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Le partage de la valeur ajoutée est un thème mobilisable dans de nombreux sujets d’ESH. C’est pour cela qu’une analyse de l’évolution du partage de la valeur ajoutée est nécessaire pour répondre aux éventuelles problématiques des sujets de concours. 

Le bon partage de la valeur ajoutée existe-t-il ? 

Pour l’économiste David Ricardo, dans son ouvrage datant de 1817 et s’intitulant Des principes de l’économie politique et de l’impôt, « déterminer les lois qui règlent cette distribution [est] le principal problème en économie politique ».

D’un point de vue empirique, le partage de la valeur ajoutée (mesurée aux coûts des facteurs de production, c’est-à-dire sans la part revenant aux administrations publiques), est de 1/3 pour le capital et de 2/3 pour le travail, selon Bowley en 1937 au Royaume-Uni et selon Kaldor (A Model of Economic Growth) en 1957 aux États-Unis. Longtemps, les économistes ont considéré que cette répartition était stable à long terme. Or, les dernières décennies ont été marquées par une déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment du travail. Cependant, malgré les variations conjoncturelles possibles de cette « constante de Bowley », celle-ci est tout de même toujours observée. C’est l’un des résultats inexplicables de l’économie. 

La déformation du partage de la valeur ajoutée 

Dans une interview au Financial Times en 2007, Alan Greenspan, l’ancien Président de la Federal Reserve Bank, exprimait sa perplexité devant cette « caractéristique très étrange » du capitalisme contemporain : « La part des salaires dans le revenu national aux États-Unis et dans d’autres pays développés atteint un niveau exceptionnellement bas selon les normes historiques. »

Dans l’ensemble des pays du monde, la part de la valeur ajoutée distribuée aux salariés a baissé depuis le début des années 1980. Il s’agit d’une tendance de long terme que l’on observe aussi bien dans les pays avancés que dans les pays en développement. 

En ce qui concerne les profits, ces derniers sont utilisés pour payer les actionnaires (sous forme de dividendes et de rachats d’actions), ou peuvent aussi être réinvestis à l’étranger, investis dans les moyens de production ou encore mis en réserve. Une part accrue de ces profits est distribuée aux actionnaires, sous la forme de dividendes ou de manière indirecte par le rachat d’actions.

La baisse de la part des salaires n’a pas engendré un surcroît d’investissement mais une distribution accrue de dividendes. La baisse de la part salariale a donc servi à reconstituer le taux de marge (part de la valeur ajoutée revenant au capital), mais n’a pas tiré l’investissement. Ce qui veut dire que ce gain a été consacré à autre chose qu’à l’élargissement des capacités productives ou à l’amélioration de la compétitivité hors coût. Autrement dit, celle qui passe par l’innovation, la qualité des produits. L’augmentation du taux de marge a nourri une augmentation des revenus financiers. C’est ce qu’on observe dans des pays comme les États-Unis, l’Allemagne, ou encore la France. 

Pourquoi une telle déformation du partage de la richesse produite ?

Une course entre l’homme et la machine

Tout d’abord, le progrès technologique, du fait de l’automatisation de nombreuses tâches ou du développement de l’intelligence artificielle par exemple, entraînerait une « course entre l’homme et la machine ». Le progrès technologique fait baisser le prix relatif des machines. Ce qui incite les entreprises à remplacer du travail par du capital et à accumuler ainsi plus de capital productif. Une autre explication technologique souligne l’utilisation croissante, dans la production, d’actifs immatériels tels que les brevets, la recherche et développement, ou encore les logiciels.

La baisse de la part des revenus du travail dans les pays avancés a été particulièrement sensible dans le cas des travailleurs moyennement qualifiés. La technologie a pris la place des travailleurs pour beaucoup des tâches répétitives qui leur étaient confiées. Ce qui a contribué à polariser les extrêmes : les emplois hautement qualifiés, d’une part, et peu qualifiés, de l’autre.

La mondialisation

Une autre explication peut être la mondialisation. Parce que la participation aux chaînes de valeur mondiales entraîne souvent la délocalisation des tâches à haute intensité de main-d’œuvre. L’intégration internationale a pour effet de diminuer la part du travail dans les secteurs de biens échangeables.

On peut noter que cette explication n’est pas incompatible avec la baisse de la part des salaires observée dans les pays émergents comme en Chine si les activités délocalisées sont plus intensives en capital que la moyenne au niveau de l’économie chinoise. Il est très difficile d’isoler la contribution spécifique de la mondialisation parce qu’elle se combine étroitement avec celle du progrès technique et celle du rapport de force entre employeurs et salariés, dont elle constitue l’un des éléments.

Une hausse des concentrations d’entreprises

Cela explique cette déformation du partage de la valeur ajoutée depuis les années 1980 en faveur des actionnaires. David Autor, dans « The Fall of the Labor Share and the Tise of Superstar Firms » (2017) fait ainsi le constat qu’aux États-Unis, l’intensité concurrentielle a baissé au moment où les dividendes des actionnaires ont atteint leur pic. L’économie est de plus en plus dominée par des entreprises « superstars ». Des entreprises américaines exercent une pression baissière sur les salaires compte tenu d’un pouvoir de négociation accru et d’une redistribution de la valeur ajoutée vers les profits au détriment des salaires.

Par conséquent, la part des salaires au niveau agrégé se réduit à mesure que le poids dans l’économie des firmes « superstars », qui ne se limitent pas au secteur numérique, grandit. On assiste ainsi à une relation négative entre la variation de la concentration et celle de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Cette évolution reflète le passage depuis les années 1980 d’un capitalisme contractuel à un capitalisme financiarisé, facilité par la globalisation financière (Michel Aglietta). Ce dernier a pour principe la maximisation de la valeur actionnariale, en cherchant à réduire le plus possible la part des salaires dans le revenu global. C’est la gouvernance actionnariale de l’entreprise.

L’évolution du partage de la valeur ajoutée doit-elle continuer à être en faveur des actionnaires ?

En réalité, de nombreuses conséquences négatives sont observées en raison d’un mauvais partage de la valeur ajoutée, qui néglige les salariés. En effet, la divergence entre salaires et productivité est susceptible d’avoir de profondes répercussions économiques. La baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée apparaît pour certains comme l’un des déséquilibres majeurs qui ont conduit à la crise des subprimes. C’est elle en effet qui a alimenté les bulles financières en gonflant les profits non investis et en incitant à un surendettement destiné à compenser le recul des salaires (Rajan).

De plus, une progression moins rapide des salaires relativement à la productivité du travail tend à affaiblir la demande globale, ce qui rend encore plus probable le scénario de stagnation séculaire. La propension marginale à consommer étant plus grande chez les ménages les plus modestes, la diminution de la part des salaires dans la valeur ajoutée pèse sur la consommation privée.