pour le maintien d’un maillage fin de l’offre d’éducation dans les territoires, ainsi que pour contribuer à la puissance économique et industrielle de la France.

 

 C’est pourquoi nous nous opposons fermement à ce projet et nous nous permettons de vous en présenter les modalités et les risques.