En pleine crise de l’Union européenne, retour sur un élément décisif qui a façonné son élargissement : les critères de Copenhague.

Un contexte historique particulier


Le 9 novembre 1989 le mur de Berlin s’effondre, ouvrant la voie à la réunification Allemande. Entre 1990 et 1991 le bloc de l’URSS se disloque, redonnant naissance à des Etats sur le continent européen (21 en tout). A l’Ouest, l’idée d’un agrandissement de la communauté européenne vers l’Est n’est pas nouvelle, mais devient enfin possible. A l’Est, alors que le système soviétique se dérobe apparaît la nécessité d’écrire une nouvelle page et ce avec le reste du monde. La transition vers un modèle capitaliste n’est pas aisée, et l’aide des autres pays européens de l’Ouest semble des plus salutaires. Ainsi des deux côtés de l’ancien rideau de fer se dessine le projet d’une intégration des PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale) dans la CEE (Communauté Economique Européenne).

Si l’élan réciproque d’unification des deux Europe était franc notamment au sein des PECO les plus proches de la Communauté Européenne (Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaque, Slovénie, Croatie), le défi restait de taille tant l’écart de développement, de modèle économique et social, de système politique et juridique était important. Dans un premier temps, ce sont les liens diplomatiques qui furent rétablis. Puis un programme d’aides financières à la réforme et à la reconstruction économique de ces pays fut mis en place sous le nom du Programme (à l’origine destiné uniquement à la Hongrie et la Pologne). Au début des années 1990, des accords d’association dénommés ont été signés afin d’intensifier les échanges économiques.La volonté était de préparer la convergence des modèles pour une future intégration totale.

Quels sont les critères choisis?

Les dirigeants européens ont donc réfléchi aux modalités d’intégration. Autrefois proche du cas par cas, avec des pays plus semblables, ces modalités devaient dorénavant apparaître comme des objectifs politiques indispensables avant toute intégration. C’est donc en 1993 lors du sommet de Copenhague que le Conseil Européen précise les conditions requises d’adhésion à la Communauté Européenne. Ces conditions sont logiquement appelées les “critères de Copenhague”. Trois critères sont consacrés:

  • > : soit la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, l’Etat de droit, le respect des minorités et leur protection ;

  • Critère économique : soit l’existence d’une économie de marché viable et capable de faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’Union ;
  • Acquis communautaire : soit l’aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion, et notamment à souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire.

Le Conseil européen n’ouvrira les négociations et n’apportera son aide que si la première condition est respectée. Ces trois critères forment aujourd’hui encore des conditions indépassables pour tout pays candidat. Mais les Conseils européens suivants vont ajouter de nouvelles règles, notamment celui de Madrid en 1995 où le système juridique et administratif se doit d’être capable de transposer l’ensemble des règles européennes. De même, en 2006 apparaît un quatrième critère venant compléter les précédents :

Capacité d’intégration : soit la capacité de l’Union à assimiler de nouveaux membres et à approfondir l’intégration. Elle implique que l’adhésion du pays soit compatible avec le fonctionnement efficace des institutions et les procédures décisionnelles de l’Union, et ne remette pas en cause les politiques communes et leur financement.

Cette dernière règle vient ralentir le processus d’intégration, notamment après la vague de 2004.Ainsi, en l’espace de quinze ans, ce sont onze des vingt-et-un PECO et quatorze pays en tout qui ont réussi à intégrer l’Union Européenne, en respectant les « critères de Copenhague ». La Serbie, le Monténégro, l’Albanie et la Macédoine sont candidats et doivent encore travailler pour finalement respecter ces critères. Le cas turc est lui particulier, car la volonté d’adhésion de ce pays à l’Union n’est pas nécessairement limpide. A ce titre, monsieur Erdogan compte organiser un référendum de consultation national.

La force des critères de Copenhague ne s’effacerait-elle pas?

Le Brexit est une première dans la (dé)construction européenne, et symbolise la perte d’attractivité de l’Union, allant jusqu’à son rejet. De même l’Islande a récemment mis fin à sa candidature pour intégrer l’UE, et comme il est mentionné plus haut, la Turquie ne trouve plus le même intérêt qu’auparavant à intégrer le communauté européenne après plusieurs décennie d’espérance. La crise migratoire, la crise économique, et la crise de légitimité des institutions européennes mêlées à une vague souverainiste sont autant d’éléments qui viennent affaiblir l’attractivité de l’Europe ; attractivité qui faisait la grande force des critères de Copenhague.

Dans les années 1990 et 2000, l’Europe apparaissait comme la voie indispensable pour avancer rapidement vers le progrès économique et démocratique. Le dynamisme de la CE accompagné des succès de convergence de deux Allemagnes ainsi des pays méditerranéens (qui achevaient là leur période de transition démocratique) donnait du crédit à la volonté d’intégration par le PECO. Cette attractivité de l’UE lui conférait alors une force douce (“soft power”), c’est-à-dire une capacité à influencer les politiques intérieurs de pays sur lesquels elle n’avait pourtant pas d’autorité direct ni légale, et encore moins militaire. Grâce aux critères de Copenhague, elle pouvait forger les réformes de ces Etats et ainsi la reconstruction politique, économique et sociale des pays candidats. Ainsi l’UE impose à ses candidats, anciennement soumis à un régime totalitaire, des standards démocratiques élevés: promotion de l’égalité homme-femme, reconnaissance des minorités, fin de la peine de mort, fin de la torture, reconnaissance des institutions internationales et de respect de l’environnement. La Turquie de part ses réformes judiciaires et la reconnaissance de la communauté Kurde, était un modèle de bonne volonté d’intégration; de même la Croatie pour enfin intégrer l’UE a accepté de coopérer avec le Tribunal International pour tourner la page de la guerre des Balkans suite au démantèlement de la Yougoslavie. Le “soft power” de l’UE, incarné par les critères de Copenhague peut se targuer d’avoir exporté son modèle démocratique, une dynamique de développement solide et surtout la paix sur un continent si souvent déchiré (l’UE a d’ailleurs reçu le Prix Nobel de la Paix en 2012 pour l’ensemble de ses actions en faveur « de la paix et de la réconciliation, la démocratie et les droits de l’homme en Europe ». Ainsi, la politique d’élargissement conditionnée par des critères de Copenhague constituait la politique étrangère la plus efficace de l’Union.

Cependant, il est à noter que ce « soft power » reste nécessairement limité aux pays candidats à l’UE, ceux qui sont prêts à se plier à cet exercice. Dès lors que le nombre de pays candidats se réduit (soit parce qu’ils ont été intégrés, soit parce que l’attractivité de l’UE n’est plus assez séduisante pour que des pays fassent cet effort de convergence) la force des critères de Copenhague s’efface. Aujourd’hui, les pays des Balkans semblent être les seuls candidats encore actifs. Si l’Europe possède d’autres moyens pour influencer l’économie mondiale, notamment à travers ses réglementations, elle a beaucoup perdu de son aura sur son continent mais aussi ailleurs, surtout depuis la crise migratoire qu’elle traverse et les failles qui en découlent.

Les critères de Copenhague n’ont-ils pas finalement fragilisé la construction européenne?

On peut s’étonner de cette question, notamment après ce qui a été dit précédemment. Mais étant donné la fragilité actuelle de l’unité de l’Union face aux crises (économique, politique et migratoire), il est nécessaire de se demander si les critères de Copenhague n’étaient pas insuffisant pour accréditer une convergence qui s’est révélée superficielle voire artificielle.

La vague d’intégration des PECO en 2004 et en 2007 consacrait la convergence des deux Europe au sein d’une même Union, mais aussi au sein d’une même vision, formant une somme d’Etats qui marcheraient ensemble dans la même direction. Mais leur intégration suscitait des craintes justifiées quant à l’homogénéité de l’Union tant sur le plan de la fiscalité, que celui du coût du travail et de la protection des travailleurs. Mais c’est surtout avec la crise de dettes souveraines à partir de 2010 que des fractures profondes dans l’unité de l’Union se sont révélées. Les pays méditerranéens qui avaient grandement profité de l’aide au développement fournis par l’UE (quitte à peut-être avoir été trop négligeant vis-à-vis de la solidité de leur économie rapportée au risque de leur endettement) ont subi de vives critiques, notamment venant des PECO qui donnaient ainsi du poids à la position « austéritaire » de l’Allemagne. Estimant avoir fait des efforts difficiles pour obtenir leur ticket d’admission, la relative clémence des institutions européennes envers ces pays méditerranéens leur étaient insupportable. Ces pays ont donc joué un rôle certain particulièrement lors des négociations sur la dette grecque, accentuant la fracture Nord-Sud de l’Europe.

Mais c’est surtout la crise migratoire débutée en 2010 qui vient dévoiler les divergences des pays européens dans leur acceptation des populations immigrées. Refusant d’accueillir des quotas d’immigrés, mais surtout allant jusqu’à fermer leurs frontières, remettant en cause la libre circulation des citoyens européens dans l’espace Schengen, les PECO font passer leur souveraineté avant toute conciliation avec les autres pays européens. La crise migratoire en est une parce que ces pays (même s’ils ne sont pas les seuls, loin de là) refusent de coopérer sur ces questions, l’immigration étant perçue comme une menace inacceptable pour ces pays souverains depuis peu, et où le nationalisme y est particulièrement exacerbé.

En permettant l’intégration rapide de ces pays, et en faisant croire à une convergence totale, les critères de Copenhague ont sans doute permis une intégration normative et économique des PECO, mais pas une convergence sociale et politique. Ces critères ont donc fait croire à une intégration totale, alors qu’elle se révèle finalement superficielle lorsque les crispations politiques apparaissent. Aux divergences de tolérance vis-à-vis de l’immigration, s’ajoute aussi l’enjeux de la gouvernance à 27 pays désormais très différents, rendant l’avancement, et a fortiori la solidité de la convergence européenne beaucoup plus difficile. Pour toutes ces raisons, on peut honnêtement s’interroger sur la pertinence des critères de Copenhague comme facteur d’homogénéisation de l’Union Européenne.

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