Quelques mots sur l’auteur et son oeuvre

  • L’ouvrage de Rousseau intitulé Les Rêveries du Promeneur Solitaire a été publié en 1778, ce qui fait de Rousseau un « pré-romantique ». En effet, nombreux sont ceux qui donnent comme date de commencement du mouvement romantique l’année de publication des Méditations Poétiques de Lamartine soit 1820. Cependant, Rousseau possédait d’ores et déjà les caractéristiques d’un véritable romantique : il était assez tourmenté, cherchait à mieux se comprendre, à comprendre les hommes tout en se sentant différent d’eux, et surtout cherchait à exprimer au mieux ses sentiments, son amour ou ses désillusions.
  • Les Rêveries du Promeneur Solitaire est une œuvre qui relève de l’autobiographie dans la mesure où il est question pour Rousseau de revenir sur son être au travers de promenades. C’est d’ailleurs pour cela que cette autobiographie est découpée en dix promenades. Ces promenades, Rousseau les a véritablement réalisées et au cours de celles-ci, il écrivait ses réflexions sur des petites cartes avant de tout coucher sur papier.

Prenons pour commencer la cinquième promenade : il est ici question pour Rousseau de raconter son exil loin des hommes sur l’île de Saint-Pierre.

Chercher à se connaître par les souvenirs 

  • Toute la première partie de cette promenade est écrite au passé : Rousseau se souvient d’un moment difficile de sa vie, mais qui a contribué à la construction de son identité, de la personne qu’il est au moment de l’écriture.
  • La description de l’île lui permet de mieux se souvenir : en effet, la description centripète de l’île (il part des rives avant de revenir vers le cœur de l’île) lui offre la possibilité de revenir au cœur de lui-même, de sa mémoire et de ses souvenirs. Ce que Rousseau désire ici c’est se recentrer sur lui-même, ce que l’on note d’ailleurs très vite de par la présence des nombreux verbes pronominaux. Le paysage offre les conditions propices au recueillement.
  • Rousseau revient ici sur une période de sa vie qui l’a marqué, au travers de souvenirs précis et intenses. Le but de cet ouvrage est de permettre à Rousseau de retracer sa vie et de la partager avec le lecteur, chose qui n’est possible que par le souvenir mais Rousseau cherche à retranscrire au mieux ses souvenirs pour permettre au lecteur de s’immiscer dedans.

Le paysage romantique ou « locus amoenus » 

  • Nous avons ici une description d’un paysage que l’on peut qualifier de paysage romantique. En effet, la description que nous propose ici Rousseau a quelque chose de charnelle, de romantique, due notamment aux allitérations de consonnes en labiales ([b], [v], [p]). Mais si ce paysage a tant d’importance c’est aussi parce qu’il reflète la pure nature intacte du sujet, il ne fait appel qu’à son imagination et impose une relation entre le sujet et l’espace pour exister.
  • Michel Collot, dans Paysage et poésie du romantisme à nos jours, définit le paysage comme étant ce qui est embrassé par le regard d’un sujet, c’est-à-dire qu’il n’y a paysage que s’il y a un observateur. Ainsi, le paysage établit une relation avec le sujet, et permet ainsi à ce dernier de se replonger dans sa mémoire et ses souvenirs. Le paysage reflétant la nature du sujet, il fait automatiquement remonter à la surface des souvenirs. Le paysage devient une aide pour Rousseau.
  • Si l’on va plus loin, nous pouvons aussi prêter attention à l’analyse du paysage que fait Julien Gracq dans son ouvrage En lisant, en écrivant. Il y explique que le paysage permet de représenter le paysage de la vie : si un paysage nous parle, c’est que nous y voyons l’image du temps de la vie. Là aussi, nous comprenons que le paysage est une aide pur Rousseau car c’est lui qui l’aide à faire resurgir ses souvenirs. Le paysage illustre le sujet et donc ses souvenirs.
  • Que ce soit lors de ses promenades ou plus directement dans ses souvenirs, Rousseau part toujours de la description de paysage pour remonter le fil de ses pensées et de sa mémoire.
  • Non seulement ses promenades et donc la marche, l’observation des paysages l’aident à se remémorer, mais c’est bien l’écriture qui joue un rôle majeur dans la quête de soi de Rousseau.

Ecrire pour se souvenir 

  • En effet, pour Rousseau l’œuvre littéraire est le lieu et  le moyen d’une résurrection du passé, d’une actualisation d’un bonheur révolu. C’est en écrivant que Rousseau se souvient. Son ouvrage une fois terminé lui permet de réaliser autrement le vœu qu’il exprime à la fin de cette promenade, c’est-à-dire faire de ce lieu « une prison éternelle ». Le texte lui permet d’y revenir en imagination.
  • Ecrire est le moyen pour Rousseau de plonger au plus profond de sa mémoire, de chercher les souvenirs les plus enfouis et de se souvenir tout simplement. Sa mémoire ne s’active qu’au moment de l’écriture, au moment où il plonge dans les abysses de sa pensée pour en extraire les moments les plus importants de sa vie.
  • Il est vrai que le paysage, la nature et ses promenades en forêt l’aide à  réactiver ses souvenirs mais chez Rousseau l’écriture est la pièce maitresse dans sa quête de soi.

Que faut-il retenir ?

  • Rousseau écrit dans le but d’apprendre à se connaitre : on peut parler ici d’introspection.
  • Il profite de ses promenades pour réfléchir sur sa vie. Les paysages sont l’occasion pour lui de revenir sur des moments importants de sa vie et ils illustrent la nature du sujet et lui permet donc de faire remonter les souvenirs.
  • L’écriture est le moyen pour Rousseau d’activer sa mémoire.

Citations intéressantes

« On ne m’a laissé passer guère que deux mois dans cette île, mais j’y aurois passé deux ans, deux siècles & toute l’éternité sans m’y ennuyer un moment »

« J’ai remarqué dans les vicissitudes d’une longue vie que les époques des plus douces jouissances & des plaisirs les plus vifs ne sont pourtant pas celles dont le souvenir m’attire & me touche le plus. Ces courts moments de délire & de passion, quelque vifs qu’ils puissent être, ne sont cependant, & par leur vivacité même, que des points bien clairsemés dans la ligne de la vie. Ils sont trop rares & trop rapides pour constituer un état, & le bonheur que mon cœur regrette n’est point composé d’instants fugitifs mais un état simple & permanent, qui n’a rien de vif en lui-même, mais dont la durée accroît le charme au point d’y trouver enfin la suprême félicité. »

« Les hommes se garderont, je le sais, de me rendre un si doux asile où ils n’ont pas voulu me laisser. Mais ils ne m’empêcheront pas du moins de m’y transporter chaque jour sur les ailes de l’imagination, & d’y goûter durant quelques heures le même plaisir que si je l’habitois encore. Ce que j’y ferois de plus doux seroit d’y rêver à mon aise. En rêvant que j’y suis ne fais-je pas la même chose ? »

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