éternité analyse

Introduction

Ce deuxième article vise à approfondir la réflexion autour de cette notion (surtout d’un point de vue philosophique) et d’aborder les thèses de quelques auteurs clés sur ce thème. Nous avons vu, lors du premier article, que cette notion est complexe dans sa définition et qu’elle apparaît à certains égards éminemment paradoxaux. Ainsi, nous aborderons quelques thèses et les analyserons afin d’approfondir la compréhension de cette notion.

L’éternité, nous l’avons vu, se définit comme une durée sans début ni fin ; paradoxalement c’est donc une durée qui n’admet pas de durée. Ainsi, elle apparaît difficilement perceptible, et encore plus difficilement compréhensible pour l’esprit humain qui est, de facto, borné puisque vivant. Pourtant on parvient – et ce de façon plus ou moins consciente – à la concevoir et à l’imaginer. Dès lors, l’expérience de l’éternité que nous connaissons ne se résume-t-elle qu’à une croyance ou peut-elle prendre une forme sensible ?

L’éternité n’est-il que croyance ?

L’éternité est fondamentalement liée à la croyance et à la religion puisqu’il est difficile à concevoir. Il semble alors que la croyance, plus précisément la représentation de notre croyance (à savoir Dieu ou les dieux) est la seule chose qui soit fondamentalement éternelle. En effet, en reprenant l’analyse faite dans l’article précédent, il apparaît que fondamentalement Dieu soit la seule chose à ne connaître ni commencement, ni fin. Paradoxalement il précède toute chose – y compris lui-même – et suit toute chose ; il était présent avant la création et sera là après la fin, il est véritablement éternel. L’éternité, c’est donc avant tout un concept fortement lié à la religion et beaucoup de penseurs chrétiens l’ont étudié.

C’est le cas d’un janséniste très connu Saint-Augustin qui, dans le livre XI de ses célèbres Confessions y consacre un chapitre : « l’éternité et le temps ». Dans ce chapitre Saint-Augustin explique le concept d’éternité en le distinguant de celui de temps. Il nous explique que l’on ne comprend pas le concept d’éternité précisément parce qu’on essaye de le comprendre à partir du schéma classique de temporalité. Or le temps – tout comme l’espace – n’existent pas : ils ne sont qu’une création de Dieu. Par ailleurs, le processus de création n’admet pas intrinsèquement de temporalité ; Dieu n’a pas décidé de créer à un moment T la Terre, mais au contraire cette création est intrinsèque à Dieu lui même. Elle n’est donc pas un processus qui admet une temporalité puisque la temporalité est elle même création de Dieu. On ne peut donc situer la création dans une temporalité quelconque puisqu’elle préexiste à toute forme de temporalité, d’une certaine façon elle est, comme Dieu, éternelle.

« Ils ne comprennent pas encore comment les êtres sont créés par toi et en toi, et ils s’efforcent de concevoir ton éternelle sagesse : mais leur cœur flotte encore au milieu de ces successions de passé et d’avenir, et se perd dans ces vaines pensées. » (Saint-Augustin, Les Confessions, XI)

L’homme, nous explique-t-il, ne peut comprendre l’éternité puisqu’il la confond avec le temps infini. Or, l’éternité n’a rien a voir avec le temps : elle en-deçà et au-delà du temps, elle est autre, elle est Dieu. Il faut bien comprendre ici qu’il est absurde d’imaginer que l’éternité et le temps soient liés. En effet, si l’on considère que la création admet une temporalité, c’est-à-dire qu’il y avait un avant la création et donc que le temps existait déjà. Cependant, Saint-Augustin nous explique que le temps lui-même est une créature de Dieu, il ne peut donc y avoir d’avant ou d’après. La création tout comme Dieu n’admettent donc aucune temporalité : il n’y a pas d’avant, pas d’après. Ainsi, l’éternité est quelque chose de fixe, d’immuable contrairement au temps qui, par définition, ne cesse d’être mouvant.

Pourtant il semble paradoxal de définir l’éternité de la sorte puisqu’il relèverait seulement de la croyance, de l’imagination puisque, d’un point de vue cartésien, il n’existe aucune preuve tangible de l’existence de Dieu ou même de l’existence de l’éternité.

L’éternité chez Platon : un monde distinct 

Le problème de l’éternité se pose alors : relève-t-il d’une forme de réalité que l’on peut expérimenter ou, a minima, dont on peut prouver l’existence ou bien d’une simple croyance relevant de l’esprit ?

Dans sa Critique de la raison pure, E. KANT appelait les Idées de la raison, l’ensemble des choses dont justement on ne pouvait pas faire l’expérience, ni prouver scientifiquement mais dont on avait la connaissance. il s’agit du Moi, du Monde et de Dieu. L’éternité appartiendrait donc à cette catégorie de choses qu’on ne peut expérimenter, mais dont l’esprit humain parvient à capter l’existence. Comment cela est-t-il possible ?

Il est intéressant ici de revenir à la définition platonicienne de l’éternité. Platon distingue dans ses écrits le monde sensible (celui dans lequel nous vivons) et le monde des Idées, de l’intelligible. Selon lui les concepts, notions et idées abstraites existent réellement : ils sont immuables et universels. Ainsi ce monde des Idées est l’éternité même : fixe, universel et sans aucune temporalité. Pourtant loin d’être inaccessible chaque homme peut en faire l’expérience. En effet, l’homme accède à ses idées par des réminiscences : « comme l’âme est immortelle et qu’elle renaît plusieurs fois, qu’elle a vu à la fois les choses d’ici et celles de l’Hadès » (PLATON, Le Ménon,). L’homme est donc capable de reconnaître une vérité universelle, une Idée car son âme – immortelle – l’a déjà vu. Ces réminiscences sont la véritable expérimentation par l’homme de cette éternité. Ainsi ces instants de réminiscence est véritablement le lien entre l’éternité et la temporalité du monde sensible, ils sont ce qui permet à l’homme de ressentir voir presque d’appréhender l’éternité.

Se pose alors la question du lien entre l’éternité et la temporalité, peut-on réellement penser l’éternité comme on l’a fait jusqu’ici comme complètement différente de la temporalité ? Et existe-t-il comme semble nous dire Platon, des liens entre cette éternité fixe et la temporalité humaine mouvante ?

Le paradoxe hégelien de l’éternité

Hegel est un grand penseur du temps qu’il définit comme « pur écoulement du maintenant dans la succession. » Sa définition de la notion d’éternité diffère de ce qu’on a vu jusqu’à présent. Il n’oppose pas l’éternité et le temps mais au contraire définit cette notion par et à travers le temps ce qui semble, du moins après ce qu’on a vu, éminemment paradoxale. Pour lui le temps même est éternel.

« Nous parlons de devenir, de passé, comme de parties du temps ; mais le temps vrai est éternel, est l’éternel présent, le temps comme image immédiate de l’éternel n’a ni avenir ni passé. » (HEGEL, Encyclopédie des sciences philosophiques)

L’identité même du temps, nous dit-il, est cet éternel présent qui le compose. Le temps, en tant qu’éternel présent, n’est plus composé de dimensions temporelles, il n’y a pas d’avant, pas d’après, pas de dimension temporelle mais simplement un maintenant sans autre fin. Le temps est intrinsèquement l’éternité d’un présent absolu.

Finalement, nous dit Hegel, l’éternité est ce maintenant qui sort des structures temporelles du temps, un maintenant qui n’admet pas de passé ni de futur. Cette thèse sur l’éternité est très intéressante puisqu’elle suggère implicitement que cette éternité peut être expérimentée par chacun de nous ; en effet, ce maintenant absolu, quasiment irréel ne peut-il pas être ressenti par chacun de nous, notamment devant la contemplation d’une œuvre d’art ? (Nous y reviendront plus précisément dans le troisième article).

Cependant cette signification reste quelque peu paradoxale et plutôt difficilement intelligible. En effet, d’après la définition qu’Hegel donne au temps il semble déroutant de définir l’éternité à partir de cette succession.

Conclusion

Les différentes thèses abordées dans cet article sont plutôt complexes. Elle témoigne de la difficulté de définir une notion qu’on ne peut véritablement expérimenter. Bien que le sens premier d’éternité (une durée sans début ni fin) est largement compréhensible : on ne peut la rattacher à quelque chose de concret puisque notre vie est consubstantielle à l’écoulement du temps.

Pour conclure, l’éternité est absolu, une forme d’irréel dont le rapport à la temporalité est ambigüe, qu’on ne peut atteindre mais dont on pourrait peut-être expérimenter.