Première parution : Mars 2012
Editions Le cavalier bleu

198 pages

A propos de l’auteur : Denis Retaillé est un français, géographe,  professeur à l’université de Bordeaux 3 et chercheur au CNRS. Ses ouvrages traitent pour la plupart de la mondialisation avec une approche spatiale du sujet, comme c’est notamment le cas de celui-ci.

Résumé du livre : Il a pour ambition de comparer 10 lieux emblématiques de la mondialisation, chacun d’eux l’incarnant d’une manière atypique, particulière. Le 10ème lieu, le monde dans son ensemble, fait ainsi office de conclusion. Denis Retaillé propose de caractériser chacun de ces lieux par le fait qu’ils sont plus ou moins mondialisés selon trois critères :

-En tant qu’espace de confrontations entre identités culturelles et sociales et les Etats, cristallisés par le concept de frontière : c’est l’espace de la guerre, avec de la violence ou non à la clé.

-En tant qu’espace d’échanges marchands rendu possible par la stabilité géopolitique du lieu : l’espace de l’ordre (celui qui permet la mondialisation économique)

-Enfin en tant qu’espace de communication, où prime la négociation, la défense d’intérêts communs, de biens publics mondiaux rendus indispensables par l’émergence de phénomènes globaux sur lequel il faut s’entendre : c’est ce qu’il nomme l’espace de contrat.

Dès lors, les lieux proposés pour incarner concrètement cette mondialisation sont extrêmement différents, mais ils ont en commun d’être affectés directement par cette augmentation sans précédent des flux (financiers, sociaux, culturels, marchands, humain…).

Le paradoxe des lieux de la mondialisation

En avant-propos, Denis Retaillé met d’abord en évidence le fait que tous les espaces sont jusqu’à un certain point mondialisés, c’est-à-dire que la mondialité se trouve partout, d’autant plus que « les centres du monde » se déplacent au gré de l’actualité; Le monde entier ayant ainsi, par exemple, eu les yeux rivés sur Fukushima durant la catastrophe de 2011. En fait, tout le paradoxe réside dans le fait que le propre même de la mondialisation est la mobilité. Dès lors, les lieux figés paraissent peu propices pour la caractériser. C’est pour cette raison que l’auteur qualifie son travail « d’itinéraire » car il tente de saisir dans chacun des lieux les flux qui les traversent et la portée symbolique de chacun d’eux, qui en fait finalement des entités pertinentes pour comprendre en partie le phénomène de mondialisation.

Voici le premier lieu proposé par l’auteur, « L’Antarctique, lieu de l’horizon » !

I- L ’Antarctique, lieu de l’horizon

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A retenir :

1959 : Un traité international définit l’Antarctique comme un bien mondial « en dehors du monde ».

1991 : Le « protocole de Madrid » interdit toute exploitation à des fins économiques sur le continent.

Parce qu’il est un lieu unique en son genre sur notre planète, l’Antarctique et le seul lieu susceptible d’incarner l’aspect totalement pacifié de la mondialisation : celle du consensus international absolu, aucunement remis en cause depuis plus de 50 ans désormais. Le continent glacé est connu depuis le XV siècle mais a été explorée seulement en 1912. L’Antarctique va faire l’objet de convoitises peu après la fin de la seconde guerre mondiale, jusqu’à ce que le traité de 1959 à l’initiative des Etats-Unis puis le traité de non exploitation économique (des ressources) signé en 1991 fassent de ce continent à part un espace de recherches scientifiques et de tourisme extrêmement réglementé. La gestion de cette terre de glace « grande comme un continent moyen » (14 millions de km²) est aux antipodes des tensions géopolitiques concentrées autour de l’Arctique : l’ouverture attendue de route maritimes intéressantes aiguisent les appétits économiques, de la Russie notamment, au détriment des populations locales qui se trouvent imbriquées dans un enjeu majeur et complexe de ces prochaines années. L’antarctique fait décidément office d’exception : même le ciel au-dessus de nos têtes est, faute de réglementations analogues, encombrés par les déchets (satellites…).
En plus de son intérêt scientifique, l’inlandsis contient 80% des ressources en eau douce de la planète : cette convention qui la place hors du Monde évite ainsi de velléités prévisibles pour de cette terre inhabitée. Finalement, l’Antarctique est l’archétype d’une souveraineté mondiale forte, preuve que les Etats ne sont plus les seuls référents. La multiplication des enjeux globaux devraient encourager ceux-ci à délaisser une part de leur souveraineté pour privilégier le consensus sur ce type de problématique.


II- Nunavut, lieu de l’autochtonie

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A retenir : 2007 : déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Nunavut est un territoire du Canada, il a été choisi pour symboliser plus généralement les revendications des « autochtones », c’est-à-dire les habitants primaires de ces terres encore relativement sauvages. Avec la déclaration des nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, les institutions internationales deviennent les garants de ces derniers représentants des sociétés primaires, traditionnelles. L’autochtonie est d’ailleurs inscrite au patrimoine mondial de l’humanité. Toutefois, l’évolution récente de ces peuples ainsi que le métissage compliquent la définition de l’autochtonie : en Afrique en particulier, où la colonisation puis la décolonisation a déchiré les ethnies en raison de la formation d’Etats bien souvent arbitraire et peu soucieuse des réalités anthropologiques de ces peuples millénaires. On estime à 350 millions le nombre d’autochtones dans le monde. Premières victimes de la gestion déraisonnée des sociétés modernes de leurs environnements (déforestation, réchauffement climatique…) ces peuples primitifs n’hésitent désormais plus à faire valoir leurs droits auprès des instances internationales : Relations privilégiées avec les Etats,  très forte identité culturelle, alternative à la surconsommation – qui s’impose presque partout comme acquis sociétal – et utilisation des entités de la gouvernance mondiale pour défendre leurs droits et leur mode de vie : les peuples autochtones représentent bel et bien certains aspects de la mondialisation.

 

III- Jérusalem, lieu de la guerre

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A retenir : Création de l’Etat d’Israël : 1948
Diaspora juives dans le monde : 8 millions de personnes

Diaspora palestinienne dans le monde : 8 millions de personnes

Jérusalem est la capitale de l’Etat d’Israël, c’est une ville inscrite au patrimoine de l’humanité et jumelée avec New York. Elle est emmurée à l’extrême, et peuplée par un million d’habitants environs. C’est le lieu de la guerre permanente, entre israéliens et palestiniens d’abord (cf l’actualité) mais aussi entre les trois grandes religions du livre pour lesquelles Jérusalem est un haut lieu spirituel. Dans un carré de 400m de côté situé dans la vieille ville se situe tous les lieux saints des trois grandes religions monothéistes, ce qui explique la crispation autour de cette ville car chacune d’entre elle tente de se l’approprier totalement. Ces tensions conduisent à une violence permanente, en dépits des accords (Camp David (1978,2000) Oslo (1993) et Paris (1994)) et des résolutions innombrables de l’ONU. Denis Retaillé évoque une raison structurelle pour expliquer ses conflits à répétition : Selon lui, le drame de d’Israël est que chacune des religions cherchent à en faire un lieu figé exclusivement réservé à sa diaspora, tandis que dans les siècles précédents, les hommes ont considérés Israël comme une métropole ouverte et caractérisée par le mouvement. Parce qu’elle est un lieu hautement symbolique, Jérusalem cristallise les rivalités ethniques et religieuses. Le conflit ne semble pas trouver de solutions viables en poursuivant dans cette optique, alors que la mixité et le brassage si ils étaient permis pourraient selon l’auteur conduire à une amélioration de la situation.

 IV- La toile, lieu de la communication

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A retenir :
1991 : création du world wide web
1992 : Accès aux particuliers
2010 : 2 milliards d’utilisateurs dans le monde

L’auteur souligne d’abord qu’internet est aujourd’hui encore dans une phase de banalisation à l’échelle du monde. C’est-à-dire que si internet rythme le quotidien des habitants des pays développés au point qu’il a suffi d’une génération pour que la société oublie le temps où il n’existait pas, l’autre partie de la population mondiale souffre d’une inégalité flagrante dans l’accès à cette technologie. En effet, même si les infrastructures sont souvent existantes, elles sont généralement de mauvaise qualité et très coûteuses d’utilisation. L’accès à internet instaure dès lors un clivage entre les populations et aggrave parfois la fracture sociale mondiale (cf la récente rencontre entre Mark Zuckerberg et Narendra Modi). Sujet à de juteuses retombées économiques, internet est aussi le théâtre d’une féroce guerre entre les opérateurs dans laquelle les Etats se trouvent aussi impliqués. Il n’y a pas que la dimension de marché mondial qui fait d’internet un lieu de la mondialisation ; toutes les problématiques s’y retrouvent : l’importance d’une régulation à l’échelle mondiale (affaire Wikileaks qui a mis à mal les Etats-Unis), la question de la remise en cause de l’autorité étatique, y compris pour les régimes de type dictatorial (les contestations des internautes en 2011 ont en partie mené au printemps Arabe la même année)… Dès lors, on comprend la volonté ancienne d’instaurer une gouvernance mondiale (bien difficile à mettre en place) des institutions internationales (Accords de Genève dès 2003 sur les télécommunications par exemple) d’autant plus que le développement des hackers et du cyber-terrorisme accentue les risques liés à internet. Enfin, Denis Retaillé insiste sur le fait que la réelle innovation est que ce média permet l’interaction (il permet de s’ouvrir au monde et d’y apporter sa contribution) et qu’il est à la totale disposition des utilisateurs (alors que la télévision réglait les populations du Nord sur la « grande messe du 20h00 »). En revanche, le raccourcissement de la distance en temps réel date effectivement du petit écran (comme par exemple lorsque la guerre du Golfe fut retransmise « en direct » par les chaines de télévision américaines) bien qu’internet mais aussi la téléphonie contribuent à démocratiser cette réalité de l’immédiat à l’échelle mondiale.

V- La City, lieu de l’évolution globale

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A retenir : La City est le lieu de la globalisation (« globalization » au sens où l’entendent les anglophones : phénomène économique d’unification du monde par la mobilité des capitaux et plus généralement des facteurs de production)

La City a deux réalités distinctes : elle est le cœur historique de Londres,  la 3ème et dernière « ville globale  » (S.Sassen) derrière New York et Tokyo. Ville de 8 millions d’habitants dont le tiers n’est pas née en Angleterre, Londres est une ville hautement mondialisée car elle est insérée dans tous les aspects de la mondialisation : culturels, humains, marchands… et ce en raison de son passé « d’usine du monde » suite à la révolution industrielle. La City a cependant un caractère très particulier : ce n’est pas un arrondissement de Londres, mais bien une entité à part qui a son propre maire. Elle n’a que 8000 habitants. Pourtant 300 000 personnes y travaillent car l’ilot est principalement occupé par des immeubles d’affaires. Du moins y travaillaient, car la crise de 2008 a entrainé le licenciement de 100 000 de ces travailleurs en moins d’un an : La City est en effet la plus grande place financière du monde. Il faut toutefois bien comprendre dans quelles mesures la City est aussi importante au sein de la planète financière : ses capitalisations boursières annuelles sont cinq fois moins importantes que celle de New York ! (10 000 milliard de dollars pour NY contre 2 000 pour Londres). Toutefois, elle est imbattable en matière de produits financiers dérivés, d’où sa position de n°1. Ainsi la City correspond plus à la « globalization » qu’à la mondialisation : en d’autre terme, elle n’incarne que deux aspects (cependant majeur) de la mondialisation : la globalisation financière (et ses dérives !) et l’idée de la valorisation à l’échelle mondiale des compétences rares : La City est internationale plus que Londonienne (les locaux sont pour la plupart possédés par des groupes allemands) et surtout, les meilleurs financiers du monde semblent s’y retrouver et ceux qu’importe leur nationalité (10% de français et 5% de chinois parmi les travailleurs notamment). Symbole de l’implication totale de la City dans la finance, le nombre de personne y travaillant fluctuent au rythme de  l’amélioration ou de la détérioration de la santé financière mondiale : si le nombre de travailleurs avait chuté à 200 000 en 2008 contre 300 000 en 2007, ils étaient 340 000 en 2010 !

 

VI- Dubaï, lieu du cosmopolitisme paradoxal

A retenir : la transition économique des EAU : le pétrole ne représente plus que 30% du PIB en 2012

Dubaï est la plus grande ville des Emirats Arabes Unis (EAU, capitale Abu Dhabi). Ce pays qui a bâti sa fortune grâce à son sous-sol (riche en gaz et en pétrole, les Emirats Arabes Unies est un des seuls pays au monde où 1L d’eau coute plus cher qu’un litre d’essence) a très tôt joué la carte de la mondialisation en diversifiant ses activités, notamment avec Dubaï et l’ambition d’en faire un hub aérien et un centre d’affaire majeur. Le pari semble en passe d’être réussi puisqu’en 2012, le tertiaire supérieur (tourisme, services financiers…) représentait 50% du PIB des EAU contre 30% pour le pétrole. La même année, Dubaï était la 23ème place financière mondiale (global financial center index) et le deuxième espace aérien de transit derrière Atlanta (USA). Enfin, ses deux ports en zone franche en fait une zone de réexportation majeure au Moyen-Orient. Le pétrole s’épuisant, Dubaï tend à être de plus en plus insérée dans la mondialisation. Les constructions excentriques (iles artificielles représentant le monde, station de ski…) dans cette ville au cœur du désert témoignent de cette volonté d’attractivité à l’échelle mondiale. Cette globalisation à marche forcée la rend particulièrement  vulnérable aux fluctuations économiques mondiales : c’est ainsi que la valeur de l’immobilier dubaïote a chuté de 50% entre 2008 et 2009. Enfin, symbole de sa mondialité, Dubaï est plus que jamais le symbole de l’accroissement des inégalités sur le marché du travail : si la cité-Etat cherche à attirer les compétences rares avec des salaires mirobolants, elle exploite en parallèle un grand nombre de travailleurs clandestins, des sous-citoyens venus d’Asie pour la plupart (Népal, Pakistan…) (sujet développé du point de vue népalais ici) pour réaliser les délires architecturaux dont regorge la ville. C’est plus récemment la situation du Qatar et du scandale de la construction des stades de la coupe du monde 2022.

VII- Dharavi, lieu du spectacle

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A retenir : 50% d’urbain dans le monde en 2012

Dharavi est le plus grand bidonville de Bombay. Il était destiné à disparaître car les promoteurs immobiliers y voyaient un espace lucratif et cherchaient à faire expulser des taudis les habitants qui y résidaient, avant que le succès inattendu de Slumdog Millionaire et les retombées médiatiques qui ont suivi ne le rende « intouchable ». En Inde, les bidonvillois représentent 25% de la population. Il faut comprendre que si le point commun de ces bidonvilles est le manque de sécurité, de confort et d’hygiène (espace exigu, accès à l’eau (potable en particulier) et à l’électricité restreint…) cet habitat n’est pas que l’apanage des plus pauvres : les classes dites « moyennes » (selon les critères onusiens) s’y entassent également. En réalité, le bidonville est dans ces pays un espace attractif et ce malgré les conditions de vie : il permet à moindre frais de se situer en périphérie du centre des grandes villes, là où finalement ces populations sont à même de profiter de la mondialisation et de la « moyennisation » économique qu’elle entraîne tandis que la campagne les laisseraient en marge. 50% d’urbain dans le monde, et le chiffre tend à croître. Plus que jamais, la ville attire et ce qu’importe les conditions pour accéder à l’urbanité.
Pour aller plus loin sur le lien entre urbanité et pauvreté en Inde: https://major-prepa.com/geopolitique/synthese-dactualite-de-lete-2015-asie//.

VIII- Porto Alegre, lieu de la société civile mondiale

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A retenir :
manifestation de Seattle : 1999

Forum social mondial à Porto Alegre (Brésil) : 2001 pour le premier

Si Seattle, du fait de la manifestation de 1999 ayant fait avorter un sommet de l’OMC, semblait légitime pour préfigurer comme capitale mondiale de l’alter mondialisme, c’est finalement Porto Alegre (sommets alter mondialistes en 2001, 2002, 2003, 2005, 2010) qui s’est imposé comme telle. Sous le nom de « forum social mondial », ces contre-sommets de Davos (station huppé suisse dans lequel se retrouvent chaque année les grands dirigeants de FMN) ont progressivement gagné en visibilité. Ces rassemblements fortement hétéroclites tentent de faire valoir une vision alternative de ce que pourrait être une mondialisation plus juste et plus raisonnée, à défaut de pouvoir enrayer un phénomène déjà omniprésent. Il faut toutefois nuancer l’importance de Porto Alegre : contrairement à Davos, ce lieu s’est démultiplié (sommets à Nairobi, Belem, Bombay…). Finalement, l’alter mondialisme est tout ce qu’il y a de plus mondialisé : trouvant comme point de convergence le refus des règles dictées par la libéralisation financière, les altermondialistes sont aussi bien des anti-capitalistes, des écologistes que des défenseurs d’un certain terroir (José Bové par exemple) en provenance de tous les pays du monde, du Nord comme du Sud. Le paradoxe de l’altermondialisme est qu’il semble d’autant plus fort dans les lieux où cette dite mondialisation a justement permis aux hommes d’interagir entre eux et donc d’organiser un mouvement de cette ampleur. Le mouvement souffre toutefois de deux facteurs rédhibitoires pour réellement peser sur la scène internationale : son manque de réactivité face à l’actualité (il a fallu près de 3 mois au mouvement alter mondialiste pour demander l’annulation de la dette de l’Indonésie après le tsunami de décembre 2004) et la divergence flagrante des points de vue au sein même de ses partisans.

IX- L’ONU, lieux des Etats

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A retenir : conférence de San Francisco : 1945, création de l’ONU

Les derniers secrétaires de l’ONU

Boutros Boutros-Ghali (Egypte) 1992-1996
Kofi Annan (Ghana) 1997-2006

Ban Ki-moon (2007-2016) (changement de secrétaire le 1er janvier!)

Le « machin » dénoncé en son temps par de Gaulle a certes quelques lacunes systémiques, mais a aussi le mérite selon Denis Retaillé d’avoir instauré un auvent sur le monde. Fondée en 1945 pour remplacer la SDN, elle compte en 2012 193 Etats. Elle est l’organe qui a instauré un semblant de gouvernance mondiale et a rendu impensable la perspective d’une troisième guerre mondiale (dans l’état actuel des choses). Cela dit, l’ONU reconnait à chaque état la souveraineté sur son territoire. Dès lors, la gouvernance mondiale est inefficace lorsqu’il s’agit de s’entendre sur des risques majeurs (environnementaux notamment). Toutefois, il semble que les Etats mettent depuis quelques années de l’eau dans leur vin suite à l’émergence des risques globaux de plus en plus fréquents. L’OMS a ainsi pu fonctionner comme un ministère mondiale de la santé en imposant certaines normes pendant les risques de pandémies (SRAS, grippe aviaire) et la cour pénale internationale a vocation à régler les conflits inter-étatiques et ce sans l’amont du conseil de sécurité. Si les résolutions votées ne sont souvent pas suivies pas des actes forts (notamment celles concernant le conflit israélo-palestinien, du fait du soutien américain à Israël) celles-ci ont au moins le mérite d’imposer un consensus géopolitique mondial, outil de pression sur les Etats de moins en moins négligeable.

La mondialité de l’ONU est d’abord géographique : ses institutions sont éparpillées à travers le monde, bien que visiblement concentrées au Nord. C’est selon l’auteur ce qui permet de parler de gouvernance mondiale : les institutions relativement indépendantes les unes des autres touchent à tous les aspects de la mondialisation et de ses enjeux, et la variété des acteurs (Etats, organismes onusiens plus ou moins importants…) assure une approche multilatérale des problématiques. On remarque encore deux faiblesses notoires à l’institution ONU : d’abord, elle n’a pas le monopole de la gouvernance mondiale. De fait,  les décisions relatives aux accords de libre-échange lui échappent (l’OMC ne fait pas partie de l’ONU). Plus grave encore, elle est accusée par les pays du sud d’être trop américaine et/ou trop libérale (les plans d’ajustements structurels (PAS) voulus par le FMI en est l’exemple le plus flagrant). Toutefois, l’ONU sait aussi dépasser les clivages politiques pour proposer des normes ou des objectifs indéniablement bénéfiques à la progression de l’humanité (les enjeux du millénaire en 2000 ou les normes dictées par l’organisation mondiale du travail (OIT) pour interdire le travail des enfants là où les Etats ne le font pas d’eux même). En cela, l’ONU est un bien commun à l’humanité où l’effort du consensus permanent participe à l’émergence d’une société mondiale. Enfin, le désengagement progressif des Etats Unis dans le fonctionnement de l’UNESCO traduit la possible fin du “soft power” omnipotent américain, au profit d’un patrimoine culturel commun à l’humanité toute entière. Si le patrimoine défini par l’UNESCO peut paraitre anecdotique, il a le mérite de limiter le risque de « choc des civilisations » (S. Huntington). Il ne faut pas oublier que même si l’objectif est loin d’être atteint, l’ONU œuvre avant tout pour la paix mondiale et la mise en place d’une société mondiale cohérente, et ce malgré les difficultés évidentes (difficultés de consensus autour des enjeux à risques, du droit international et d’un magistère moral commun).

X- conclusion : Le Monde, lieu de la mondialisation

Dans ce chapitre conclusif, l’auteur rappelle que chacun des lieux choisis a une réalité plurielle, celle de lieux mondialisés pour différentes raisons et celle de symbole prévalant au-delà de son emplacement géographique : c’est en cela par exemple que Porto Alegre incarne le renouveau d’une société mondiale qui s’organise à l’échelle du globe pour faire valoir ses intérêts, quand l’Antarctique célèbre la sagesse des nations et des traités globaux. La mondialisation est dès lors une vaste mobilisation de tous les espaces réticulés (= organisés en réseau)  plus qu’une somme de lieux fixes, entraînant le brassage incessant des biens, des marchandises et des cultures.

Avis personnel :

Le livre a le mérite de s’interroger de manière originale sur l’imbrication de neuf lieux notoires de la mondialisation dans cette dite mondialisation. L’enquête et l’analyse y sont très poussées pour chacun des chapitres et les chiffres avancés sont intéressants (l’ouvrage  date cependant de 2012 et certains commencent à vieillir…). Toutefois, à l’inverse d’un Daniel Cohen, Denis Retaillé n’est en aucun cas un vulgarisateur : sa pensée est bien souvent difficile à suivre (d’autant que celle-ci oscille sans cesse entre aspects géographiques, géopolitiques et philosophies) et il faut vraiment s’imprégner de ses idées pour en saisir la signification. En outre, les schémas proposés pour caractériser chaque lieu en fonction des espaces d’ordre, de contrat et de guerre sont peu interprétables. L’intérêt essentiel de son travail est en somme le fait qu’il permet de comprendre l’aspect multi-scalaire de la mondialisation, facteur de réduction des inégalités comme de clivages sociaux et spatiaux, d’intégration, d’émergence de risques globaux, d’augmentation de flux de toute nature… Finalement, un ouvrage parfois indigeste mais riche et peu commun.