faire sa prépa à la réunion

Dans la grande galaxie des classes préparatoires, un mythe très « métropolitain » a longtemps été en vogue, à savoir l’histoire des « CPGE cocotiers ». Pour le dire autrement, les profs et les élèves des classes prépas en outre-mer et sous les tropiques seraient soupçonnés de trop « se la couler douce » ; vivre sous les tropiques n’inciterait pas à un travail aussi rigoureux que dans l’Hexagone. Les CPGE de ces départements français n’arrivent pas à se défaire de cette rumeur qui les sépare géographiquement et symboliquement de la métropole.

Qu’en est-il au juste ? Est-ce que faire sa prépa en outre-mer, c’est « vraiment trop tranquille » ? Nous avons voulu en avoir le cœur net ! Fort de son armée de Majors présents sur tous les continents, Major-Prépa a pu enquêter sur l’île de La Réunion. Au programme ? Nous commencerons par un aperçu du contexte éducatif à La Réunion, suivi d’une immersion au sein de la prépa du lycée Bellepierre, à Saint-Denis, pour tenter de dégager les spécificités géographiques, culturelles et socio-économiques réunionnaises qui seraient à l’origine du mythe.

Quelques éléments de contexte sur le système scolaire réunionnais

Avant tout chose, voici quelques éléments utiles pour contextualiser notre enquête dans le système éducatif réunionnais et ainsi mieux comprendre le sujet abordé, au niveau des prépas.

#1. Un département « jeune »

La Réunion qui, on le rappelle, a un statut de DOM (département d’outre-mer) se situe à plus de 10 000 km de la métropole. Sur cette île de l’Océan indien, on dénombre plus de 850 000 habitants (le million sera probablement atteint d’ici 2030).

La population y est jeune : un habitant sur trois a moins de 20 ans. On y compte ainsi plus de 250 000 élèves, de la maternelle à l’université.

#2. Une géographie de la réussite au bac ?

Si l’on s’intéresse aux taux de réussite du baccalauréat à La Réunion par rapport à la métropole, on observe quelques tendances durables dans le temps :

  • on réussit mieux son bac général à La Réunion par rapport à la moyenne nationale ;
  • en revanche, on peut noter des taux de réussite globalement inférieurs à la métropole pour les bacs technologiques et professionnels.

Se pose alors la question de l’existence d’une « géographie » de la réussite au bac, selon la voie choisie. Les paramètres seraient les inégalités sociales et économiques propres à chaque territoire, mais aussi l’implication variable des familles dans la scolarité. La Réunion, comme tout département français, est un territoire socialement fragmenté.

#3. La question de la langue créole à l’école

La Réunion possède une langue régionale (statut officiel obtenu en 2002, via la loi Deixonne), le créole réunionnais.

La question des pratiques langagières à La Réunion reste particulièrement complexe quand elle concerne l’école. Deux grands enjeux se font écho.

1. D’un côté, de nombreux élèves se retrouvent en situation d’échec scolaire pendant leur scolarité, car ils sont issus de famille où l’on ne parle que créole (c’est le cas pour 50 % des ménages réunionnais). Ils ne sont pas aidés par une institution scolaire qui considère encore majoritairement que le créole n’a pas sa place à l’école en tant qu’outil de communication, car il entraverait l’apprentissage du français.

2. D’un autre côté, une certaine revalorisation du créole a récemment été impulsée (possibilité de suivre la LV2 créole ou l’option créole au lycée, création d’une licence et d’un CAPES de créole à l’université de La Réunion). Toutefois, c’est comme si cette langue n’était légitime et valorisée qu’à travers une approche intellectualisée. Ainsi, cela fait du créole une matière scolaire et non plus une pratique sociale ; laissant de côté la problématique de fond, à savoir la cohabitation entre langues française et créole au quotidien.

#4. Un système d’études supérieures relativement similaire au modèle métropolitain

La Réunion comptait à la rentrée 2019/2020 environ 21 300 étudiants. La majorité des étudiants de l’île suivent des cursus à l’université ou en IUT, préparent des BTS ou sont inscrits en écoles privées (paramédical, social, etc.).

Quant aux étudiants de CPGE, ils sont 798 cette année. Ce chiffre pourrait paraître dérisoire, mais en termes de proportion, nous sommes juste au-dessus de la métropole (3,8 % des étudiants réunionnais sont en CPGE, contre 3,3 % en métropole).

faire sa prépa à la réunion

Les écarts de répartition avec la métropole s’expliquent par l’offre d’études supérieures plus limitée, du fait de l’isolement du territoire.

Sur les 48 lycées présents sur l’île, sept d’entre eux offrent des cursus CPGE, soit 14,6 %. Ce qui est sensiblement plus élevé qu’en métropole, où 11,4 % des lycées disposent de classes préparatoires. Néanmoins, seul un lycée (Bellepierre) propose depuis 1993 une CPGE économique et commerciale, tandis que plusieurs lycées disposent de voies littéraires (BL) ou scientifiques (MPSI, PCSI, BCPST).

faire sa prépa à la réunion

Notons enfin que l’île ne dispose pas de « grande école » (ni école de commerce ni école d’ingénieurs accessibles après les concours, ni même d’autres grandes écoles publiques) ; ce qui suppose nécessairement une mobilité de la part des étudiants après leur cursus en CPGE.

Le quotidien en prépa HEC à La Réunion

Le contexte scolaire ayant été posé, intéressons-nous maintenant au quotidien concret d’étudiants en CPGE. Major-Prépa s’est entretenu avec Timothée, Loïck et Allan, trois étudiants en deuxième année de prépa au lycée Bellepierre.

faire sa prépa à La RéunionDe gauche à droite : Timothée, Loïck et Allan, en deuxième année de prépa HEC au lycée Bellepierre à La Réunion, voie ECT.

Pourquoi une prépa, et pourquoi à La Réunion ?

Après un bac STMG en poche, les trois garçons se sont dirigés vers une classe prépa, voie ECT. Ils étaient motivés par l’excellence du cursus, encouragés par leurs profs et leur famille. Jusque là, il n’y a effectivement pas de différence avec les préparationnaires métropolitains. Dans les deux cas, il s’agit de se construire un parcours d’études supérieures d’excellence.

« Ici, la prépa constitue certainement l’unique voie d’excellence possible, pour pouvoir être encadré, et poursuivre des études longues et prestigieuses. » (Timothée)

La première particularité réside plutôt dans le fait qu’il y a une seule et unique CPGE HEC à La Réunion. Les possibilités sont donc limitées, à moins de partir en métropole directement après le bac ; ce qui constitue un choix que très rarement plébiscité.

« Le rythme de la prépa c’est déjà une grosse adaptation en temps normal, donc devoir en plus s’adapter à la vie en métropole, ça fait beaucoup trop d’un coup, mieux vaut le faire en deux fois, d’abord la prépa, puis ensuite l’école en métropole. » (Timothée)

Les mêmes efforts d’adaptation que les préparationnaires métropolitains, à quelques exceptions près

Comme chaque élève qui entre en prépa, les trois amis ont dû participer à la remise à niveau du groupe. Petite particularité tout de même, comme évoqué plus haut : il a fallu que la classe apprenne à se détacher du créole, du moins pendant le temps scolaire.

« Ici, le créole c’est majeur. La langue c’est une vraie barrière. Certains élèves qui arrivent au lycée ne parlent presque que créole, et ils sont nombreux. Ils doivent faire des efforts pour comprendre et rattraper le niveau. Ceux-là arrivent en prépa désavantagés, surtout pour les exercices d’expression orale, ça leur demande plus de travail. » (Loïck)

Par ailleurs, comme en métropole, il a fallu s’adapter au rythme intense d’une CPGE et de l’encadrement exigeant qui va avec. Ils ont pu goûter au bonheur des khôlles et des devoirs surveillés hebdomadaires, des sessions d’entretien le samedi matin. Comme pour tous, il s’agit de s’en sortir avec un emploi du temps blindé au maximum, en faisant quelques sacrifices.

« Je ne suis pas allé à la plage pendant deux ans ! » (Timothée)

N’oublions pas non plus les problèmes logistiques, la découverte des joies de la cuisine et du ménage, pour ceux qui n’ont pas pu rester chez eux.  C’est le cas pour Timothée et Allan qui ont dû quitter leur famille (située à Saint-Pierre, au sud de l’île). Loïck a pu rester chez ses parents.

Quelques particularités dues au caractère insulaire de La Réunion

Au-delà de la vue sur mer et des palmiers qui poussent en profusion dans la cour du lycée, il existe quelques éléments vraiment originaux qui caractérisent les préparationnaires de La Réunion.

Le climat rythme l’année

La rentrée scolaire a lieu autour du 15 août, les étudiants de CPGE à La Réunion entrent plus tôt dans l’arène. Toutefois, ils doivent composer avec une pause de cinq semaines (mi-décembre jusqu’à fin janvier) qui correspond à de grandes vacances en plein milieu de l’année, à cause de la chaleur accablante. Bon courage pour maintenir une cadence de travail dans ces conditions !

« C’est impossible de bosser, il fait beaucoup trop chaud. Et en plus, si on n’a pas la clim dans les salles, c’est mort ! » (Allan)

Les cours commencent aussi plus tôt, à 7 h 30, de façon à pouvoir travailler « à la fraîche ».

Quand un cyclone décide de pointer le bout de son nez (on compte en moyenne une douzaine de systèmes cycloniques par an, plus ou moins forts, répartis de novembre à avril), pas de négociation possible, les établissements sont fermés en cas d’alerte forte. Cela constitue un réel imprévu qui vient entraver le rythme des préparationnaires.

faire sa prépa à la Réunion
Source : Page Facebook – prépa ECT lycée Bellepierre

La distance, les écoles et les concours

Quand on est en métropole, les écoles viennent en général rendre visite aux prépas, afin de présenter leurs programmes. À La Réunion, 10 000 km plus loin, la situation est un peu différente. Les étudiants peuvent parfois avoir le sentiment d’être laissés de côté. En effet, en deux ans de scolarité, Timothée, Loïck et Allan n’ont reçu la visite que de quelques écoles, et parfois de manière informelle.

« Souvent, quand une école vient, ce n’est pas vraiment l’école. C’est un étudiant qui monte un projet un peu bidon, se fait financer le billet, et vient présenter son école. Lui, ça lui permet de rentrer gratuitement chez lui quelques jours, et nous on découvre une école ! » (Timothée)

Les concours se passent dans le lycée qui devient centre d’examen, ce qui donne une tournure assez familière à ces épreuves aux enjeux pourtant colossaux. Ici, il n’est pas question de choisir un centre d’examen stratégique comme cela peut se faire en métropole. Cela accentue la singularité de l’expérience en prépa à La Réunion.

Quant au Tour de France des oraux, les préparationnaires n’y échappent évidemment pas. Il est toutefois assez difficile de se projeter et d’organiser toute la logistique (trains, logements, etc.). La majorité des élèves n’a jamais mis les pieds (ou rarement) sur le territoire hexagonal. Pour l’anticiper au mieux, ils peuvent compter sur le réseau dense et efficace des anciens de la prépa, passés par là avant eux. Certains ont aussi un peu de famille en métropole, pour les épauler. Enfin, pour faire face au budget plus élevé (un billet d’avion A/R coûte en moyenne 632 €), des aides du département et de la région existent.

La mobilité vers la métropole

C’est une étape inévitable puisqu’il n’y a pas de grande école de commerce sur l’île. Après deux ans en prépa dans des conditions relativement familières, les étudiants ont hâte d’aller étudier dans les écoles et de « sauter la mer » (aller s’installer en métropole).

Le choix des écoles ne sera toutefois pas anodin. Au-delà des programmes et spécialités de chacune, le climat métropolitain fait peur !

« Si je peux choisir, moi ça sera Montpellier, Bordeaux ou Toulouse. Je prends sérieusement le climat en considération dans mon choix, sinon je ne tiendrai pas ! » (Timothée)

Notons par ailleurs qu’il existe de vraies incitations politiques et économiques pour faciliter le départ et l’intégration des Réunionnais en métropole (associations locales et nationales, bourses, prise en charge du billet, priorité pour disposer d’un logement étudiant). À l’origine de cela se trouve la déploration d’une situation très précaire pour les jeunes Réunionnais (42 % des 16-25 ans sont au chômage) et un rapport distancié à la valeur travail. Aller en métropole constitue une opportunité de se diplômer. La Réunion est en effet la troisième région française ayant le moins de diplômés du supérieur.

Revenir après les études ?

Loïck, Allan et Timothée envisagent de revenir après leurs études en métropole et quelques expériences professionnelles à l’étranger. L’envie étant d’aller d’abord explorer d’autres contrées, se créer un réseau, enrichir son CV, pour mieux revenir ensuite.

« J’aimerais me lancer dans l’entrepreneuriat, dans l’économie sociale et solidaire, et certainement à La Réunion. » (Allan)

Ce positionnement est cohérent avec la tendance de fond visible à La Réunion. Seuls 31 % des natifs diplômés en métropole s’y sont installés (surtout en Ile-de-France et dans le Sud). Les 69 % restants sont rentrés à La Réunion.

Résultat des courses ? Oui ! On bosse « sous les cocotiers », il n’y a plus de doutes à avoir ! L’expérience se révèle toutefois singulière sur certains points, du fait des particularités géographiques et des réalités socio-économiques propres à l’île. Pour en savoir plus sur la sociologie de La Réunion, n’hésite pas à consulter notre article qui traite le sujet.