Quelques données générales : les chiffres, les acteurs et l’organisation du trafic passager aérien

Le transport aérien est un pilier de la mondialisation. En 2008, près de 15 500 aéroports dans le monde étaient reliés par des services de transport de passagers, dont le nombre était en 2013 de 3 milliards. Ils participent ainsi de l’espace réticulaire de l’Archipel mégalopolitain mondial (AMM) défini par Olivier Dollfus en accompagnant la hausse des mobilités internationales.

Le climat libéral des années 80, ayant conduit à la libéralisation du transport aérien sur la base des Open skies, a fortement contribué à l’élaboration de ces réseaux. Ces formules ont entraîné la privatisation, ou du moins un fonctionnement plus commercial des aéroports.

La demande pour le tronçon long-courrier des services transatlantiques a augmenté, conduisant à l’utilisation massive d’aéroports pivots-internationaux. La concentration s’est accentuée puisque 83% du trafic passager mondial est rassemblé dans seulement 25 aéroports.

Toutefois, à l’extrémité de ces liaisons très empruntées, d’autres transporteurs comme les low costs, compagnies apparues dans les années 1980, se disputent la desserte locale. De nombreuses compagnies aériennes présentent alors des réseaux en forme d’haltères (où A et B sont les aéroports-pivots internationaux), où les services locaux sont souvent fournis par différents partenaires.

De plus, le trafic aérien va connaître une forte croissance dans les prochaines années : selon l’IATA (International Air Transport Association), il doublera d’ici 2034 pour atteindre 7 milliards de passagers. Les aéroports se doivent donc d’être de plus en plus efficaces et polyvalents. De simples lieux de passage, ils deviennent des hubs : des pôles d’échange pour les passagers, des plate-formes multimodales pour les marchandises. Aujourd’hui, l’essentiel du trafic s’organise autour d’une soixantaine de hubs dans le monde, qui résultent du mariage entre une compagnie et un aéroport.

  • Pour les passagers, cela permet de changer rapidement et facilement de vol.
  • Pour les compagnies, cela permet de limiter les coûts de correspondance en concentrant les activités et d’optimiser le taux de remplissage de leurs avions.

Par exemple l’aéroport international de Dallas, principal « hub » de la compagnie American Airlines, concentre 84% des vols de la compagnie et compte 800 départs quotidiens. British Airways privilégie Londres-Heathrow, et Air France-KLM bénéficie d’un double hub Paris CDG et Amsterdam Schiphol.

Ces aéroports doivent également s’intégrer à un réseau de transport diversifié et lié au centre urbain, pour accompagner le voyageur hors de l’aéroport (lignes de bus, de métro…) ou pour le conduire à un aéroport de taille plus modeste pour prendre sa correspondance.

Un marché des aéroports en pleine mutation : quels défis ?

Le principal défi pour les aéroports internationaux est celui de la capacité, à cause de l’accroissement du trafic passager. L’aéroport de Pékin, passé de 21 millions de passagers en 2000 à 86 millions en 2014, est proche de la saturation. Les pistes de l’aéroport d’Heathrow à Londres fonctionnent déjà à 99% de la capacité autorisée. Pour ces infrastructures, il y a deux solutions : l’expansion de la capacité ou une meilleure utilisation des installations existantes.

Ensuite, le défi de la concurrence est croissant. Au départ, seules les compagnies aériennes étaient en concurrence. Désormais, les hubs le sont tout autant en cherchant à attirer chez eux compagnies et passagers. La concurrence se fait à plusieurs niveaux :

  • Entre des aéroports proches comme Biarritz, Nîmes, Montpellier et Carcassonne – une situation fragilisante car un aéroport n’est pas rentable s’il reçoit moins de 200 000 passagers par an.
  • Intra-régionalement : en Europe entre Heathrow, Roissy-CDG et Francfort.
  • Chaque hub mondial est en concurrence avec au moins 3 autres sur plus de 50% de son marché origine-destination. Par exemple, la part des aéroports du Golfe dans le trafic Asie-Europe a énormément augmenté grâce à des aéroports neufs et des compagnies aux tarifs concurrentiels, le tout soutenu par les pouvoirs publics nationaux.

Dans cette concurrence acharnée, les pays émergents s’octroient de nouvelles places dans le classement des aéroports les plus fréquentés au monde.

On observe en effet que la croissance se fera davantage du côté des pays émergents que des continents matures comme l’Europe. Entre 2008 et 2014, le nombre de connexions a augmenté de 46% au Moyen-Orient, 34% en Asie, 26% en Afrique et 4% seulement en Europe.

En Chine, l’accessibilité du transport aérien est croissante grâce au développement de sa capacité aéroportuaire: la prédominance des grands aéroports est atténuée par le développement du système de transport des villes moyennes et petites. Toutefois, l’essentiel du trafic reste concentré dans trois pôles majeurs: les aéroports de Shanghai, Beijing et Guangzhou.

Dans le Golfe persique, le nombre de connexions des trois principaux aéroports (Dubaï, Doha, Abu Dhabi) est deux fois plus grand que le nombre offert par les trois plus grands aéroports d’Europe (Heathrow, CDG et Francfort).

L’aéroport de Dubaï profite notamment de sa position géographique stratégique, au cœur des liaisons entre l’Europe, l’Asie de l’est et l’Océanie. Il dispose d’infrastructures modernes (jardin japonais, boutiques haut de gamme, hôtels avec piscine) mais surtout d’une politique tarifaire très avantageuse : selon Paul Griffith, directeur de Dubai Airports, l’atterrissage d’un Boeing 777 coûte 5 100$ contre 53 000$ à Heathrow.

L’évolution du modèle économique des hubs

L’aéroport en lui-même est l’entité physique, constituée de l’aérogare et de l’infrastructure aéroportuaire, mais il désigne également le complexe commercial et hôtelier inclus ou situé à proximité. Ce complexe est essentiel puisque désormais, les aéroports tirent un pourcentage de revenus plus élevés de sources non-aéronautiques (loyers des boutiques de l’aéroport, tri des bagages, parcs de stationnement automobile) que des sources aéronautiques classiques.

Traditionnellement, l’aéroport a constitué un non-lieu, selon la définition de Marc Augé : un espace interchangeable où l’être humain reste anonyme, ne s’approprie pas l’espace mais y entretient seulement une relation de consommation.

Aujourd’hui, la conception est différente puisque l’aéroport a vocation à devenir une destination en soi, une expérience territoriale authentique. Cela se manifeste par la multiplication des espaces commerciaux et de loisir au sein des aérogares : ces choix sont justifiables par le niveau de revenus des passagers, qui est généralement 3 à 5 fois supérieur à la moyenne nationale.

A Francfort et Schiphol, l’aéroport constitue une emblème spatiale allemande et néérlandaise. Les opérateurs recherchent la mise en tourisme des lieux avec des boutiques consacrées aux produits touristiques locaux (Discover Germany, German corner) tout en conservant l’aspect fonctionnel de l’aéroport, cher aux utilisateurs.

Certains aéroports incluent même des centres commerciaux de luxe et des espaces culturels. Hong-Kong international compte ainsi plus de 30 boutiques de créateurs, tandis que Dubaï joue sur son image historique de ville comptoir pour se poser en escale marchande d’abondance avec des services et biens de luxe.

Les transformations ne s’arrêtent pas à l’aéroport seul. John Kasarda, chercheur américain, évoque dans Aerotropolis : the way we’ll live next la création d’aérotropoles : ils correspondent aux  développements urbains plus lointains qui ne seraient pas produits sans l’existence de l’aéroport. Ces espaces, qui imitent la forme urbaine de la métropole traditionnelle, comprennent souvent des sièges sociaux d’entreprises, des centres de conférence ou encore des entreprises spécialisées dans les NTIC, dont les travailleurs (surnommés les « nerd birds ») voyagent 400% plus que les travailleurs en général. Un exemple est la ville nouvelle de New Songdo, créée sur une île artificielle près de l’aéroport d’Incheon à Séoul, grâce à un prêt de 30 milliards de dollars.

Si les hubs s’étendent, leur modèle économique est également modifié par de nouvelles dépenses à inclure impérativement, notamment les dépenses de sûreté. La menace terroriste appelle à un renforcement au fil des attentats. A partir de 2002, le contrôle des bagages en soute concerne 100% des bagages. A la suite des attentats dans les terminaux d’Istanbul le 28 juin 2016 et de Bruxelles le 22 mars 2016, l’aérogare est appelée à une surveillance accrue.

Les aéroports sont des points clés de la mondialisation

Les aéroports sont sites majeurs de la mondialisation, permettant l’interconnexion des territoires et l’accroissement des mobilités internationales. Ils témoignent d’un monde en réseau, mais aussi d’un monde où les pays émergents occupent une place croissante et font concurrence aux places traditionnelles. Toutefois, loin de s’uniformiser, les aéroports sont traversés par des problématiques de nombreux défis dont la singularisation territoriale, à des fins commerciales – attirer les compagnies aériennes – mais aussi expérencielles – pour les passagers.